Chapitre 9 - 7 : Être présent (Alphonse)

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La journée avait pourtant bien commencé.

Edward et moi nous étions levés assez tôt pour rejoindre Gracia avant qu'elle ne parte. Elysia était toute pimpante, sa mère venait de la coiffer impeccablement, tout en se doutant sans doute que cela ne durerait pas. Elle donna à mon frère les clefs de la maison et nous expliqua quelques dernières petites choses, comme ce que nous pouvions manger ce midi, combien de temps elle faisait la sieste, les jeux qui lui étaient interdits et son histoire favorite.

Puis Gracia mit son manteau, embrassa sa fille et partit, nous laissant tous les trois les bras ballants. En baissant la tête vers la fillette, mon frère et moi vîmes ses yeux s'embuer, et un mouvement de panique fusa à l'idée que la journée commence par une crise de larmes. Elle risquait d'être inconsolable, et vu le contexte, on pouvait difficilement lui en vouloir.

- Elysia, tu veux jouer au petit cheval ? demanda mon frère tout à trac.

Elle ouvrit des grands yeux, la surprise succédant à la peine.

- Avec toi ? demanda-t-elle d'un ton hésitant, comme si elle avait un peu de méfiance envers Edward.

- Avec moi ou avec Al. C'est comme tu veux.

- ... Avec toi, lança-t-elle après un temps de réflexion. Tu es plus grand, ça sera plus rigolo.

J'aurais pu me sentir vexé par la réponse, mais le sourire qui avait poussé sur le visage d'Edward était tellement magique que je me contentai de regarder la scène d'un peu plus loin, m'accoudant à la barrière tandis qu'Edward se pliait docilement aux instructions de la fillette.

Il avait lancé ça sans trop réfléchir, sans doute parce qu'il m'avait entendu en parler auparavant, mais n'avait aucune idée du jeu en lui-même. Je le regardai s'exclamer de surprise, puis s'accroupir pour qu'elle monte sur le dos, se lever, se faire à moitié étrangler. Durant de longues minutes, il dut courir lourdement, tourner, sauter, sous les ordres d'une Elysia adorablement autoritaire.

- Mais tu sais pas faire le petit cheval, en fait ! lança-t-elle impitoyablement entre deux éclats de rire.

- Les chevaux aussi doivent apprendre ! répondit-il avant de s'ébrouer et souffler comme le ferait un vrai cheval.

Je ne pouvais pas ne pas rire en voyant mon frère agir comme ça. Je me rendis vite compte qu'il s'amusait sans doute encore plus qu'Elysia elle-même. Dur de croire en le voyant qu'il était un Alchimiste d'Etat, un héros, même. En le regardant comme ça, je me demandai soudainement s'il regrettait d'être la personne qu'il était devenu. S'il avait essayé de me cacher les événements au début, peut-être que c'était dans l'espoir de m'offrir la jeunesse insouciante qu'il n'avait pas eue. Cette idée me toucha et m'agaça à la fois. Fallait-il que tout le monde me considère comme un enfant ?

- Rhaah... soupira Edward, complètement essoufflé. Elle a la forme !

- Encore ! s'exclama Elysia. Encore le trot !

- Très bien princesse, soupira-il, se pliant de bonne grâce à sa requête. Il repartit en sautillant exagérément le long de l'allée gravillonnée du jardin. Ils allèrent jusqu'au bout, puis revinrent, la fillette brandissant victorieusement une pomme.

- Je l'ai cueillie TOUTE SEULE !

- Si tu veux la manger, il faut qu'on aille l'éplucher dans la cuisine ! fit remarquer mon frère, en sueur à force de porter ce petit bout de femme sur le dos.

- Allons dans la cuisine ! s'exclama-t-elle, en talonnant mon frère qui grimaça.

- Tu sais Elysia, il faut que tu descendes de cheval pour entrer dans la maison.

- Ah bon ? Pourquoi ?

- Parce que les chevaux ne rentrent pas dans les maisons, ça n'est pas fait pour eux.

- Mais, tu es sûr ?

- Tu as déjà vu un cheval dans une maison ?

- Non.

- Moi non plus. Al, tu en as déjà vu ?

Le sourire aux lèvres, je secouai négativement la tête.

- Tu vois, les maisons, c'est pas fait pour les chevaux. Il faut descendre.

- Ah, zut. Bon bah tant pis. Tiens, Al, tu peux manger la pomme. Nous, on retourne se promener.

Je vis le visage de mon frère se défaire à la conclusion de la petite. Son plan avait échoué, et il dut repartir, courir, bondir et sautiller en obéissant au doigt et à l'œil. Je mis mes mains en porte-voix pour lui lancer d'un ton moqueur :

- Bien essayé, Ed !

Quelques minutes plus tard, une découverte motiva Elysia à quitter sa monture pour observer quelque chose au fond du jardin. Intrigué, je m'approchai pour les rejoindre, et les retrouvai tous les deux accroupis, en train de contempler un crapaud.

- Oh, un crapaud ! commentai-je en m'accroupissant à leurs côtés. C'est pas courant en ville pourtant !

- C'est pas beau ! s'exclama-t-elle.

- C'est vrai, c'est pas très beau, commenta Edward. Mais ça a un joli chant.

- Ça chante, les crapauds ? demanda la fillette en se tournant vers lui, surprise.

- Oui. Il y a des animaux qui ont des cris très jolis, comme les oiseaux ou les crapauds, on dit qu'ils chantent, expliquai-je brièvement.

- Attends, il ne faut pas les toucher ! arrêta mon frère en la voyant tendre la main vers l'animal.

- Ah ? Pourquoi ? questionna-t-elle, perplexe.

- Parce qu'il a de la pâte sur la peau qui peut rendre malade si on y touche.

- Pourquoi ?

- Pour qu'on le ne touche pas.

- Pourquoi ?

- Parce qu'il n'aime pas ça.

- Pourquoi ?

- ... Parce qu'il est tout petit, et que nous, on est très grands. Alors ça lui fait peur, répondis-je en tâchant d'utiliser des mots simples pour la fillette. Du coup, il fabrique une pâte qui pique pour qu'on le laisse tranquille. Si on le touche, après, on peut tomber malade. Quand j'étais petit, j'en avais attrapé un, puis je m'étais frotté les yeux, et après, ils piquaient, ils étaient tous gonflés. C'est parti au bout d'un moment, mais ça m'avait fait mal !

- Oh... fit-elle, buvant mes paroles. Mais alors, c'est méchant les crapauds.

- ... Non, c'est pas vraiment méchant, murmura Edward d'une voix douce, le menton posé sur les genoux. Si on l'embête pas, il ne nous fait rien. Et il chasse les insectes qui mangent les plantes du potager, c'est grâce aux crapauds qu'on peut manger des belles salades sans trous dans les feuilles.

- Oh... répéta la fillette, d'un ton différent.

Imitant la posture de mon frère, elle nicha son menton sur ses genoux, entourant ses jambes de ses petits bras, et regarda le crapaud avec une concentration infinie

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Imitant la posture de mon frère, elle nicha son menton sur ses genoux, entourant ses jambes de ses petits bras, et regarda le crapaud avec une concentration infinie. Nous restâmes immobiles un moment, observant le batracien dont les joues palpitaient de peur. L'animal se calma, constatant que le danger semblait être passé, puis s'éloigna à pas lents et maladroits au milieu des feuilles mortes et des brins d'herbe.

Bras de fer, Gant de velours - Deuxième partie : Central-cityOù les histoires vivent. Découvrez maintenant