Chapitre 4 - 1 : Des jours nostalgiques (Alphonse)

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- Winry ? Tu as un moment ?

- Pas maintenant, Al, marmonna-elle, une vis coincée entre les dents.

Je poussai un infime soupir et restai sur le pas de la porte à la regarder travailler. Elle était penchée sur son atelier, en train de remonter une main mécanique.

L'homme à qui elle appartenait avait eu son automail détruit quand l'essieu d'une charrette s'était brisé, lui tombant dessus. Il était donc venu la voir trois jours auparavant, peu après qu'Edward m'ait appelé pour dire qu'il était de retour à Central. Winry et moi avions l'intention de revenir le voir à la capitale, mais ce travail lui était tombé dessus, et depuis, j'hésitais à partir seul.

En vérité, je n'en n'avais pas très envie. Je me sentais en décalage avec le reste du monde, et l'idée de me séparer de Winry, même avec la perspective de retrouver mon frère, me faisait craindre de perdre pied. J'avais l'impression d'être en permanence hors de la réalité, et je ressentais le besoin de me raccrocher au moindre élément familier pour me rassurer. Et puis, depuis sa transformation, je n'arrivais plus à me sentir parfaitement à l'aise en présence d'Edward, et je lui en voulais encore d'avoir voulu me cacher un pan entier de ma vie.

J'avais l'impression d'être une gêne pour lui, impression confirmée par l'ordre de son supérieur de partir à Lacosta sans moi. Bon sang, que je détestais cet homme ! Ce n'était pourtant pas mon genre d'avoir une dent contre quelqu'un, en général, on me reprochait plutôt d'être trop gentil. Mais le regard qu'il m'avait adressé, et la froideur horrible avec laquelle il avait parlé à mon frère...? Rien que d'y penser, ça me hérissait le poil.

J'aurais voulu qu'Edward lui désobéisse et me dise de l'accompagner en dépit de ses avertissements, mais ça n'était pas arrivé. Malheureusement, et c'était sans doute le plus vexant dans l'histoire, étant donné mon apparence d'enfant et la nature de la ville dans laquelle il était parti en mission, j'aurais sans doute été réellement gênant. Affronter cette idée était un peu humiliant, mais il valait mieux être lucide et admettre que finalement, c'était encore à Resembool que j'avais le plus ma place. D'un autre côté, Winry m'avait manqué, et le fait de la revoir était assez réconfortant.

Bon, aussi réconfortant que peut l'être une mécanicienne caractérielle qui passe ses journées à travailler. Les incidents à Resembool s'étaient multipliés en son absence, et Pinako était restée alitée plusieurs jours, l'obligeant à travailler d'arrache-pied pour rattraper son retard.

- Tu es encore là ? s'étonna la blonde en se retournant vers moi, réalisant que j'étais resté à la regarder.

- Euh, oui, bafouillai-je, maladroitement.

- Tu n'as rien à faire ?

- Pas vraiment...

- Tu devrais voir à l'étage si Pinako n'a pas besoin de ton aide, fit l'adolescente, de nouveau absorbée par son travail.

- Tu as raison, marmonnai-je avant de me détourner et remonter les marches à contrecœur.

Ce n'est pas Pinako que j'ai envie d'aider, pensai-je amèrement. Et en passant, la connaissant, je doutais qu'elle ait réellement besoin de moi. Par acquis de conscience, je passai tout de même la voir, et elle me répondit d'un ton impatient qu'elle n'avait pas besoin de moi quand tout ce qu'elle avait à faire, c'était réinstaller une prothèse.

Cela me rappela de mauvais souvenirs, qui m'envahirent brutalement.

oOoOoOo

C'était à l'hôpital, quelques jours après les accidents du cinquième laboratoire, alors que mon frère était au plus bas. J'avais supplié Winry de la laisser l'aider pour l'opération de réinstallation des automails d'Edward, et elle m'avait rembarré avec persévérance, invoquant toute une série de raisons que j'avais repoussées maladroitement. La remarque la plus blessante avait sans doute été celle portant sur mon jeune âge, et je m'étais indigné en lui rappelant qu'elle n'avait qu'un an de plus que moi quand elle avait réalisé et posé des automails pour Edward la première fois.

Malgré ma persévérance, cette discussion s'était soldée par une dispute et un refus ferme et définitif. Après l'opération, à laquelle je n'avais pas assisté, nous nous étions murés dans un silence boudeur que Ross, la militaire qui nous avait ressortis du cinquième laboratoire quelque temps auparavant, avait tenté de briser en vain, jusqu'à ce que l'infirmière nous apprenne la disparition d'Edward, et que la panique nous fasse oublier nos différends.

Nous étions partis à sa recherche en catastrophe, et l'avions retrouvé roué de coups par un ennemi qui s'était enfui en laissant derrière lui mon frère bien cabossé et la silhouette inanimée de Hugues baignant dans son sang. Une vision de cauchemar qui n'avait pas fini de me hanter.

J'étais resté figé d'horreur, regardant mon frère ramper vers la cabine pour se pencher vers le corps de notre ami et se raccrocher au combiné téléphonique, sans parvenir à assimiler réellement ce qui se passait. Je m'étais senti envahi par un immense choc face à la scène, un trop-plein d'émotions avait pesé sur moi, m'empêchant presque de respirer. Ce ne fut qu'une fois que Winry m'avait dépassé en courant pour le rejoindre que j'étais sorti de ma léthargie en tentant maladroitement de les aider.

Bras de fer, Gant de velours - Deuxième partie : Central-cityOù les histoires vivent. Découvrez maintenant