Chapitre 6 - 5 : Sur le fil (Steelblue)

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{On continue du point de vue de Hugues avec ce chapitre, mais comme il contient une scène un peu dure, je préfère vous prévenir : Cette histoire n'est pas estampillée jeunesse, et il y aura d'autres scènes dures à venir. Voilà, cela dit, j'espère que vous apprécierez la lecture ! }

Ce n'est que plus tard que j'étais devenu Steelblue. La lune était belle, et nous étions assis au feu de camp. Le voyage se déroulait bien jusque-là, et cette nuit-là, le campement était même d'humeur à chanter. Une femme, qui avait gardé précieusement sa cithare, jouait quelques morceaux aux consonances orientales. C'était pour la plupart des airs un peu rudes et mélancoliques, mêlant des sons graves et sourds et des cascades de notes plus aiguës, presque cristallines, qui évoquaient la chaleur du soleil du désert, l'air vibrant, les caresses du sable, l'insaisissabilité de l'eau.

Assis en tailleur auprès du feu, j'en buvais chaque note, les yeux grands ouverts, le regard perdu dans les flammes. La musique me transportait dans ce pays que je n'avais vu que pour le détruire, Moi qui pensais avoir tout oublié depuis longtemps, je revoyais avec précision les vêtements décorés de galons aux tissages complexes, les bâtiments aux murs ciselés d'une myriade de motifs géométriques en d'émail ou de verre teinté.

 La musique me transportait dans ce pays que je n'avais vu que pour le détruire, Moi qui pensais avoir tout oublié depuis longtemps, je revoyais avec précision les vêtements décorés de galons aux tissages complexes, les bâtiments aux murs ciselés ...

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Tout cela me revenait dans les moindres détails, chaque note rappelant la richesse des décors, et des parures, les sols ouvragés sur lesquels s'étalaient des taches de sang, les murs criblés de balles, les fragments de tissus ouvragés volant au vent, détachés du corps déchiqueté de leur propriétaire. Cette musique, douce et pourtant impitoyable, portait en elle une âme, et chaque note s'enfonçait en moi, me faisant sentir un peu plus coupable qu'avant à l'idée d'avoir contribué à faire disparaître ce peuple. Je sentis les larmes me monter aux yeux et couler, sans que je fasse le moindre geste pour les essuyer.

Je me demandai si je méritais vraiment de vivre parmi eux. Edward avait eu une idée de génie, trouvant sans doute le seul moyen de me permettre de survivre aux Homonculus sans mettre en danger ma famille, mais le prix à payer était rude. Chaque instant passé parmi eux me rappelait avec plus ou moins de brutalité que j'avais obéi à l'armée, que j'avais tué, peut-être leur frère, peut-être leur père, peut-être leur fille... Que, sous prétexte de survivre, j'avais détruit des centaines de familles. Finalement, si je ne revoyais jamais Gracia et Elysia, ça ne serait qu'un juste retour des choses...

J'en étais à peu près là de mes réflexions douloureuses, quand un tir perça l'air, suivit de cris qui me replongèrent brutalement dans la réalité. Nous étions attaqués. Je sursautai, jetai au sol Samina, la femme assise à côté de moi, pour la protéger des balles.

- A terre ! Mettez-vous à terre ! criai-je, sans parvenir à couvrir vraiment les cris de panique.

Me désobéissant moi-même, je me redressai parmi les autres qui couraient, et regardai autour de moi pour comprendre d'où venaient les tirs. Je vis un éclair brillant au milieu des arbres, sans doute un fusil. Sans hésiter davantage, je tirai de mon sac en bandoulière mon revolver tout en fronçant les sourcils. Je le voyais à peine, mais je le mis quand même en joue et tirai. Un cri me confirma que je l'avais touché. Au suivant.

Derrière moi, le son caractéristique d'un moteur s'approchait, Un homme en moto fonçait droit vers nous, jetant des projectiles enflammés sur son passage. Celles et ceux qui s'étaient réfugiés dans les tentes en ressortirent en hurlant pour échapper aux flammes. Courant vers lui, je vis un enfant se faire rouler dessus, et je sentis mes entrailles se révulser d'horreur. Envahi par une pensée qui avait enflé et pris toute la place, me transformant en boule de fureur, je le mis en joue.

Il avait l'âge d'Elysia.

Caché entre deux tentes encore en état, j'allais tirer sur l'homme, mais il fut intercepté par Scar avant que je n'appuie sur la détente. Il avait happé sa tête au passage, et la moto était partie seule finir son chemin au milieu des bateaux, explosant l'un d'entre eux avant de crapoter et de caler.

Quand je vis les morceaux ensanglantés de sa tête éclabousser les tentes et le sol alentour et son corps retomber mollement, je me sentis écœuré, mais en aucun cas compatissant. La rage au ventre, je repartis à l'assaut, guettant les coups de fusils, les cris, tout indice me menant à l'ennemi.

Je ne pouvais pas faire revenir les morts. Je ne pourrais jamais me pardonner pour ce que j'avais fait. Mais la moindre des choses, aujourd'hui et maintenant, c'était de les protéger, eux qui avaient survécu.

Un homme portant une batte cloutée s'apprêtait à frapper l'un des Ishbals. Il se prit deux balles dans la gorge. J'avais visé la tête, mais il s'effondra quand même. Des tirs venaient de l'autre côté de la tente. Je m'y engouffrai, me jetant au sol, et soulevai le bas de la toile épaisse pour voir de l'autre côté. L'homme mourut sans jamais savoir qui l'avait frappé. Puis je jaillis de la tente et me précipitai vers un autre. Armé de sa hache, il paniqua à la vue de mon arme.

- Les réfugiés Ishbals ne sont pas censés être armés ! s'exclama-t-il, effaré de me voir le tenir en joue.

Il se prit une balle dans le cœur.

- Je ne suis pas un Ishbal, répondis-je froidement, ouvrant mon arme pour la recharger.

J'y glissai les balles à la hâte, cherchant où je devais aller ensuite. Les cris de panique étaient retombés, laissant la place aux pleurs. L'attaque semblait plus ou moins terminée. J'entendis un bruissement parmi les arbres devant moi et m'élançai à sa poursuite. Voyant la défaite, l'un d'entre eux s'enfuyait manifestement. Il ne fallait pas qu'il s'échappe, il risquait de ramener du renfort pour continuer la chasse.

Heureusement, j'étais en bonne forme, et nous avions eu quelques bons repas ces derniers jours. En quelques grandes enjambées, je lui tombai dessus à bras raccourcis alors qu'il tentait d'éviter une branche basse. S'ensuivit une lutte confuse dans l'obscurité, au milieu des feuilles mortes, des ronces et de la terre. Un coup à la tête fit voler mes lunettes qui disparurent dans la nuit, mais je parvins à garder le dessus. Il tenta de sortir un couteau de son fourreau pour se défendre, ce fut celui-là même qui lui trancha la gorge.

Une fois le combat fini, je restai là, pantelant, assis à califourchon sur ma victime. Y en avait-il d'autres ? Je n'en savais rien. De toute façon, il était sans doute trop tard, ils devaient tous être morts ou hors de portée. La tension du combat retomba, me laissant effondré, horrifié, dans le faux silence de la forêt.

Bras de fer, Gant de velours - Deuxième partie : Central-cityOù les histoires vivent. Découvrez maintenant