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Nous sommes au milieu de l'été et je viens d'apprendre par mon père qu'à la rentrée je serai en pension. Je suis terrifié à cette idée. Je ne comprends pas pourquoi la pension puisque le collège se situe à tout juste vingts minutes de chez nous.

- Père, pourquoi m'envoyer en pension ? Je peux tout à fait continuer ici avec le précepteur ou alors Harry notre chauffeur peut me conduire tous les jours au collège.

- Nous nous passerons de votre précepteur. Il s'agit là plus d'un charlatan que d'un enseignant. Dans ce collège vous recevrez un enseignement et une éducation bien plus en rapport avec votre statut social sans que l'on vous mette en tête des idées absurdes sur les autres classes sociales dont nous n'avons que faire. Me suis-je bien fait comprendre Enguerand ?

- Mais moi je ne veux pas aller en pension, je veux être à la maison le soir. Je veux voir mère !

- Je ne vous ai pas demandé votre avis. Ici c'est moi et moi seul qui prends les décisions, qu'elles vous conviennent ou non. Je vous l'ai maintes fois expliqué, rabâché mais sans doute êtes vous trop stupide pour le comprendre. Vous ferez tout ce que je vous dis de faire au moment où je vous le dis et sans discussion possible. Quant à votre mère vous voyez bien qu'elle n'est plus capable de quoique ce soit.

- Vous êtes méchant ! Vous ne nous aimez pas mère et moi !

- Je ne vous permets pas de vous adresser à moi de la sorte ! Et pour votre gouverne vous n'êtes pas né pour être aimé. Vous êtes né pour me succéder, pour que notre lignée, notre nom survivent ! Vous êtes né parce que l'enfant qui vous précédait est mort, sinon croyez bien vous n'auriez pas vu le jour !

- Je vous déteste !

- Ça m'est bien égal, je ne vous aime pas non plus. Il aurait été préférable pour cette famille que notre aîné ait survécu à sa chute de cheval, il était bien plus respectueux des conventions que vous ne le serez jamais. Malheureusement le destin n'en a fait qu'à sa tête. Mais je peux vous assurer que quand nous nous reverrons vous filerez droit. Je paie ce collège pour qu'il fasse de vous ce que j'attends quitte à ce vous soyez brisé pour cela !

Du haut de mes dix ans passés je ne saisis pas tout ce qu'il me dit. Je devrais pourtant il me le dit si souvent. Quand j'en parlais avec mon précepteur il me regardait tristement sans pour autant m'expliquer ce qui restait flou pour moi.
Ce qui ne m'échappe pas c'est que j'ai eu un grand frère, qu'il est mort et que c'est pour ça que moi j'existe. Sans le connaître je lui en veux d'être mort. Parce que moi je suis malheureux. Je n'ai pas d'amis, je ne fréquente que des adultes et je n'ai pas le droit de m'amuser. Je dois me tenir bien droit, ne pas parler. La seule fois où j'ai rigolé c'est loin déjà. Je n'ai jamais revu le garçon avec qui j'avais joué. Ce soir là je m'étais fait hurler dessus par père et ma nounou est partie et n'est pas revenue. Bien plus tard Harry m'a avoué qu'elle avait été renvoyée parce qu'elle n'avait pas réussi, aux dires de père, à me tenir. J'ai reçu une punition et toute la nuit j'ai dû rester sur les genoux tenant le reste de mon corps droit jusqu'au matin. Ça fait très mal et si je commence à m'affaisser, je reçois un coup de cravache sur les fesses. Père adore me punir de cette façon. Je ne vois presque pas mère. Elle s'enferme souvent dans sa chambre. Elle ne prend pas ma défense, jamais.

Harry me dépose devant la grille du collège avec ma grande valise. Je ne rentrerai pas au château avant les prochaines vacances. En partant je n'ai rencontré ni père ni mère. Je ne m'attendais pas à une bise ou un câlin de leur part, n'en ayant jamais eu, mais peut-être à un au revoir. Même ça c'est trop. Je ne sais pas vraiment comment c'est dans les autres familles, mais je suis certain que ce n'est pas comme chez moi. Dans les livres que j'ai lu avec le précepteur, il y avait des histoires avec des familles où les parents aiment leurs enfants et même que ceux-ci les appellent papa, maman. J'ai essayé une fois avec père. Il m'a giflé si fort que j'ai eu la trace de ses doigts pendant plusieurs heures et puis il s'est fâché avec mon enseignant. J'ai bien vite su que je ne faisais pas partie de ces familles.

Le directeur de l'établissement, habillé d'un costume austère rehaussé d'un noeud papillon, m'accueille et me conduit jusqu'au dortoir qui compte vingts lits. Il profite que je sois seul à être arrivé pour m'expliquer le règlement de l'établissement. Évidemment cette école n'est pas mixte, il fallait s'en douter. C'est stricte. Les cours commencent à 8h et terminent à 17h. Ils sont suivis d'un goûter et d'un quart d'heure de récréation. Nous avons étude jusqu'à 19h15 en respectant le plus grand silence. Pour 20h nous devons avoir fini de dîner et avoir regagné le dortoir. Extinction des feux à 21h. Pour moi, tout ça ne me changera pas trop, sauf que je n'avais pas étude puisque tout était fait en même temps que les cours.
Je suis dans la cour depuis un moment et je vois un défilé de garçons de mon âge ou plus âgés arriver. Certains ont des valises, d'autres non. Les élèves ici sont soit externes, soit demi-pensionnaires ou internes. Quasiment tous sont accompagnés de leurs parents et rien que ça me fait un pincement dans la poitrine, alors quand je vois les autres recevoir des étreintes, des bises pour les au revoir, je me sens profondément triste. Je les envie. Pourquoi moi je n'ai jamais eu ces gestes avec mes parents juste avec ma nounou Constance ? C'est bête de me poser encore la question puisque ça fait longtemps que je connais la réponse.

Au fur et à mesure ne restent que les collégiens et des groupes se forment déjà. Je suppose que les enfants se connaissent. Je suis seul dans mon coin à les observer. On est tous habillés un peu pareil. Chemise, blaser, pantalon en toile et souliers vernis. Nous devons être comme le dit père du même rang social. De parfaits petits bourgeois.

Les sixièmes sont invités à se mettre en rang par deux. L'appel est fait et nous sommes répartis en deux classes. Des noms de famille ne me sont pas inconnus. Probablement des fréquentations de père.

L'habit ne fait pas le moine (Tome 3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant