Chapitre 3-1

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Plusieurs semaines plus tard, deux exactement, les survivants recommencèrent à descendre dans les rues de Montpellier. Ce ne fut pas le manque de nourriture qui les y obligèrent (en volant chez leurs voisins disparus, chacun pouvait tenir un siège), ce fut à cause de la chaleur. On approchait du printemps et les journées ensoleillées se multipliaient. Il ne leur fallut pas longtemps pour comprendre qu'il fallait nettoyer la ville avant que les cadavres ne sentent trop fort. 

Le peu d'adultes restant essaya bien sûr d'organiser les choses, afin de sortir grandis de cette expérience, comme ils le répétaient si souvent. Mais les plus nombreux étaient des adolescents et des jeunes enfants, perdus, désespérés de la mort de leurs proches, convaincus de la fin du monde. Les suicides furent nombreux, rajoutant toujours plus de corps à déplacer. 

Cependant, lentement, ils s'étaient mis au travail. Ce fut long, pénible, sinistre, et beaucoup abandonnèrent. Thomas n'était pas de ceux là. Lorsque Maria était venu le chercher, il avait failli fondre en larmes. C'était la première personne qu'il voyait quelqu'un depuis l'arrivée du virus. Maria et lui était sorti ensemble un moment, en sixième, et ça avait toujours été tendu entre eux depuis. Il n'avait jamais été si heureux de la voir et, depuis, ils formaient une équipe pour le nettoyage de leur quartier. 

   - Plus que trois maisons et on a fini, lança-t-elle en souriant. Thomas se demandait souvent comment elle pouvait sourire dans leur situation, mais elle mourrait si elle ne souriait pas. Cette fille ne vivait que par la joie, et ne pouvait vivre sans. Alors elle faisait semblant et ça paraissait marcher. 

   - Super, répondit-il en grimaçant. Il était en train de hisser le corps d'une vieille dame sur leur charrette. Il nous reste assez de sacs plastiques ? 

   - Eh bien, à moins qu'on ne tombe sur une famille nombreuse, ça devrait aller.  

Ils se regardèrent, horrifiés l'un comme l'autre de ce qu'ils devenaient. Ils parlaient des morts comme ils auraient parlé de fruits ou de poisson, exposé sur l'étal du marché. 

   "  -... Combien à la douzaine ? 

       - 15€ monsieur, un prix d'ami !

       - Mais aura-t-on assez de sacs pour les transporter ? 

       - Vous êtes une famille nombreuse ? Demandez donc à vos enfants de vous aider... "

   - Thomas ? Allons-y, le ramena-t-elle à la réalité. 

Ils attrapèrent chacun un côté de la charrette et poussèrent leur funeste pactole vers la maison suivante. Thomas sonna un coup pour vérifier qu'il n'y avait personne, puis il attrapa l'extincteur que lui passait Maria pour casser la vitre et ouvrir la porte de l'intérieur. 

Comme à chaque fois qu'ils pénétraient dans une maison, ils se firent silencieux et se mirent à avancer sur la pointe des pieds, comme des voleurs. Les lumières dans le couloir étaient allumées et ils se séparèrent à cet endroit. Elle vers le salon, lui dans le couloir. 

Il poussa du pied la porte de la salle de bain. Vide. Une autre porte ouvrait sur la chambre des parents. Une horrible odeur lui assaillit les narines et il sut qu'il avait trouvé ce qu'ils cherchaient. Il alla s'emparer d'un des grands sacs plastiques pour y fourrer le corps, manifestement celui d'une femme, lorsqu'un murmure lui parvint du salon

   - Thomas... Il y a un bébé. 

Il mit un moment à comprendre ce que son amie voulait dire, puis il courut chercher Maria qui était immobilisée d'effroi. Elle regardait fixement un petit couffin rose dont s'échappait un nuée de mouches. Elle n'avait pas craqué jusque là. Elle avait transporté des corps par dizaines, elle avait nettoyé le sol derrière certains, des adultes, des enfants, mais elle ne parvenait pas à détacher le regard du nourrisson.  

   - Il n'est pas mort du virus, parvint elle à dire. Il n'a pas craché de sang, il est mort de faim. Si on avait commencé les recherches dès le premier jour, on l'aurait sûrement trouvé à temps et... 

La fin de sa phrase se perdit dans ses pleurs. Thomas la pris dans ses bras et la força à le regarder. 

   - Hé...Hé Maria, ce n'est pas notre faute d'accord. Encore moins la tienne. Fais moi confiance, tu n'as pas le droit de penser ça. Il y a encore plein d'autres enfants à sauver partout dans la ville, et si on y arrive ce sera grâce à toi. Tu m'entends ? Grâce à toi. 

Il lui laissa le temps de hocher la tête avant de reprendre : 

    - Il faut que tu souries Maria, tu es belle quand tu souries. 

Thomas s'occupa de rabattre le drap sur le bébé et d'aller le placer à côté de sa mère. Il emballa soigneusement les deux corps dans un seul sac plastique et les plaça au dessus de la pile de cadavres. 

   - Passons à la dernière, lança-t-il. Maria ne répondit pas. Elle se contentait fixer le sol, le regard hagard. Elle prit tout de même l'autre côté de la charrette pour la tirer jusqu'à la maison. 

   - Tu veux que je m'en occupe ? Proposa Thomas. Il prit son silence pour un oui.

NémésisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant