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La solution ? C'est le père de Camille qui l'a imaginée. Le sac qu'il tenait ce matin m'était destiné. Je l'ai retrouvé posé sur mon lit. Il contient un téléphone portable. Le numéro de Camille et le sien sont déjà enregistrés. Il y a un nouveau cahier dedans et un petit mot.
« Enguerand, je ne sais pas si tu as utilisé le premier cahier. En voici un second si besoin. A très vite.
Henri »

Je ne comprends pas le « à très vite » mais je suis tellement content qu'il me soutienne. J'ai l'impression d'être important aux yeux de quelqu'un. Je pars me cacher en vitesse aux toilettes de la grande salle de bains commune du dortoir. Je commence par envoyer un premier très long texto à Camille dans lequel je lui raconte exactement ce qu'il s'est passé lundi, le pourquoi de mon humeur, de ma prise de distance envers lui. Mon deuxième texto est destiné à son père.
« Monsieur, je vous remercie tellement, vous ne pouvez imaginer la joie que vos attentions me donnent. J'ai utilisé le premier cahier, lu tous les livres et adoré la musique qui me tenait compagnie dans cet isolement forcé. Merci. Merci. Merci.
Enguerand »

Comme nous n'avons pas cours le mercredi après-midi, je me trouve dans la cour à faire du skate. Les autres internes me regardent avec envie alors je propose à certains d'en faire. Ce n'est pas que je les apprécie particulièrement mais je peux bien partager ça avec eux. Ça ne me dérange pas au contraire. Je m'assoie sur un banc et les observe chacun leur tour pratiquer le skate. Tout à coup le directeur s'installe à côté de moi. J'ai peur de ce qu'il va bien pouvoir encore m'annoncer.

- C'est très gentil de ta part de leur prêter ta planche.
Je hausse les épaules. Je n'ai pas réfléchi à savoir si c'est gentil ou non. Ça me paraissait juste normal.

- Les week-ends où tu ne rentreras pas chez toi, la famille de Camille propose de t'accueillir. Bien évidemment ton père n'en saurait rien. C'est pourquoi cette conversation doit rester confidentielle, tu comprends ?
Je déglutis tant bien que mal. Je n'ose croire que tout ça soit réel. Je tourne la tête vers le directeur qui lui regarde les autres essayer pour certains de tenir debout sur le skate.

- Pour...pourquoi vous faites ça pour moi ? Et si mon père l'apprend ?

- Si ton père l'apprend, je serais probablement renvoyé. Cependant je veux prendre ce risque. Personnellement je ne peux comprendre que l'on puisse laisser son enfant en souffrance comme ça. Un enfant a besoin d'affection pour se construire. Comme monsieur le Baron ne souhaite pas te donner cette affection, que ta mère ne le peut pas actuellement, Henri Claudel se propose de prendre le relais.

Pendant tout la durée de notre échange le directeur m'a tutoyé, ça l'a rendu moins distant. Je pense que je ne comprends pas tout ce qu'il se passe dans ma vie. Je suis sans doute trop jeune pour tout analyser. Je sais juste que je suis heureux de pouvoir compter sur certaines personnes.

- Merci.

Il regagne son bureau comme si la conversation que nous venions d'avoir n'avait jamais existé, comme si ma vie ne venait pas de prendre un tournant inattendu.


Durant toutes mes années collège, je me suis bien tenu. Plus de rebellions, plus de punitions du jour où j'ai pu aller chez Camille tous les week-ends et toutes les vacances. Mon père ne me recevait au château que lorsqu'il y avait des réceptions où il était préférable que j'apparaisse. Je le déteste du plus profond de mon âme mais je fais comme s'il avait réussi son œuvre. Faire de moi un bon petit soldat à sa botte. Alors je fais semblant d'être un autre, d'être aussi con que le Baron. Donc lors des soirées j'affiche un sourire de façade pour rencontrer ses prétendus amis. Même la famille de Camille est souvent conviée. Je fais comme si je ne connaissais pas ses parents, comme si lui et moi n'étions plus amis. Que des faux-semblants pour que mon père ne se doute de rien et qu'il ne me retire pas tout ce que m'apporte la famille Claudel. Affection, amour.
Henri et Françoise, les parents de Camille sont géniaux et tellement attentifs à mon bien être.
Durant toutes ces années, mon père ne s'est douté de rien. Comme quoi, il est très intéressé par ma vie... Je suis allé à plusieurs reprises voir ma mère. C'est Henri qui m'accompagnait. Elle est dans ce que l'on appelle une maison de repos de laquelle elle ne sortira sans doute jamais. Son esprit a quitté son corps. Elle divague. Son discours n'a aucun sens pour moi. Elle ne sait même pas qui je suis et d'une visite à l'autre ne me reconnaît jamais. C'est difficile pour moi de la voir dans cet état, de la voir dépérir.  Mais c'est lui qui est responsable. Tout ça c'est de sa faute. Un jour je le ferai payer pour ça.

L'habit ne fait pas le moine (Tome 3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant