Chapitre 16-1

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Ils étaient chez Ginette depuis trois jours, et ils n'avaient toujours rien prévu pour la suite. Par "la suite", Thomas sous entendait un plan pour se rendre à Paris et faire avouer ses fautes au gouvernement. Une fois, Jefferson lui avait posé une série de questions sur ce qu'il espérait réellement trouver à la capitale. Sur le moment, il s'était contenté de lever les yeux au ciel comme si la réponse était évidente, mais depuis le doute s'était installé dans son esprit. 

Et si il n'y avait plus personne à Paris ? Et même s'ils y arrivaient, à qui s'adresser ? Et surtout, pourquoi est ce que des personnes capables de tuer des milliards d'innocents sans avouer leur responsabilité confesseraient-elles leurs crimes à trois adolescents et une vieille dame en colère ? 

Encore une fois, il se contenta d'écarter ces pensées gênantes en se promettant d'y réfléchir plus tard. 

   - Tout va bien ? 

Dario lui avait posé la question en levant les yeux d'une vieille BD de Picsou. Le grenier de Ginette en regorgeait, et Thomas en reconnaissait certains pour avoir vu les mêmes chez ses propres grand-parents. 

   - Oui, bien sûr, répondit-il en s'efforçant de sourire. Pourquoi ? 

   - Tu avais l'air préoccupé. 

   - C'est vrai que tu n'as pas l'air dans ton assiette, intervint leur hôte. J'ai fait des cookies, ils sont presque cuits. Ça ira mieux après. 

Dario se redressa, les yeux pétillants, et répéta : 

   - Des cookies ? 

Jefferson avait parlé en même temps que lui, sur un ton bien moins joyeux. Le matin, il avait dit à Thomas quelque chose à propos de Ginette. 

   - Tu vas peut-être me trouver bizarre, mais je la trouve beaucoup trop gentille, cette vieille. 

   - Qu'est ce que tu racontes ?

   - C'est vrai, elle ne nous connaît ni d'Eve ni d'Adam, et pourtant elle nous loge, nous nourrit, nous choie, alors qu'elle est sûrement sur la fin de ses réserves. Et puis, tu ne trouves pas qu'elle a accepté bien gentiment de nous aider ? (Si Thomas comprenait son ami jusqu'à ce moment, sans toutefois partager son point de vue, il l'avait trouvé ridicule quand il ajouta :) Elle me fait penser à la sorcière dans Hansel et Grettel. Elle nous place en confiance pour mieux nous dévorer. 

   - Bien sur, avait ironisé Thomas,et elle attend qu'on ait mangé tous ses cookies avant de nous dévorer ? Réfléchis Jeff, si elle voulait nous trahir, elle l'aurait fait avant qu'on vide ses réserves. 

Il savait qu'il avait blessé son ami, mais il n'en était pas vraiment désolé. Pour l'instant, Ginette était leur seule source de réconfort et elle pourrait leur être utile. Il ne voulait pas que de mauvaises nouvelles viennent troubler le semblant de paix dans lequel il se trouvait, pour la première fois depuis la mort de Lizzie. Aussi, lorsque Thomas apporta les serviettes qu'il posa sur la table basse, il ne vit pas que Jefferson épiait chacun des gestes et regards de la vieille dame. 

Cette dernière fut d'ailleurs très surprise lorsqu'il refusera de manière un peu violente le biscuit qu'elle lui tendait. Elle ne sembla pas s'en formaliser pour autant. Quand elle débarrassa la table, elle lui proposa même de lui ramener quelque chose d'autre qui pourrait lui faire plaisir. Il déclina son offre une nouvelle fois. 

En sortant des toilettes, plus tard dans l'après-midi, Il avait à nouveau croiser l'américain qui lui avait rappelé : 

   - N'oublie pas ce que je t'ai dit. 

   - Si jamais elle nous trahit, je lui décerne un oscar de la meilleure actrice, toutes catégories, avait répliqué Thomas. 

******

Le soir tombait. Thomas raccompagna Dario dans sa chambre avant de redescendre retrouver son ami qui avait refusé de laisser seule Ginette. Ayant renoncé pour le moment à le faire changer d'avis, Thomas se replongea dans son livre, Sa majesté des mouches. Il l'avait déjà lu lorsqu'il était en seconde, et il avait été très heureux de le retrouver chez Ginette. 

Après une dizaine de minutes, il le reposa sur ses genoux. Il n'arrivait pas à se concentrer. Il finit par regarder le numéro de la page pour la retrouver et il le replia définitivement. 

   - Alors, lança-t-il, quand est ce qu'on prépare un plan de bataille ? 

Il l'avait dit sur un ton qui prêtait à l'humour mais il n'en pensait pas moins. Après avoir passé trois jours immobilisé , il avait hâte de repartir.

L'américain fit la moue, et Ginette répondit lentement : 

   - Tu sais, je pensais que vous pourriez rester encore quelques jours, pour vous reposer. Ensuite on en reparlera. 

   - Mais plus le temps passe moins vous aurez de chance de retrouver vos petits-enfants. 

Le vieille dame glissa un regard triste vers la fenêtre, comme si elle espérait les voir apparaître tout à coup. 

   - J'ai beaucoup réfléchi ces dernières nuits, commença-t-elle, et je crois que je ne vais pas vous accompagner. 

   - Comment ?! S'exclama Jefferson. Vous voulez dire qu'on est restés coincés ici tout ce temps pour rien ? 

   - Ecoutez, bredouilla-t-elle, je suis vieille, je ne ferai que vous ralentir. 

Jefferson regarda son ami. Il fulminait.

    - Pourquoi ne pas nous l'avoir dit plutôt ? 

Elle évita la question et, se levant avec une énergie soudaine, s'écria : 

   - Bon ! Je crois qu'il est temps d'aller dormir. On reparlera de tout ça demain matin. 

   - La nuit porte conseille, glissa Thomas en espérant que la vieille changerait d'avis.

Après un rapide tour par la salle de bain, les deux garçons allèrent se coucher, pensifs. Dario et Newton dormaient déjà. 

Une heure plus tard, Thomas ne s'était pas assoupi. Il regardait le plafond de sa chambre comme s'il détenait les réponses à toutes ses questions. Aussi, il était réveillé quand Ginette entrouvrit la porte, les regarda, murmura quelque chose qui ressemblait à désolé, puis referma la porte. 

La serrure émit un léger cliquetis. 



NémésisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant