Après leur avoir servi une tasse pleine du breuvage chaud, Ginette porta le sien à ses lèvres, hésita, puis le reposa sans y avoir goûté.
- Comme partout dans le monde, le virus est arrivé ici soudainement, sans prévenir. Je vivais seule dans cette maison depuis plusieurs années, aussi je n'ai remarqué ce qui se passait que le lendemain matin. Immédiatement, je suis parti chercher mes petits enfants, qui habitaient à quelques bornes seulement. Leurs parents - ils n'avaient que la trentaine- étaient morts tous les deux, ainsi que le moyen.
Bien que sa voix se serra dans un sanglot, elle ne s'arrêta pas. Thomas fut surpris de la force de la vieille dame, qui montrait plus de courage que la plupart des adultes que Thomas avait vu à Montpellier. Quand ils avaient quitté la ville, les rumeurs disaient que tous les parents avaient pris la fuite.
- J'ai pu prendre les deux autres avec moi. Ils m'ont appris que j'avais été chanceuse de m'en sortir, que les personnes âgées avaient été beaucoup plus touchée que les autres. Nous avons vécu les trois dernières semaines ici, où nous avons de l'électricité grâce aux éoliennes situées à proximité.
C'était ça qui lui avait semblé étrange avec la lumière, s'exclama intérieurement Thomas. A Montpellier, et sans doute dans la plupart des villes du monde, l'électricité appartenait au passé. Plus de téléphones, plus d'ordinateurs, de consoles de jeux, mais également plus de frigo, de radiateur, de four, d'eau chaude... Thomas n'aurait pas été étonné s'il apprenait que, parmi les personnes immunisées au virus, beaucoup étaient mortes des suites de cette coupure planétaire. Le village dans lequel ils se trouvaient avait beaucoup de chance de dépendre de ces énergies renouvelables, et qu'elles fonctionnent encore.
- Et puis, il y a deux jours, des soldats sont arrivés, continua-t-elle. Elle essayait de paraître calme, mais ses points se serrèrent sur ses genoux. Ils étaient très nombreux et ne cessaient de se crier des informations ou des ordres. Ainsi, nous avons pu comprendre qu'ils étaient une équipe chargée de la reconstruction de la société après Némésis. Nous avons vite deviner que ce nom désignait le virus. En une seule soirée, ils avaient recensé toute la population des villages alentours, et nous avaient ordonné de tous nous réunir ici, sur la grande place. Je ne pensais pas que l'on sera si nombreux. Je veux dire, expliqua-t-elle devant l'air étonné qu'ils prenaient face à elle, après ce que j'avais vu dans les villes. Nous étions presque cent-cinquante, là ou je m'attendais à une trentaine de personnes déboussolées. J'ai pu observer que j'étais sans doute la plus vieille personne du lot. La plupart étaient des adolescents, mais il y avait également quelques très jeunes enfants et des adultes. Bizarrement, c'étaient les adolescents qui étaient les plus organisés. Ils avaient pris en charge les plus petits, répartis la nourriture qu'ils avaient trouvé entre eux, et je crois qu'ils s'étaient installés dans le camping de la forêt. Les adultes semblaient complètement perdus. Ils avaient un air hirsute avec leurs cheveux sales et leurs larges cernes.
Thomas n'était pas étonné, il avait pu observer le même genre de phénomènes dans sa ville natale. Il se demanda comment s'était débrouillée Maria, là bas. La connaissant, elle avait dû réussir à organiser tout son petit monde, à distribuer des tâches et à permettre à chacun de s'en sortir. Elle devait faire un bon chef.
- Quand nous fûmes tous installés, un vieux soldat, un général au vu de ses nombreuses médailles, s'est avancé vers nous. Il a prononcé un discours soigneusement préparé, sur la tragédie que nous avions vécu, qu'il fallait prendre un nouveau départ, oublier le passé et se tourner vers le futur... Je sentais bien qu'il y avait anguille sous roche. Depuis plus de soixante- dix ans que je connais la politique, je sais très bien qu'il suffit de paraître confiant devant la peur pour être suivi. Cependant, je ne m'attendais pas à ce qui allait arriver ensuite. A la fin de son discours, il ... Elle s'arrêta, étouffée par l'émotion, puis reprit en formulant autrement.Je me souviens de ses mots : "Nous allons emmener les enfants avec nous. Ils sont le futur." J'étais trop désemparée pour m'enfuir à ce moment. J'ai regardé sans réagir deux soldats emmener mes petits enfants. J'avais l'impression qu'on m'arrachait mon coeur, mais j'étais incapable de bouger. Les adolescents se révoltèrent, ils se mirent à crier en bousculant les soldats, à les injurier. L'un se mit même à les frapper avec une batte de baseball. Ils ne se calmèrent pas, même quand les soldats les maîtrisèrent un par un avec des tasers. Je voyais le corps de ces gamins qui tremblaient sur le sol... Certains ont pu s'enfuir. La plupart ont été emmenés. Les autres sont toujours sur la place. Personne n'a eu l'intention de les déplacer.
D'épaisses larmes roulaient sur ses joues et tombaient dans sa tasse à présent froide, mais elle ne semblait pas s'en apercevoir. Elle regarda Jefferson puis Thomas avec une haine brûlante dans les yeux.
- Je sais depuis le début qu'ils ne viendront pas nous chercher. En tout cas pas moi, je suis trop vieille. Inutile et coûteuse à nourrir, ils n'ont aucun intérêt à me prendre. Mon seul moyen de revoir mes petits enfants est de vous accompagner à Paris et des les récupérer par la force.
Ils n'eurent même pas à se concerter, leur décision était prise. Ginette viendrait avec eux. Newton aboya, comme pour sceller leur union. Elle les conduisit ensuite dans une chambre assez spacieuse au fond d'un couloir, équipée de deux lits superposés, un pour chacun et une place pour la chienne. Lorsqu'ils lui demandèrent si ça la dérangeait que Newton prenne un lit, elle les regarda avec une drôle de tête puis partit en rigolant.
- D'ici deux jours, j'aurai quitté cette maison avec vous ! Vous pensez bien que je me fiche d'avoir des draps salis.
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Némésis
AdventureThomas a 17 ans. Il a un meilleur ami, une petite soeur et même une petite amie. On pourrait le considérer comme un adolescent banal. Mais un événement va changer sa vie. Un événement qui va tuer 95% de la population mondiale. Un virus. Il n'est p...