Chapitre 4 - 2 : Des jours nostalgiques (Alphonse)

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Pinako ne pouvait pas deviner tout ce que sa réponse sèche à ma proposition de l'aider avait pu faire remonter, et même si je me sentais affreusement mal, je savais qu'il était inutile de lui en vouloir. Alors, après avoir essuyé ce nouveau refus, je sortis de la maison pour aller m'asseoir sur la barrière qui séparait le bâtiment du chemin. Je me gavai les yeux de ce paysage merveilleusement verdoyant, de ces collines généreuses où on voyait de nombreux troupeaux de mouton paître ici et là.

C'était là où j'avais grandi et fait les quatre cent coups, je connaissais ce paysage par cœur, mais après mon séjour à Central entre les murs blancs de l'hôpital, cette région me paraissait soudainement incroyable. Ce ciel dégagé, ce bocage qui s'étendait à des kilomètres à la ronde, ces nuances de vert intense, ce silence bercé par le vent...

Cet ennui...

Je ne me sentais plus être un enfant, et les journées passées à essayer d'attraper les sauterelles, à grimper aux arbres et à patouiller dans les ruisseaux étaient passées depuis longtemps. Les derniers événements avaient donné un goût amer à tous ces souvenirs et avait brisé quelque chose...? Mais hormis ces jeux, je n'avais rien à faire ici.

Winry et Pinako avaient leur routine et étaient tout à fait habituées à se débrouiller par elles-mêmes, me faisant sentir gênant, qu'elles le veuillent ou non. Edward n'était pas là, et les gens dans le village me paraissaient tous plus lointains les uns que les autres. Je réalisais que j'avais vécu mon enfance dans une bulle avec Winry, mon frère et nos familles respectives.

Bien sûr, j'étais allé à l'école, je connaissais tout le monde au moins de vue, mais... Cela faisait tellement longtemps pour eux que j'étais parti qu'ils n'avaient pas grand-chose à me dire. Ceux avec qui j'avais passé des jours sur les bancs de l'école faisaient au moins une tête de plus que moi, avaient la voix grave et commençaient même, pour certains, à avoir du poil au menton. Je ne pouvais même pas leur raconter nos dernières aventures, puisque je n'en avais aucun souvenir et que je n'aurais fait que recracher des récits qu'on m'avait rapportés, avec leurs imprécisions et leurs lacunes.

Et visiblement, j'avais quelque chose d'effrayant. Sans doute que moi aussi, si je me retrouvais face à quelqu'un qui avait rajeuni de quatre ans et avait perdu ses souvenirs, je me serais senti très mal à l'aise.

Moi qui espérais trouver un peu de réconfort dans mon séjour à Resembool, je me sentais plus seul que jamais. Le seul espoir qui me restait, celui de retrouver les murs familiers de ma maison, s'était aussi envolé peu après mon arrivée ici...

oOoOoOo

En arrivant devant le terrain où il ne restait plus que des ruines calcinées envahies par le lierre et les herbes hautes, j'avais découvert à mes dépends qu'Edward et moi avions choisi de brûler la maison dans laquelle nous avions grandi lors de notre départ. « Parce que nous ne pouvions aller que de l'avant. » Quelle ironie pour moi, qui étais resté bloqué en arrière. Bien sûr, quand je m'étais retrouvé seul devant ces ruines flanquées de l'énorme marronnier qui jouxtait la maison, je n'avais eu aucun moyen de savoir quelle était la raison de cette disparition.

Je m'étais contenté d'arpenter les anciennes pièces au milieu des herbes folles, des ronces et des orties. Il restait quelques poutres maîtresses qui n'avaient pas fini de brûler et s'étaient effondrées en travers, maintenant envahies par les termites et le lichen, progressivement en train de se désagréger tandis que la nature reprenait ses droits, quelques pans de mur dégradés par le temps, les tomettes de terre cuite qui dallaient l'entrée, noircies par le feu et descellées par les plantes qui s'y frayaient un chemin. Ça n'était pas grand-chose, mais je connaissais tellement cette maison par cœur que je n'avais pas besoin de la voir pour me figurer l'endroit où les murs se dressaient auparavant, les meubles et tout ce qui s'y trouvait.

Pour les autres, ça faisait bien trois ans que les lieux avaient disparu... mais dans mes souvenirs, j'y étais il y a moins d'un mois. Je me remémorais parfaitement la couleur du papier peint du salon et du bureau inoccupé de papa, la déchirure à droite du tableau sur le mur de l'entrée, le carreau fendu dans le carrelage de la cuisine, le nombre de marches dans l'escalier, la boîte à biscuits de Maman...

Tout cela, on me l'avait enlevé. On me l'avait enlevé une première fois quand elle était morte, et que plusieurs objets avaient été vendus pour payer ses obsèques, et on me l'avait enlevé de nouveau quand cette maison avait brûlé. Alors je m'étais adossé à l'empilement de poutres branlantes, contre l'amoncellement de pierres qui avait été la cheminée de la cuisine, et je m'étais recroquevillé pour pleurer en silence, presque avalé par la verdure piquante qui envahissait le peu qui restait de mes souvenirs d'enfance.

J'étais chassé du présent comme de mes souvenirs, et tout me montrait que je n'avais pas de place, nulle part. J'étais resté à pleurer des heures, jusqu'à ce que Den, le chien de la famille Rockbell, me trouve et me lèche les bras, suivit de Winry, quelques minutes plus tard. En me voyant, elle avait compris sans que je dise quoi que ce soit.

Elle m'avait ordonné de rentrer d'une voix douce en me prenant par l'épaule, et Pinako et elle m'avaient raconté aussi précisément que possible leurs souvenirs de ce qui s'était passé cette nuit-là. J'avais les bras et les jambes couvertes d'écorchures et de piqûres après avoir traîné dans les orties et les ronces, et la douleur, d'abord effacée par le choc de ma découverte, était revenue dans la nuit, m'empêchant de fermer l'œil.

Bras de fer, Gant de velours - Deuxième partie : Central-cityOù les histoires vivent. Découvrez maintenant