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Il était environ deux heures de l'après-midi. Karen, après avoir mangé avec nous, était partie récupérer Mary chez Karl et Lauren. Elles allaient commencer les valises. D'ailleurs, la mère de famille s'inquiétait beaucoup pour sa fille. Je n'avais pas arrêté de lui répéter que j'étais persuadé qu'elle allait comprendre. Visiblement, ils partaient le soir même. Andrew y compris. C'est pourquoi nous étions là, rien qu'à deux. Une douce chaleur occupait l'air. Il fallait en profiter. Plus que tout.

Sur les chemins de Ruskin Park, nous marchions lentement, mains dans les poches, appréciant le soleil. Nous nous étions interdit toute discussion à propos de son départ. De notre séparation. Et pendant combien de temps ? Comment allait-on faire ? Je me posais plein de questions. Mais une promesse est une promesse.

— Tu ne m'as jamais dit pourquoi il n'y avait pas de verrous à la salle de bain, ai-je ri en me tournant vers lui.

— Oh.

Il a paru surpris. Un peu dérangé, peut-être.

— Quoi ?

— Eh bien...

J'ai levé un sourcil. Quel était le problème ? Ce n'était qu'une simple question, après tout.

— J'ai voulu me noyer l'année dernière.

Bam. Sa réponse était sortie d'un coup. Je n'étais absolument pas préparé à ça. J'ai eu un peu plus chaud. Un nœud est venu encombrer ma gorge. Je m'en voulais.

— Je suis désolé. Je ne voulais pas... ai-je bredouillé.

— T'inquiète. C'est fini, tout ça. N'est-ce pas ? a-t-il souri en posant sa main sur mon épaule.

— Oui.

— N'en parlons plus.

Alors, nous nous sommes tus. Et le gazouillement des oiseaux a remplacé le silence. En fait, nous l'aimions ce silence. Non pas qu'il soit nécessaire, mais plaisant. Ça arrivait qu'il soit plus puissant que les mots.

En face de nous se présentait un kiosque vert, bien entretenu, sublimé par des massifs en tous genres. De toutes les couleurs. Il se dressait là, au centre d'une minuscule place desservant les multiples chemins de balades. Le parc n'était en réalité pas très grand, mais j'appréciais son charme.

Je l'ai désigné d'un signe de tête, bien qu'Andrew ne me regardait pas à ce moment-là.

— On va s'assoir ?

— Tu es malade, a-t-il ri, c'est en plein milieu.

J'ai d'abord haussé les épaules avant de rétorquer :

— Il n'y a pas beaucoup de monde, et puis tu peux te dire que tu n'y reviendras plus jamais. On n'y reviendra plus jamais. Et puis, les gens n'en ont rien à faire.

Il s'est tourné vers moi en souriant.

— Ouais, tu as raison.

Alors, nous y sommes allés. Nous avons monté les quelques marches et nous sommes blottis contre la barrière, dans l'ombre.

— C'est sûr que tout le monde nous voit là, ai-je lancé avec ironie, en rigolant.

— Bon, ça va...

Puis, sans que je m'y attende le moindre du monde, il m'a prit la main. Ses doigts se sont lacés aux miens, doucement. Je l'ai observé. Son visage détendu reflétait une sérénité surprenante. Je me suis penché pour l'embrasser. Etonnamment, il ne s'est pas défilé. Andrew s'est juste laissé faire.

Il avait compris que le monde extérieur n'avait aucune importance.

Et ça, c'était sans doute la plus belle de nos victoires.

***

Nous sommes rentrés à l'hôtel vers dix-sept heures trente. Papa avait tout remballé, lui aussi. Il fallait à présent accepter la réalité : nous devions partir. Quitter cette ville incroyable, pleine de charme et de magie. La ville où j'avais vécu ma plus belle histoire. Il s'en était passé des choses. Et je les oublierai jamais.

— Alors, mes tourtereaux, vous avez passé une bonne après-midi ? nous a demandé mon père en bouclant ma valise.

Il avait déjà mis la sienne à côté de la porte. Andrew, avant de sortir, avait insisté pour ranger lui-même son sac. Il n'arrêtait pas d'assommer mon père de formules de remerciements et c'était plutôt drôle à observer.

— Oui, excellente, a répondu Andrew en me lançant un sourire malin.

Ravageur.

Jamais je ne me lasserai de tomber un peu plus amoureux de lui.

Ses cheveux blond, son torse pâle, ses mains délicates, lui. Tout allait me manquer. Mais nous allions nous écrire. Par lettres. Enfin, pas seulement. Mais nous nous étions jurés de nous en envoyer au moins une par semaine. Le reste du temps se passerait au téléphone. Mais ni lui ni moi en étions accro. Et puis, on allait se revoir. Bientôt.

C'était promis.

Il allait venir à la maison, rencontrer ma mère, ma sœur et peut-être même ma grand-mère. D'ailleurs, j'ai pensé qu'il allait falloir que je lui raconte tout. Je n'avais pas vraiment peur de ça, à vrai dire. J'avais confiance en elle.

— Il faut y aller, maintenant !

Mon père a appuyé sur la poignée d'un air déterminé et nous sommes sortis un à un. Il est allé payer le gérant et nous sommes enfin partis. Le soleil était encore perché bien haut, mon père s'est étonné de la température et nous avons ri. Parce que c'était sans doute la meilleure chose à faire à cet instant.

Les pièces de théâtre ne se lisent pasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant