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Il était à peu près dix heures. Nous prenions le petit-déjeuner sur la terrasse de l'hôtel. Le soleil, déjà brûlant, réchauffait nos esprits en tourmente. Mon père sortait ses meilleures blagues – qu'il tentait tant bien que mal de traduire – pour détendre l'atmosphère, et ça semblait fonctionner un peu sur Andrew. Il souriait, c'était le principal. Je gardais mon genou contre le sien, c'était pour qu'il comprenne que j'étais là, coûte que coûte. Que je l'aimais. Mais ça, il le savait déjà.

— Quel est l'acteur qui a la main verte ? a tenté mon père entre deux bouchées de pancake.

Andrew nous a alors lancé un regard plein d'incompréhension. Ça, c'est parce que mon père avait traduit « main verte » mot pour mot. Je ne suis pas certain que cette expression est compréhensible, dans le pays d'Elizabeth.

To have the green thumb, ai-je expliqué.

Puis, connaissant la réponse (« Jean Dujardin », trop facile) je me suis tourné vers mon père :

— Mais, comment veux-tu qu'il connaisse ? Ta blague ne marche pas, je suis désolé.

— Tu es marrant, toi aussi ! C'est pas si facile !

— Je le sais ça, que je suis mar...

Soudain, une voix bien connue m'a interrompu :

— Bonjour tout le monde !

C'était Karen. Nous qui comptions l'appeler !

Je me suis tourné vers elle. La mère d'Andrew avançait, lunettes de soleil sur le front, sourire inquiet. J'étais ravie de la voir. Andrew s'est levé d'un coup, a hésité ensuite, puis s'est résolu à aller la serrer dans ses bras.

Mon père et moi étions cloués au sol, avec un immense sourire. Ils étaient magnifiques.

Karen s'est ensuite approchée pour nous saluer. Elle n'arrêtait pas de se frotter le menton ; quelque chose la préoccupait.

— Comment allez-vous ? a-t-elle demandé en saisissant la quatrième chaise.

— Bien, s'est empressé de répondre Andrew.

J'avais compris qu'il ne comptait nullement parler de ce qu'il s'était passé cette nuit. Mon père aussi. C'était son choix. Et puis, il n'était pas question d'inquiéter davantage Karen.

— Et vous ? ai-je ajouté.

— Et moi ? Eh bien, je... je viens vous apporter des nouvelles.

J'ai saisi la main d'Andrew. C'était important. Il n'était pas seul. Karen s'est tournée entièrement vers lui, plongeant ses yeux dans ceux du blond. J'ai deviné qu'elle s'apprêtait à dire quelque chose d'énorme. De radical. Peut-être une merveilleuse chose. Je n'en savais rien, alors j'ai écouté.

En inspirant profondément, elle a posé sa main sur l'épaule de son fils.

— Tout est fini, je te le promets.

C'est alors qu'une larme n'a pas pu s'empêcher de s'évader. Je n'avais pas encore vu Karen aussi émue !

Andrew a esquissé un sourire, les yeux attentifs.

Tout est fini ? a-t-il répété, ébahi, ne sachant probablement pas tellement quoi en penser.

On va aller à la maison, faire nos valises, et monter dans la voiture, s'empressait-elle de dire. On part.

Andrew s'est levé pour la serrer dans ses bras. J'ai immédiatement lâché sa main. Il s'est effondré, et sa mère aussi. J'ai manqué de les rejoindre. On avait tellement attendu ce moment !

— Où est-ce qu'on va aller ? a demandé Andrew.

Sa voix était étouffée, bloquée par l'étreinte de sa mère.

— A Brighton, chez mon cousin. Tu sais, je t'en ai souvent parlé. Ce n'est qu'en attendant ! On va trouver un autre endroit où vivre, d'accord ?

— Et Mary ? Et la justice ? Il ne nous lâchera jamais, tu sais ?

— Ce sont des détails. On va y arriver.

— Tu as réfléchi combien de temps pour en arriver là ? Maman, je suis tellement heureux...

Karen s'est détachée un peu pour replonger ses yeux dans les siens.

— Je sais, mon garçon. Je sais. A vrai dire, je suis passée chez ta cousine de bonne heure ce matin. Je n'ai presque pas dormi. Je leur ai tout expliqué. Lauren m'a bien aidée...

— Et où est Mary, en ce moment ?

— Je l'ai laissée chez eux. Ça aurait été trop compliqué de l'emmener ici, tu comprends ?

— Oui. Oui, bien sûr.

Il a affiché un sourire compréhensif. Je ne pouvais être plus heureux pour eux. La journée commençait bien. Pourtant, je savais qu'on allait bientôt devoir se séparer. Ils ne tarderaient pas à quitter Londres... 

Les pièces de théâtre ne se lisent pasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant