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Les heures sont devenues des jours, les jours des semaines et les semaines des mois. Des mois durant lesquels j'ai perdu le goût de vivre. J'avais mes piliers qui me maintenaient la tête hors de l'eau. Malgré cela je n'étais plus qu'une coquille vide.

Chaque jour je m'astreignais à me lever de bonne heure, à m'activer pour ne pas penser à elle. Mais la nuit quand je me couchais, que mon cerveau n'était plus occupé dans les tâches que je lui imposais, dans le silence de ma chambre je m'effondrais. Mes larmes s'étaient taries à force mais mes souvenirs, eux, prenaient trop de place et anéantissaient tous les efforts que je faisais pour préserver ma santé mentale. Elle me manquait tant, la souffrance prenait le pas sur tout le reste.

Les premiers temps elle m'envoyait tous les jours des sms. Elle savait que je n'y répondrais pas mais elle persistait. Puis ils se sont espacés pour disparaître complètement. Elle était sans doute passée à autre chose. J'étais encore plus malheureux à cette idée, alors parfois je préférais croire que ses études lui prenaient tout son temps. Il en allait de ma survie.

J'avais perdu du poids, de façon considérable. Mon reflet dans le miroir me renvoyait l'image d'un jeune homme cerné au visage émacié et triste. Au regard inexpressif.
Je parlais à minima, travaillais d'arrache-pied pour finaliser le centre d'accueil. Ma vie sociale était inexistante. Je m'étais enfermé dans une bulle sensée me protéger.

Le 24 octobre était passé. J'avais refusé de me tenir informé sur les raisons invoquées pour expliquer l'annulation de MON mariage. Je ne regardais plus les journaux et remisé mon portable. J'avais coupé tout contact.

Camille et Vincent venaient régulièrement les week-ends. Ils n'arrivaient pas pour autant à me faire sourire avec les anecdotes sur les uns ou les autres de la bande, à me faire sortir de cet état dépressif.
Le sujet principal était lui totalement occulté. Pourtant ça me brûlait à chaque fois les lèvres de leur demander comment elle allait. Je me retenais juste à temps parce qu'aucune réponse n'aurait pu me satisfaire. S'ils m'avaient répondu qu'elle était dans le même état que le mien je m'en serais terriblement voulu. S'ils m'avaient répondu qu'elle allait bien, je crois que je lui en aurais un peu voulu. Pire s'ils m'avaient annoncé qu'elle m'avait remplacé. Je préférais donc rester dans l'ignorance, dans mon questionnement même si ça me bouffait de l'intérieur.

Pendant les vacances de la Toussaint ils sont revenus une semaine accompagnés de Yannis et Adam, de Fauve et Jehann. Mon malaise ne m'a pas quitté de la semaine et la présence de Yannis n'y était pas étrangère. Cam m'avait dit qu'il avait insisté pour venir me voir et il n'avait pas eu le cœur de le lui refuser. Ils se sont tous démenés pour que j'aille mieux. J'ai eu le droit à la sortie restau, bowling, pubs. Je voyais bien leurs échanges de regards inquiets devant mon manque d'entrain, de communication. Au moment de leur départ je n'ai pas été foutu de leur dire merci. Merci d'être venus me soutenir. Avant de partir Yannis m'a fixé comme s'il voulait lire en moi. Nous sommes restés comme ça de longues secondes sans nous parler. J'avais largué sa sœur de la plus lâche des manières et pourtant je suis certain qu'il avait de la peine pour moi.

Après demain c'est le réveillon du nouvel an. Françoise et Henri m'emmènent avec eux fêter cette transition, comme si ce changement d'année allait changer ma vie, nos vies. Ils m'emmènent pratiquement de force parce que s'il y a bien un endroit où je ne veux pas me retrouver c'est là-bas avec eux. Nous serons tous ensemble dans le bar l'éden. La bande s'étant étoffée l'appartement de Cam n'est plus suffisamment grand.

A la sortie de l'avion je repère Hugo. Il semble heureux de me voir. Moi je le suis également mais toujours pas de sourire. Il me regarde de la tête au pieds et son visage s'assombrit. Ironique pour un black. Il ne s'attendait sans doute pas à me voir si décharné.

Je suis de retour dans mon appartement et un étau serre ma poitrine. Les souvenirs de ma fiker viennent me percuter de plein fouet. C'est comme si elle se matérialisait devant moi et puis au fil des secondes sa silhouette s'estompe pour totalement disparaître. Je vais me réfugier dans ma chambre plantant là les parents de mon meilleur ami et Hugo.

Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit. Une nuit de plus. Mes cernes, ma maigreur, ma pâleur font penser à un junkie. Aucun fringue resté ici le temps de mon absence ne me va. Je vais être obligé d'aller m'acheter quelque chose à porter et ça me saoul. Tout ça pour une soirée où je ne veux pas me rendre. J'y vais par obligation, par loyauté vis à vis de Françoise et Henri et pour faire plaisir à la bande. J'ai déjà mis les choses au point en précisant que j'y ferai un passage éclair. Je ne suis pas masochiste au point de me faire souffrir toute la nuit aux yeux de tous.

Nous sortons de l'appartement, tous trois apprêtés pour cette « fête ». La soirée où je vais la revoir après tous ces mois. Comme j'ai tout fait pour retarder au maximum notre arrivée, nous sommes les derniers. C'est vrai que de nous voir tous regroupés ainsi ça commence à faire du monde. Je les salue tous au fur et à mesure de mon avancée dans le bar. Je discute un peu avec chacun jusqu'au moment fatidique. Elle se tient là devant moi. Son frère lui murmure quelque chose à l'oreille et il a l'air mécontent. C'est alors que je me rends-compte qu'une personne que je ne connais pas est à ses côtés et ils se tiennent la main. Je n'arrive pas à détacher mes yeux de ses doigts imbriqués les uns aux autres. Je sens le regard de tout le monde sur moi. J'aimerais que mon cœur soit mort pour ne pas ressentir la souffrance qui m'assaille. Je n'ai que ce que je mérite. C'est moi qui l'ai quittée, c'est moi qui n'as répondu à ses sms.
Une force sortie de je ne sais où me fait avancer vers elle. Je lui fais la bise et serre la main de son petit ami. Je ne me présente pas et ne lui demande pas non plus son prénom.

J'avais dit que je ferai un passage éclair. Voilà c'est fait. C'est plus faible que jamais que je fais demi-jour et rentre seul chez moi. Camille est sorti sur le trottoir. Il m'a serré fort dans ses bras et m'a glissé à l'oreille qu'il était désolé, qu'il ne savait pas. Qu'est-ce que ça aurait changé de toute façon ? À un moment ou un autre la réalité m'aurait rattrapé.

Avec du recul, j'aurais préféré ne jamais avoir vécu ces quelques mois de bonheur avec elle. J'aurais préféré parce que je n'aurais pas eu le cœur brisé comme aujourd'hui.

Il est minuit... Bonne année.

L'habit ne fait pas le moine (Tome 3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant