- Mais... euh... Comment vous faites, du coup ? Je veux dire, concrètement, pour la vie quotidienne ? demanda-t-il, les mains croisées sur ses cuisses.
- Pour ça, on a des protections hygiéniques, répondis-je. D'ailleurs, je vais t'en passer, tu ne vas pas rester comme ça éternellement.
Il hocha la tête, mortellement embarrassé, et je me levai pour aller en chercher dans la salle de bains. Je fouillai au fond de mes cartons, il devait bien m'en rester quelque part. Au bout de quelques minutes, je retrouvai des tampons, mais je continuais à chercher, sûre d'avoir encore un paquet entamé de serviettes que je gardais quelque part, au cas où. Pour cette fois du moins, je préférais épargner à Edward l'idée de devoir mettre des choses à l'intérieur de son propre corps, la nuit était déjà assez éprouvante pour lui.
- Ah, enfin ! soufflai-je d'un ton victorieux en extrayant le paquet convoité du fond d'un carton.
Il n'y avait plus qu'à expliquer le principe à Edward. Le surréalisme de la situation n'en était plus à ça près. Je le retrouvai assis exactement là où il était, comme s'il avait peur que le plus infime mouvement provoque la destruction de l'univers. Je me rassis dans le fauteuil et lui décrivis aussi concrètement que possible l'usage des serviettes, avant de jeter un coup d'œil à sa tenue. Il avait dormi en débardeur et en caleçon. S'il n'avait que ça, il allait falloir lui prêter aussi des sous-vêtements. Il grimaça quand je lui fis remarquer qu'il devrait porter des sous-vêtements féminins, un caleçon étant incompatible avec cet objet.
- Il n'y a pas d'autres solutions ?
- Si, il y en a, par exemple les tampons ou les coupes, qu'on met directement dans le vagin.
- Dans le... QUOI ? ! s'exclama-t-il avec une expression dégoûtée qui montrait qu'il avait parfaitement saisi l'idée. Je vais en rester à ça, alors...
- Je m'en doutais, répondis-je simplement en lui collant le paquet de serviettes dans les mains. Je vais essayer de te trouver une culotte à peu près à ta taille.
- Je n'en ai pas besoin, marmonna-t-il, les oreilles rouges.
Edward tira son sac en bandoulière posé au pied du lit et vida son contenu sur la couverture avant de le retourner comme une peau de lapin. Il détacha deux boutons pression qui maintenaient un rabat dissimulant une fermeture éclair au fond, l'ouvrit et tira de cette cachette une culotte bleu nuit. J'entrevis qu'il y avait pas mal de fatras dans cette pochette secrète, notamment son soutien-gorge assorti, une perruque noire et une photo. Cette fois-ci, j'ouvris des yeux ronds.
- Comment ça se fait que tu aies ça ? bredouillai-je, totalement prise au dépourvu.
- Longue histoire... soupira l'adolescent. Pour faire simple, ça m'a aidé à résoudre l'enquête.
- Je comprends mieux que tu aies du mal à écrire ton rapport... murmurai-je pensivement.
- C'est un secret, insista-t-il.
- Bien sûr. Rien de ce dont nous avons parlé ici ne franchira ces murs, jurai-je d'un ton solennel.
- Merci.
- Allez, va prendre une douche avant de te changer, ça te fera du bien. Je m'occupe du reste.
Edward pris ses affaires et fila dans la salle de bains, obéissant comme un petit enfant. Je poussai un soupir, étonnée de m'en sortir aussi bien face à cette situation complètement rocambolesque. Je retirai les draps du canapé et me dirigeai vers la cuisine, pour les mouiller d'eau froide avant d'en faire partir les taches en frottant au savon de Marseille. Je songeai à la discussion que nous venions d'avoir. J'avais soudainement l'impression d'avoir une petite sœur. Edward était profondément vulnérable, livré à lui-même, et à cet instant, dépendant de moi. J'espérais avoir été à la hauteur de la situation.
Et puis je réalisai que si je ne lui avais pas forcé la main pour venir ici, c'était au QG de Central qu'il se serait réveillé en hurlant. Pour le coup, les conséquences auraient eu une toute autre ampleur. Je n'étais sans doute pas la personne idéale pour gérer ce genre de choses, mais très clairement, il avait échappé au pire. Tout en vérifiant que les draps étaient maintenant propres, je me demandai quelle aide je pourrais lui apporter.
Je repensai à mes propres débuts, et à la manière dont je m'étais réfugiée dans le chocolat chaud et les sucreries pour retrouver un peu d'enfance. Il avait sans doute besoin de réconfort.
Une fois les draps rincés et étendus, je cherchai des yeux quelque chose de sucré dans mon garde-manger, qui s'avéra en être tristement dépourvu. En fouillant bien, je mis quand même la main sur des raisins secs, du miel, et une tablette bien entamée de chocolat. Je mis de l'eau à chauffer pour faire un thé, ressortis le peu de pain qui me restait pour le faire griller, avant de le beurrer abondamment. Je râpai ensuite le chocolat par-dessus avec un couteau, comme le faisait souvent ma grand-mère. Cette méthode avait l'avantage de pouvoir allier gourmandise et économie.
A ce moment-là, Edward sortit de la salle de bain, vêtu de pied en cap, la serviette sur les épaules. Il avait l'air de se sentir bien mieux, et quand il remarqua que j'étais dans la cuisine, il s'approcha d'un air perplexe. Quand son regard tomba sur les tartines, son regard s'illumina malgré lui.
- Des tartines pain-beurre-cocolat-grapigné !
- Hein ?
- C'était notre goûter avec mon frère et Winry pendant toute mon enfance, expliqua-t-il en rougissant un peu. On a toujours appelé ça comme ça.
- Je vois... Tant mieux.
Il était environ cinq heures du matin quand nous nous attablâmes. J'avais sorti deux tasses, mis une bonne quantité de miel dans la théière, versé les raisins secs dans un bol. Black Hayatte s'était couché sous la table, à nos pieds, maintenant complètement apaisé. Et Edward semblait être beaucoup plus calme, lui aussi, tandis qu'il tenait sa tasse à deux mains. La conversation redémarra tout naturellement.
A cette heure-ci, se recoucher n'avait plus tellement de sens, alors nous prîmes le petit déjeuner le plus serein que j'avais jamais eu. Edward continua à me poser des questions sur les règles, choqué de découvrir la face obscure de la féminité, et visiblement pressé de retrouver son corps d'origine. Je lui apportai autant de réponses que possible, dans une discussion entrecoupée de silences songeurs.
- ... Je ne sais pas ce que j'aurais fait si ça m'était arrivé alors que j'étais à la caserne, murmura l'adolescent, les yeux baissés sur sa tasse à moitié vide. J'aurais complètement paniqué.
- Parce que n'as pas paniqué, là ? demandai-je en souriant.
- Je... Oui, bon, j'avoue, j'ai paniqué. Mais pas longtemps ! Je veux dire, je ne sais pas comment je me serais débrouillé sans toi. Euh, vous. Je vous dois une fière chandelle.
- Merci. Tu peux me tutoyer, si tu veux. Tant qu'on est entre nous, du moins. Parce qu'au bureau, ne n'imagine pas quelle tête ferait les autres s'ils nous entendaient.
Il hocha la tête, tandis que ses lèvres esquissaient un sourire à cette idée.
- Ça faisait un peu baptême du feu, non ? fit Edward en retrouvant son expression habituelle.
- Oui, en effet.
- Je suppose qu'avec beaucoup, beaucoup de recul, le souvenir de cette nuit finira par me faire rire.
- C'est très probable.
Une fois le petit déjeuner terminé et débarrassé, Edward reprit son rapport tandis que je sortais Black Hayatte pour sa promenade matinale. Le ciel semblait délavé, d'un mélange indescriptible de bleu pâle et de rose ou couraient quelques nuages lumineux. Ce moment de la journée était probablement mon préféré, quand le jour semblait neuf et propre, prêt à être rempli d'événements encore inconnus. Tandis que le chien courait aux alentours pour renifler ici et là, je marchais à pas lents. Cela faisait de très longues années que je n'avais pas eu ce sentiment agréable de savoir que quelqu'un m'attendait chez moi ; comme si j'avais une famille.
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Bras de fer, Gant de velours - Deuxième partie : Central-city
Hayran KurguAprès sa tumultueuse mission à Lacosta, Edward est de retour à Central ou il espère pouvoir prendre un peu de repos avant de retrouver son frère. Seulement, entre la curiosité de l'équipe de Roy Mustang, les ennemis sortant de l'ombre et les secrets...