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Seul
Silence
Fracas

Ils sont tous rentrés dans leur famille. Je dois maintenant faire face à ce silence assourdissant. Je suis seul, désespérément et incroyablement seul. Eux sont en famille. Moi, ma famille ne veut pas de moi. Je monte à l'internat et pour ne pas me sentir oppressé par ce silence je claque les portes avec fracas. La rage, la colère m'animent et je shoote dans tout ce qui se présente devant moi. C'est ma façon d'expulser ma haine. Une heure à me « défouler ». Une heure à taper, hurler puis m'effondrer. On pourrait croire qu'une tornade est passée par ici et a laissé le dortoir sans dessus-dessous. J'en rigole mais c'est plus du désespoir, pour ne pas pleurer.
Quand sonnera l'heure de la rentrée et le retour des internes, je vais passer un mauvais quart d'heure sinon plus. Mais je m'en tape royalement. Moi je m'attaque au mobilier. Mon père s'attaque à moi. Qu'est-ce qui est le mieux ? C'est quoi la différence ? C'est simple. Mon carnage se voit, le sien est invisible aux yeux des autres. Moi on va me prendre pour un parfait petit con qui ne respecte rien ni personne. Lui, il parait avoir toutes les qualités sauf que l'habit ne fait pas le moine. Est-ce que les gens autour sont dupes ? Est-ce que tous les parents de SON rang sont ainsi ? Est-ce qu'ils font tous semblant en société ?

Après le carnage dans mon esprit et dans le dortoir, je me pose sur mon lit, le seul endroit que j'ai épargné. La fatigue de toutes ces émotions m'emporte dans un sommeil agité. Aucunement réparateur. Au petit matin je me réveille et c'est encore ce silence qui me frappe. Depuis le début de l'année scolaire, même sans que nous parlions ou fassions du bruit, on entend les respirations, les petits ronflements, un ou un autre qui se lève discrètement pour aller aux toilettes... du bruit, quoiqu'on fasse, il y en a. Mais pas là. Je suis allongé sur le dos, immobile, je regarde le plafond et j'écoute le silence. C'est flippant, angoissant au possible. Et dire que ce n'est que le premier matin seul. Cette petite douleur à la poitrine est de nouveau présente. Mes yeux piquent. Je ne pleurerai pas. Je me le suis promis.

Je me lève, vais prendre ma douche et je m'habille. Je descends au réfectoire. Mon plateau d'hier soir, intact, est toujours sur la table et mon petit déjeuner est posé à côté. Je crois bien que pendant les quinze jours je n'aurais pas le loisir de voir ce cher vieux ronchon de concierge. À cet instant, la pièce me paraît immense alors que quand nous sommes tous à table on a l'impression d'être serrés comme des sardines en boîte. Là encore le silence m'entoure. Alors pour le faire taire je prends ma petite cuillère et frappe sur les différents couverts disposés devant moi. Ce n'est pas de la musique, c'est même casse-oreilles mais au moins il y a du bruit. C'est ridicule mais moins angoissant. J'ai pris beaucoup de temps à mon petit déjeuner mais va bien falloir que je comble mes journées d'une manière ou d'une autre. Je ne sais pas ce que je vais faire de tout ce temps. De tout ce temps, Seul. Et puis d'un coup une lumière ! Mais oui, je n'ai pas regardé le contenu du sac que m'a offert le père de Camille. Mon moral remonte en flèche tout comme moi vers le dortoir.

Il est là, sous mon lit. Je m'assoie et le ramène vers moi. J'ai presque peur de l'ouvrir. Et si j'étais déçu ? Déçu ?! Non mais c'est n'importe quoi. Comment être déçu du geste qu'un inconnu fait pour toi. Comment être déçu d'un cadeau que tu n'attendais pas.
En tous cas, le sac est gros. Je reste l'observer encore un peu essayant d'imaginer ce qu'il peut contenir. Je me triture les méninges pour rien parce que je n'ai qu'à l'ouvrir pour savoir. Et c'est ce que je commence précautionneusement à faire. Je vois tout de suite que ça contient plusieurs choses en fait. Je sors ce qui parait être le plus gros. C'est comme quand on a des fraises devant nous, on choisit toujours la plus grosse. Et là c'est juste Waouh. Un petit radio-Cd et plusieurs cd. Je me précipite pour le brancher et mettre un des cd. Adieu le silence. C'est comme si le père de Camille savait... pour ça je lui serai éternellement reconnaissant. La musique à fond, je continue et sors un nouvel objet. C'est la caverne d'Ali Baba. Un skate ! Des livres et un cahier. Je ne comprends pas trop le pourquoi du cahier sauf quand je lis ce qui y est inscrit sur la première page.

Enguerand,
Je ne sais que trop bien combien cette situation doit te peser, te paraître injuste. Et tu as raison de le penser. Les enfants ne devraient pas avoir à vivre ça, « cet abandon » qui ne porte pas son nom.
Pour endiguer le flot de tes émotions tu trouveras en ce cahier de quoi les exprimer. C'est ce que j'ai eu fait. J'ai préféré écrire plutôt que de laisser ces émotions négatives prendre possession de moi et me faire devenir quelqu'un que je n'aurais pas aimé.
Utilise-le ou non. Ce cahier te racontera plus tard un moment de ta vie. Tu peux y mettre tout ce que tu veux, les bonnes comme les mauvaises pensées. A toi de voir.

Prends soin de toi.

Henri Claudel

Bon ok, je pleure. Mais j'ai dit que ce ne serait jamais pour ce que mon père me fait. Et bien là je pleure pour le père d'un autre. Pour ses attentions. Chaque objet a une signification particulière. La musique contre le silence. Le skate contre l'ennui. Les livres pour le voyage. Le cahier pour me raconter. Ce sont les plus beaux cadeaux de toute ma vie. Et pourtant des objets en veux-tu en voilà j'en ai eu. Pour compenser l'affection que personne de ma famille ne peut me donner.
Quelle chance pour moi d'avoir rencontré Camille. Qu'il soit mon ami. Il doit tenir sa profonde gentillesse de son père.

J'enfile mon manteau et pars direction la cour pour essayer mon nouveau skate. Je ne prends pas la peine d'éteindre la musique. Après tout les murs n'aiment peut-être pas le silence non plus.
Il fait beau et ça me permet de jouer presque toute la matinée. En attendant que mon plateau repas soit servi, je m'assoie sur le petit muret qui donne sur la rue passante devant le collège. J'observe les gens. Il y a les pressés, les amoureux qui s'arrêtent tous les cinq pas pour s'embrasser. Beurk, je ne les envie pas. Il y a les enfants qui courent, les mamans qui râlent parce qu'ils s'éloignent trop. C'est la vie quoi. Et la tristesse me submerge. C'est la vie que je n'ai pas.
Et quand mes pensées commencent à dériver, une petite tête apparaît juste au-dessous de mon siège improvisé sur ce mur.

- Qu'est-ce que tu fais là-haut, tu vas tomber et t'auras mal.
À qui est cette petite bouille ronde qui m'observe, la tête relevée au maximum ? La petite fille se tient sur la pointe des pieds pour mieux me voir. Ses yeux verts pétillent de malice. Je lui souris et elle aussi. Il lui manque les deux dents de devant. Elle est rigolote je trouve.

- Non non, je ne vais pas tomber. Ne t'en fais pas. Mais t'es toute seule ?

- Ben non. J'suis trop petite. On va au parc faire un pique-nique. Maman est là-bas. Elle discute avec une dame. Et puis y a mes frères et notre copine. C'est dommage papa peut pas être là parce qu'il est au boulot.

- C'est chouette d'aller pique-niquer.

- Tu vas pas toi ?

- Orlane. On t'attend ma chérie.

- Oui maman j'arrive.

- Tiens, me dit-elle en me donnant un bonbon. Maman dit que ça fait du bien quand on a mal au cœur.

- Merci. Cette fille doit avoir cinq ou six ans et malgré notre différence d'âge je suis content qu'elle se soit arrêtée me parler. Est-ce que si petit on voit quand quelqu'un est triste ?

L'habit ne fait pas le moine (Tome 3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant