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Je commence à intégrer le rythme de l'école. Je m'y ennuie incroyablement. Heureusement pour moi j'ai trouvé en Camille un véritable ami et un complice pour toutes sortes de sottises. Parce que ce n'est pas la première punition qui m'a empêché de continuer à défier l'autorité mise en place dans cet établissement. Tous les jours je suis astreint tantôt au nettoyage des lavabos de l'internat, tantôt au balayage de la cour...
La plupart des garçons de ma classe me sortent par les trous de nez. Ils se pensent tellement supérieurs les uns aux autres que c'en est affligeant parce qu'au vu de leurs résultats scolaires je fermerais ma gueule à leur place. Par chance, si je puis dire, c'est bien l'un des seuls domaines pour lequel je suis irréprochable. A vrai dire, je ne sais trop comment parce que je ne suis pas particulièrement attentif en classe. Les professeurs manquent de dynamisme et rendent les cours monotones à tel point qu'il m'arrive de somnoler. Camille aussi est un excellent élève. Je pense que ça nous sauve. Probablement aurions-nous déjà été virés si ça n'avait pas été le cas. Quelque part même si je n'aime pas être ici, maintenant ça m'embêterais drôlement de partir. Cela signifierait être séparé du seul ami que j'ai, du seul ami que j'ai eu d'ailleurs.

Au terme d'un mois d'école mon père a été convoqué par le directeur pour échanger sur mon comportement , « intolérable » selon lui. J'ai dû les rejoindre dans le bureau. A peine la porte refermée sur moi que je me prenais une gifle magistrale qui m'a envoyé direct au tapis. Le temps que je reprenne mes esprits, la porte se refermait dans un claquement si violent que je suis sûr avoir vu les murs et le directeur trembler. Mon père était reparti sans que j'ai eu le temps de l'apercevoir. Sans qu'il ne m'ait dit bonjour, sans me demander comment j'allais, sans me donner des nouvelles de mère. Uniquement en me faisant comprendre combien il me haïssait et que je faisais honte à son rang, à son statut social, cela étant tellement plus important que son fils.

Je pense que ce jour-là le directeur a pris conscience du pourquoi de ma révolte. Il est venu m'aider à me relever et m'a fait s'assoir sur le confortable fauteuil en face de son bureau. Il a passé une de ses mains sur son visage dans un profond soupir. Il s'est assis sur son siège de directeur. A son air j'ai senti que j'allais encore apprendre quelque chose qui ne me ferait pas plaisir. Et ça n'a pas loupé.

- Enguerand, euh... il prend une profonde inspiration. Ce qu'il s'apprête à me dire ne doit pas le satisfaire non plus. Vous allez devoir passer vos vacances de Toussaint dans notre établissement. Je... enfin.... vous serez seul ici pendant quinze jours. Le concierge restera présent mais il ne s'occupera pas de vous, à part pour les repas. Vous devrez trouver à vous occuper pendant cette période. Le Baron refuse que vous sortiez de l'enceinte scolaire.

- Il n'a pas le droit ! Il ne peut pas me faire ça ! Et mère ! Je veux la voir. Mes mots ont du mal à sortir, j'ai comme une grosse boule dans la gorge qui m'empêche de parler correctement.

- Madame n'est pas au domaine actuellement. Elle a dû s'absenter pour se reposer.

- Quoi ? Mais où ? Qu'est-ce qu'elle a ? Quand est-ce que je pourrais la voir ?

- Je ne sais pas. Le Baron ne m'a rien dit de plus à ce sujet.

- C'est de sa faute si mère est devenue comme ça. Elle est tout le temps fatiguée. Je le déteste !

Je sors en courant du bureau et pars me réfugier à l'internat où en journée nous ne sommes pas sensés aller. Je m'allonge sur mon lit et frappe de toutes mes forces sur le matelas. Ça plutôt que pleurer. Jamais je ne m'abaisserai à pleurer pour ce qu'il me fait subir.

Voilà, nous y sommes. Quasiment tous les parents arrivent pour ramener leurs enfants avec eux. Certains rentrent aussi avec leur chauffeur.
Camille vient me présenter à ses parents. Sa mère paraît toute douce, gentille. Son père le tient contre lui avec son bras posé sur ses épaules. Tous les trois se sourient et ça me fait mal à l'intérieur de la poitrine. Je suis heureux pour mon ami de voir que ses parents l'aiment. Je suis malheureux pour moi de voir combien les miens ne m'aiment pas.
Avant de partir Camille me prend dans ses bras et me serre très fort malgré son petit gabarit. Ses yeux brillent. Je sais qu'il est triste pour moi, il me l'a dit plusieurs fois. Ses parents ont été jusqu'à demander au directeur s'ils pouvaient me prendre pendant les vacances. Tout ça sans même me connaître. Simplement parce que je suis ami avec leur fils. Bien entendu leur demande a été refusée. Le directeur ne souhaitant pas d'ennuis avec mon père.
Le père de Camille me donne un grand sac, sans rien dire. Je le remercie sans même savoir ce qu'il contient. Ça n'a pas d'importance. Ils ont pensé à moi, à me faire plaisir. Des personnes qui me sont totalement inconnues ont pensé à moi. À moi. À me faire plaisir. Je n'en reviens pas. Tous les trois vont vers la sortie mais avant d'atteindre le portail Camille revient en courant m'étreindre et me souffler à l'oreille qu'il pensera à moi chaque jour. Je déglutis difficilement et baisse la tête. Je ne veux pas voir ses larmes. Je les ai senties couler. Si je le vois pleurer je risque d'en faire de même et je me suis juré de ne jamais montrer le chagrin que mon père m'inflige.

Mon ami cette fois-ci s'en va vraiment. Il ne se retourne pas. Il a tant d'empathie qu'il doit être en sanglots. Sa mère me regarde une dernière fois et me fait un petit signe de la main.
Je vois tous les élèves quitter un à un le collège. Certains me regardent tout en faisant un sourire de travers. Ils se réjouissent de ce qu'il m'arrive. Moi aussi je les déteste et j'ai bien l'intention de le leur montrer chaque jour que nous partagerons ici.

L'habit ne fait pas le moine (Tome 3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant