Chapitre 10 - 3 : Passage Floriane (Edward)

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Une fois arrivés sur le pallier, nous trouvâmes facilement notre chemin vers la porte de la salle d'écoute improvisée. C'était une simple chambre de bonne à l'aménagement rustique, dont les militaires avaient fracturé la porte pour pouvoir entrer.

La pièce exiguë était manifestement le repaire d'un artiste et comportait une table, un lit, un chevalet portant un tableau inachevé, quelques placards et beaucoup de désordre, le tout éclairé par un large vasistas. Tout était envahi de câbles et de matériel dont je ne comprenais pas parfaitement le fonctionnement.

Fuery et les deux personnes qui l'aidaient avaient sommairement poussé le bric-à-brac qui couvrait la table, créant un tas chaotique de livres, pots de pigments et bouteilles de térébenthine, pinceaux et papiers un peu froissés, parmi lesquels une assiette de pain perdu inachevé, et ses couverts s'appuyaient contre le dispositif d'enregistrement dans un équilibre précaire. Il émanait de cette pièce une odeur disparate, pas forcément agréable, mais apaisante ; peut-être parce qu'elle renvoyait à un quotidien tranquille.

Fuery était assis à la table, posé sur un tabouret de bois qu'il avait manifestement piqué là, et manipulait le matériel avec l'assurance de celui qui savait parfaitement où il allait. Avec cette expression concentrée, il était presque méconnaissable pour moi qui étais plus habitué à ses mines presque enfantines.

Au bout de longues secondes, il réalisa notre présence et se tourna vivement vers nous. En me voyant, son visage s'éclaira d'un sourire plus familier.

- Edward, tu es arrivé ! Tu tombes bien, je viens de finir ! Je t'explique ?

- Je t'écoute, répondis-je, me sentant un tout petit peu plus détendu grâce à sa présence chaleureuse.

- Alors, ici, j'ai installé le lieu d'enregistrement : il y a les bandes d'enregistrement, les câbles, les écouteurs... Cette partie-là, c'est nous qui nous en occupons, tu n'as pas à t'en soucier. Toi, ce que tu auras, c'est ça, expliqua-t-il en tendant le doigt vers deux imposants tas de câbles soigneusement enroulés. Le premier, c'est le micro, ce qui nous permettra de les mettre sur écoute pour en savoir plus sur la situation. Pour le deuxième, j'ai préparé un casque et un micro pour que nous puissions communiquer pendant que tu avances, comme ça on pourra te dire si la qualité du son est suffisante ou non et tu pourras aussi être notre témoin oculaire.

- D'accord. Il y a un système de mise en marche/arrêt ?

- Pour notre ligne directe, le contrôle se fait d'ici. elle marche déjà, mais il faudra lancer l'enregistrement sur bandes quand tu te seras mis en route. Le micro a un bouton que tu devras allumer une fois arrivé sur les lieux, avant de le faire descendre dans le tuyau d'aération.

- Ok. Pour le fil, tu es sûr qu'il y aura assez ?

- Sûr, je ne suis jamais sûr... mais on a quarante mètres pour l'un, trente-cinq pour l'autre, à priori, ça devrait suffire.

- Me déplacer avec des kilomètres de câbles comme ça, ça ne va pas être de la tarte. On ne peut pas avoir une connexion radio pour les discussions internes ?

- On ne sait pas ce qu'ils ont comme équipement, soupira Fuery. On court le risque qu'ils soient équipés en talkie-walkie et puissent nous intercepter. Avec une bonne connexion filaire, il est impossible pour eux de capter nos communications.

- Je vois... tu as vraiment pensé à tout, commentai-je.

Donc... je vais faire le funambule sur les toits avec des kilos de fils sur les épaules en espérant qu'on va pouvoir maîtriser la situation sans qu'il y ait trop de morts. Super...

Je repensai à mon frère. Ça devait bien faire deux heures et demie que j'étais parti avec la promesse de le rejoindre rapidement. Finalement, je pourrais m'estimer heureux si je rentrais en vie. Je poussai un soupir et secouai la tête pour chasser ces idées. Le meilleur moyen de ne pas mourir, c'était encore de rester concentré.

Fuery m'équipa, le casque sur les oreilles, le micro accroché par une pince à l'intérieur de mon col, puis me demanda de chuchoter dedans pour tester la qualité de la communication et faire quelque réglages. C'était très étrange de discuter par radio interposée alors qu'il n'était qu'à deux mètres de moi, mais il valait mieux tester maintenant que sur les toits.

Il me fit ensuite enlever ma veste pour faire passer les deux fils qui se joignaient dans le dos en un seul, afin qu'ils ne me gênent pas trop, et fixa les deux câblages à ma ceinture pour éviter que je les perde s'ils se coinçaient quelque part lors de ma progression. Puis je remis ma veste avec un certain soulagement, baissai le casque qui resta posé autour de mon cou et, avec l'aide de ses deux assistants passai de larges boucles du câble du micro sur mon épaule droite.

L'ensemble, une fois prêt, pesait plusieurs kilos. Quand je réalisai que pour passer la mansarde, les militaires allaient devoir me faire la courte échelle, je ne me sentis de nouveau mal à l'aise.

Je ne veux pas être touché, pensai-je malgré moi.

Cette idée me mettait mal à l'aise, sans doute parce que la peur d'être découvert, que j'avais réussi à faire taire ces derniers jours, était revenue d'autant plus forte. Mais je n'étais pas dans une situation qui me permettait ce genre de caprices. Je déglutis et posai à contrecœur mon pied droit dans les mains jointes des deux militaires qui étaient venus aider Fuery, et empoignai fermement leurs épaules pour ne pas perdre l'équilibre. Ils me soulevèrent sans difficulté majeure, mais durent lever haut les bras pour que je puisse avoir une prise suffisante pour pouvoir me hisser hors de la pièce.

Le vasistas ne pouvant pas s'ouvrir complètement, l'espace pour sortir était un peu étroit, et engoncé dans mes câbles, je me sentais comme un chat qui s'escrimait à vouloir rentrer dans un trou trop petit pour lui. Prenant appui une dernière fois sur la main d'un des militaires, je finis tout de même par m'extraire. Le vent me balaya le visage et me remit les idées en place.

Je posai mes mains et mes pieds bien à plat pour éviter de glisser sur les ardoises du toit, et me penchai vers l'intérieur pour confirmer aux autres que tout allait bien. Le temps était au beau fixe, ce qui allait faciliter mes déplacements, la surface étant beaucoup moins glissante que s'il avait plu. Malgré tout, je savais que j'allais devoir faire attention, je ne serais pas aussi habile que d'habitude en étant chargé de plusieurs kilos de câbles.

Je replaçai le casque sur mes oreilles, qui étouffa tout bruit alentour, compris que je ne pourrais pas rester dangereusement isolé de la sorte, et le calai de guingois, un côté sur l'oreille, l'autre juste derrière. Comme ça, j'entendrais aussi les sons extérieurs, à commencer par le bruit de mes propres déplacements.

- Edward, tu m'entends ?

J'entendais la voix de Fuery, à la fois depuis la fenêtre, et dans une version plus nasillarde et crachotante, dans mon oreille droite. Le dispositif fonctionnait bel et bien. Je tournai la tête, mettant le nez sur le micro de manière peu naturelle pour répondre.

- Je t'entends parfaitement, Fuery.

- Parfait. On te laisse partir en avant-garde. Courage à toi !

- Merci !

- Tiens-nous au courant de ta progression, pour qu'on soit sûrs de garder le contact.

- Ça marche.

Bras de fer, Gant de velours - Deuxième partie : Central-cityOù les histoires vivent. Découvrez maintenant