Karen m'a alors emmené dans la cuisine et m'a prié de m'assoir. Elle s'est fait un thé – m'ayant demandé avant si j'en souhaitais un et j'avais refusé – et est venue en face de moi. Sa tasse bouillante dégageait une odeur agréable, qui n'a pourtant pas suffit à me calmer. Mon cœur battait vite, ma gorge était nouée comme pas possible. De quoi voulait-elle me parler ? J'ai même cru qu'elle me renverrait chez moi. Tout y était passé. Elle a croisé ses bras et m'a regardé dans les yeux en souriant. Je demeurais figé, incapable de me donner un air détendu et naturel. Après avoir avalé une gorgée de sa boisson chaude, Karen m'a pris la main. De la même manière qu'elle me prenait l'épaule. Je me suis raidit et elle l'a vu immédiatement.
— Détends-toi, je ne pense pas faire si peur que ça.
J'ai souri maladroitement.
— J'ai l'impression de te revoir le jour de ton arrivée. Tu es tout aussi blanc, a-t-elle poursuivit en riant doucement.
— Désolé.
— Désolé ?
— De vous faire croire que vous faîtes peur. Ce n'est pas le cas.
Elle m'a sourit et a repris une gorgée de thé.
— Bon, et bien tant mieux.
— Oui. De quoi voulez-vous me parler, Karen ?
Elle a de nouveau croisé les bras, et m'a regardé dans le blanc de l'œil. Je ne pouvais plus attendre ; il fallait qu'elle réponde pour que je me détende.
— Léonard... a-t-elle commencé de sa voix douce. J'ai remarqué quelques chose ces derniers jours.
J'ai dégluti. Comment ça ? Avais-je fait quelque chose de mal ? J'ai réfléchi rapidement et rien ne m'est venu en tête. Pour moi, mon comportement était irréprochable. Alors quoi ? Qu'y avait-il ? J'ai souri timidement, et arqué un sourcil.
— Quoi donc ?
— J'ai vu la manière dont tu regardes mon fils.
J'ai avalé de travers. Comment ça ? Que trahissait mon regard ? Je ne comprenais pas où elle voulait en venir.
J'ai bredouillé.
— And...Andrew ? Je... je le regarde ? Que voulez-vous dire ?
— Keep calm, Léonard. Je ne te reproche rien.
Elle a ri gentiment et a poursuivi :
— Je veux dire que tu l'attends, tu ne regardes dès qu'il entre dans une pièce, tu le cherches constamment. Tes yeux brillent et je sais que tu n'y peux rien.
Je m'étais pris un coup en pleine face. Était-elle en train de dire que j'étais psychopathe ? Je ne comprenais toujours pas ce qu'elle essayait de m'expliquer. Et elle restait calme, très calme. Elle buvait son thé lentement, comme l'aurait fait Andrew.
— Tu l'aimes bien, non ?
J'ai senti mes joues s'enflammer, mon pouls s'accélérer. Il me fallait de l'air.
— Il est très gentil, mais... Je ne suis là que depuis six jours je ne sais pas... Aimer bien ? Je...
— Vous êtes déjà très proches, je ne reconnais pas mon fils. Si je te dis ça, Léonard, c'est parce qu'avant que tu arrives, il était incapable de discuter avec des jeunes de votre âge. Il faisait de nombreuses crises de panique. Et avec toi...
— Des crises de panique ? me suis-je exclamé, interpellé.
Elle a avalé encore un peu de thé et m'a souri en croisant ses doigts devant elle. Pourtant, je l'ai sentie quelque peu plus anxieuse. Elle fronçait plus les sourcils et ses lèvres me paraissaient plus pincées. Avais-je été trop indiscret ?
— Andrew a été harcelé l'année dernière, a-t-elle murmuré en fuyant mon regard. Mais ce n'est pas à moi de t'en parler, il le fera s'il en a envie. Tout ça pour dire que tu es différent, Léonard.
Différent ?
— Nous le sommes tous.
— Pas pour Andrew.
J'ai encore avalé ma salive. Je ne parvenais pas à saisir ce qu'elle voulait me faire comprendre.
Karen s'est soudain mise complètement face à moi et m'a regardé dans les yeux. J'ai eu un mouvement de recul.
— J'aimerais que tu saches que tu peux m'en parler.
— De quoi ? me suis-je exclamé.
— De ce que tu ressens.
— Je ne ressens rien.
Elle a souri.
— Je vais être plus claire sinon nous sommes encore là cette nuit... Léonard, est-ce que tu as déjà été attiré par... des garçons ?
Si j'avais eu un thé, je l'aurais recraché. Je me suis alors mis à trembler. Moi, attiré par des garçons ? Gay ? Est-ce qu'elle était en train de me dire qu'elle me pensait attiré par Andrew ? Non, c'était impossible ! Mon cœur a redoublé de vitesse et mon visage s'est encore plus enflammé. Que pouvais-je lui répondre ? J'ai réfléchi rapidement, en baissant les yeux. Karen était gentille mais elle m'avait mis complètement mal-à-l'aise. Je ne sais pas si elle s'en rendait compte, probablement pas. En tout cas, elle n'avait pas sa langue dans sa poche.
— C'est quoi, l'attirance au juste ? parce que je... je n'ai aucune idée...
Je me suis frotté l'arrière du crâne.
— C'est une sorte de force qui t'attire vers quelqu'un. Le cœur qui s'emballe et yeux qui brillent à la simple vue de l'être aimé, les mains moites... Les fameux « papillons dans le ventre » ... As-tu déjà ressenti ça ? Un intérêt particulier ? Cette conversation restera entre nous, je te le promets.
Cœur qui s'emballe.
Force.
Intérêt.
Pour un garçon ?
Mais n'étais-je pas sensé aimer les filles ? C'est vrai que je n'avais rien ressenti pour le côté féminin. Mais masculin ? J'ai repensé à des garçons. En primaire, puis au collège. Un certain Louis m'est revenu en tête. Ce qu'il s'était passé en moi pour lui collait étrangement avec la description de Karen. Et puis Andrew ? Est-ce que c'était ça, aussi ? Est-ce que j'étais vraiment homosexuel ?
Et si Karen avait raison ?
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Les pièces de théâtre ne se lisent pas
RomanceQuand il apprend avoir obtenu le bac avec mention, Léonard est fou de joie. Il peut enfin réaliser son rêve : partir un mois à Londres dans une famille d'accueil. C'est ce que lui avaient promis ses parents. Parler anglais, c'est sa motivation. De...