Je me suis relevé en me tenant le ventre. J'ai pesté à voix basse, et l'ai insulté du mieux que j'ai pu dans ma tête. Andrew ne disait rien. Je ne l'entendais plus. Il demeurait debout, la tête dans les mains, le corps entier se soulevant à chacune de ses profondes respirations. Connor avait sorti son téléphone. En silence, nous écoutions.
C'était la fin.
— Dis-moi, Karen, t'aurais le numéro du père du gosse ? a-t-il lancé à son portable.
Mon père. Il allait appeler mon père.
— Vous ne pouvez pas faire ça, ai-je balancé sans réfléchir.
Le problème, c'est qu'il avait tout à fait le droit. J'ai regardé Andrew, encore. Il fixait toujours le sol. Il n'avait pas l'air de pleurer, mais plutôt envie d'hurler.
Moi aussi.
Connor a tourné les yeux vers moi en m'entendant. Il avait un regard malin qui me donnait une envie de meurtre.
— Ah oui ? Tu crois vraiment ? m'a-t-il répondu. C'est dommage, à ton âge, d'être si ignorant. Maintenant, tais-toi et laisse-moi faire ce que j'ai à faire.
J'ai serré plus fort encore les poings contre mes paumes. Si j'avais eu des ongles, je me serais fait saigner. Dans tous les cas, la souffrance était là. D'en bas, Keith a demandé « ça va les petits jeunes ? » en rigolant. Connor a pris plaisir à le rassurer d'une voix mielleuse, avant de remettre son téléphone contre son oreille.
— Je te demande un numéro, Karen ! Pas ton avis.
Karen... L'aimait-elle vraiment ? J'avais de la peine. Pour elle, pour Mary, et pour Andrew.
Quand est-ce que tout ça allait se finir ? Quand est-ce que Connor leur foutrait la paix ? Probablement jamais avant sa mort.
Si seulement je pouvais la lui donner, à cet égoïste.
Quelques secondes après, il a raccroché. Puis l'alerte d'un nouveau message a glacé de nouveau mon sang. Bientôt, il appellerait mon père. Celui qui avait toujours cru à la « descendance parfaite », avec une jolie belle fille. Un mariage normal. Un regard de la société normal. Un fils normal. J'étais l'unique. Il allait être déçu. Mais le pire dans tout ça, c'est que ça soit un connard qui lui annonce. Ce fameux coming-out, c'était maintenant. J'aurais aimé qu'il se passe autrement. Et si notre relation – si forte était-elle – disparaissait à jamais ? Et s'il ne comprenait pas ? Et qu'allait-il en être de ma mère ? Je n'étais pas assez proche d'elle pour émettre la moindre hypothèse.
Devant mes yeux, Connor a tapé une suite de chiffres que je connaissais bien sur son clavier tactile. Quelques secondes plus tard, l'appel était lancé. J'entendais depuis ma place les bips résonner longuement. Qu'allait-il lui dire ?
Des milliers de scénarios se battaient dans mon crâne. Seul un gagnerait.
Alea jacta est.
— Oui, bonjour ?
Soudain, une illumination. Et si mon père ne comprenait pas ?
Non, impossible. Il était trop fort en anglais.
Je me mordais les doigts de l'avoir aidé à s'améliorer. Juste pour ça. C'était terrible.
Le volume sonore du portable était si fort que j'ai entendu la voix de mon père, bredouillant dans son niveau de langue à peine correct. Mais assez pour entretenir une conversation avec ce con.
— Bonjour. Il y a un problème ? Vous êtes bien monsieur Maxwell ?
Était-ce une bonne idée, que je tende l'oreille ? Je n'en savais rien. De toute manière, je ne savais faire autrement.
— Oui, tout à fait.
Son hypocrisie me donnait envie de vomir.
— Et bien sûr, nous avons un... hum, léger... enfin pas si léger que ça... problème, a-t-il poursuivi.
— Dîtes-moi, je vous en prie.
Mon petit papa.
Connor s'est râclé la gorge. Je savais que c'était le début de la fin pour moi, pour ma famille. Ou bien fallait-il que je fasse confiance à mon père ? Et si cela ne lui causait pas de problème ?
— Mon fils est amoureux du vôtre et il est fort probable que ça soit réciproque. Je vous rassure, je suis de retour et toutes ces déviances de comportement sont à présent terminées. Je vous recommande vivement de le remettre à sa place. Je ferai de même de mon côté. Bien sûr, cela prend du temps pour qu'ils comprennent. Ils ont besoin de murir, vous voyez ? Ca fait plus de deux ans que nous y travaillons, mais l'arrivée de votre fils et mon séjour en Italie ont fait dégénérer...
Le bip régulier de l'appareil l'a interrompu. Tremblant de tout mon corps, j'étais face à l'ignorance. Pendant combien de temps, encore ? Si seulement mon père avait été ici...
Connor, vexé, a serré fort l'objet entre ses doigts avant de se tourner entièrement vers nous. Je n'osais plus regarder le blond, qui n'avait pas bougé. Il m'inquiétait. Tout m'inquiétait.
— Je vais rappeler ton père et lui dire que tu fais tes valises, m'a-t-il dit. Je ne veux pas deux pédés chez moi.
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Les pièces de théâtre ne se lisent pas
RomanceQuand il apprend avoir obtenu le bac avec mention, Léonard est fou de joie. Il peut enfin réaliser son rêve : partir un mois à Londres dans une famille d'accueil. C'est ce que lui avaient promis ses parents. Parler anglais, c'est sa motivation. De...