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Je suis avachi dans le canapé de mon appartement. Je ne pleure pas. Je n'en ai plus la force. Dès que je suis rentré j'ai appelé les personnes à qui je pouvais me confier. Je ne suis pas convaincu qu'elles aient compris grand-chose. Mes phrases étaient entrecoupées de sanglots, ma voix éraillée. Elles ont quand même dû en saisir l'essentiel puisque que moins d'un quart d'heure plus tard Camille est arrivé en panique.

Je viens de finir de tout lui raconter. Il ne dit rien mais les expressions sur son visage en disent beaucoup, elles. Il est passé de la consternation à la colère en un temps record. Moi je n'y arrive pas. La colère me demanderait trop d'énergie et je n'en ai plus. Vie de merde. Aussi loin que je m'en souvienne le Baron m'avait prévenu, soit je me pliais à ses ordres, soit il me détruirait. J'ai cru à plusieurs reprises qu'il avait réussi à m'enlever toute faculté à me relever, à m'élever loin de ses diktats. Pourtant à chaque fois j'ai réussi ! A chaque fois ! Mais à chaque fois ça n'impliquait que moi. Aujourd'hui il a compris qu'à travers la jeune femme que j'aime il peut m'atteindre. Plutôt que de s'attaquer à moi directement il prend Orlane comme « otage » de son machiavélisme. Je n'ai plus de moyens pour contrecarrer ses plans. Je ne suis pas en droit de détruire l'avenir d'Orlane parce que je ne veux pas me soumettre à mon salopard de père. Orlane était ma lumière. Dorénavant je naviguerai dans les ténèbres.

-Tu ne vas pas te résigner tout de même ? Parles-en à Orlane, elle doit connaître les desseins de ton père. Elle choisira.

-Non, si je lui dis tout ça tu sais très bien ce qu'elle va choisir. Moi ! Et plus tard elle me le reprochera, elle me détestera et je ne pourrais pas le supporter.

-Parce que tu crois vraiment qu'elle ne va pas t'en vouloir de la larguer là maintenant, sans explication ? Putain mais tire tes œillères ! Elle ne se contentera pas de ça !

-Je ne peux pas foutre sa vie en l'air ! Ce serait purement égoïste de ma part. Elle... elle s'en remettra. Elle aime trop la vie, elle la croque à pleines dents

-Et toi ? Toi tu réussiras à passer à autre chose ? Tu vas épouser l'autre pimbêche ? C'est ridicule !

-Ah ouais ? Tu ferais quoi à ma place ? Tu détruirais sa vie et la tienne ? Non, tu sais très bien que non ! Tu ferais ce qu'il y a de mieux. Tu détruirais une seule vie et tu sais très bien que ce serait la tienne !

-...

-Alors, tu n'as plus rien à opposer ? C'est parce que j'ai raison.

-Mes parents sont inquiets pour toi. Ils demandent si tu veux qu'ils viennent.

-Non, non. Je les dérange assez souvent comme ça.

-Tu sais très bien que tu fais partie de la famille, en aucun cas tu les déranges.

-Ouais je sais mais pas cette fois. Merci d'être toujours là pour moi. Et si on faisait une sortie juste entre mecs, histoire de m'aérer la tête.

-Si tu veux mais j'ai des doutes quant à la réussite.

Ni une ni deux, un sms part à tous les mecs de la bande avec un rdv dans un bar autre que l'éden. Je préfère un endroit qui ne me rappellera pas toutes nos sorties ensemble. C'est vital.

Le lendemain soir nous nous sommes tous retrouvés. Ce bar n'est pas aussi chaleureux que l'éden mais ça conviendra pour cette soirée purement masculine. J'ai eu cette idée pour changer d'air, je me disais que me retrouver avec mes potes qui sont ma famille je me sentirais mieux. Une fois de plus Camille avait raison, c'est un échec. Le rebelle nous apprend des épisodes de sa vie, ça plombe encore plus l'ambiance mais chacun essaie de détendre l'atmosphère après tout ça. Leur présence me fait quand même du bien.
Comble de malheurs, la bande de filles vient de faire son entrée dans le bar. Putain de Karma ! Qu'est-ce qu'elles foutent ici ?
Elles aussi sont surprises, elle ne devaient pas s'attendre à nous voir non plus. Elles rejoignent notre table alors je me tire au comptoir. Jehann y arrive peu de temps après. On ne parle pas, chacun tirant la tronche et bien ancré dans ses pensées. J'aperçois Orlane qui vient vers moi et là c'est au dessus de mes forces, je sors.

Le lendemain je erre dans mon appartement quand mon téléphone sonne. Numéro inconnu. J'hésite à répondre mais qu'est-ce que je risque de plus ?

-Enguerand ?

-...

-Enguerand, c'est Bérénice. Je... je suis désolée. Cette histoire prend des proportions hallucinantes. Il faut qu'on se voit. C'est urgent ! Je ne veux pas de ce mariage.

J'entends sa voix tremblante, je pourrais la plaindre, mais pas du tout, au contraire un sourire vient agrandir mes lèvres. De l'espoir, voilà ce que je ressens.

-Bien entendu, on se donne rdv quand et où ?

Nous dînons ensemble le soir même. Évidemment comme c'est elle qui a choisi le lieu nous sommes dans un restaurant à plusieurs étoiles. C'est si guindé que je suis mal à l'aise, ça fait si longtemps que je ne fréquente plus ce genre d'endroit. Peu importe, je suis ici pour trouver une porte de sortie à toute cette merde et Bérénice aussi.

-Je suis si contente que tu sois venu. Nous devons absolument trouver une solution. Je ne pensais pas que nos pères veuillent réellement aller jusqu'au bout de ce que je prenais pour un jeu. Pour être franche, je croyais que ton père voulait juste te faire enrager.

Elle a les yeux brillants et dans un élan de bonté je pose ma main sur la sienne. Je la rassure, jamais ils ne pourront nous marier contre notre gré. Nous devons faire face ensemble. Mes mots l'apaisent et enfin un sourire s'affiche sur son visage disgracieux.
Nous passons le reste du dîner à manger dans un silence inconfortable. Nous n'avons absolument rien en commun. Nos maigres discussions tournent autour de nos études.

C'est dingue comme je me sens léger d'un coup. Le Baron va faire une crise cardiaque quand il va apprendre que cette Bérénice n'a pas plus envie que moi de ce simulacre de mariage. Je me mets à rire nerveusement en rentrant à pieds à mon domicile. Les personnes que je croise me regardent bizarrement.

L'habit ne fait pas le moine (Tome 3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant