Chapitre 6

16 4 0
                                    

     - Thomas ! S'écria Jefferson, cette voiture est ouverte ! 

Ils marchaient sur l'autoroute désertique depuis près d'une heure, dans la fraîcheur du matin, à la recherche d'un véhicule qu'ils pourraient utiliser pour remonter vers le nord. Pendant la nuit, ils avaient pris la décision de passer à Lyon sur le chemin pour voir comment la ville s'en était sorti et s'il était possible de faire envoyer des secours à Montpellier.  

Ils s'étaient vite rendus compte qu'il leur serait impossible de faire le trajet entier à pied, ils avaient donc commencé à tirer de manière systémique sur les poignées de toutes les voitures devant lesquelles ils passaient. A l'intérieur de la quasi-totalité de ces véhicules, entièrement verrouillés, se trouvait sur la place avant gauche le corps du conducteur, presque intact. Si Thomas aurait du être écœuré du triste spectacle offert par les cadavres, il n'en était même pas ému. Il avait déjà vu bien pire, se dit-il en repensant au nourrisson trouvé avec Maria. 

Il leva le pouce pour répondre à l'appel de son ami, puis se dirigea vers lui. L'américain avait enroulé le conducteur dans une couverture prise sur la banquette arrière et l'avait placé sur la bande d'arrêt d'urgence. Thomas s'occupa de faire tourner la clé pour mettre en route le moteur, pendant que Lizzie s'allongeait sur à l'arrière. Elle était si pâle qu'on aurait pu compter les veines sur ses joues et son front.

Le moteur s'alluma dans un ronflement, et la voiture avança sur quelques mètres quand Thomas appuya sur la pédale. il poussa un soupir de soulagement. Elle fonctionnait. 

Jefferson plaça Newton dans le coffre, puis s'assit sur le fauteuil passager. 

   - Et en voiture Simone ! S'écria-t-il joyeusement en attachant sa ceinture. 

Au grand désespoir de l'américain habitué au course poursuite des films hollywoodiens, Thomas roulait sans dépasser les cinquante kilomètres-heure, obligé de serpenter entre les véhicules accidentés. La jauge sur le tableau de bord indiquant que le réservoir d'essence était à moitié plein; les jeunes adultes prévoyaient d'atteindre leur objectif avant la tombée de la nuit. 

Vers ce qu'il estimait être le milieu du trajet, Thomas était le seul éveillé dans la voiture. Leur nuit à la belle étoile avait été difficile et ponctuée de réveils fiévreux pour Lizzie; Jeff n'avait cessé de pleurer silencieusement en pensant à ses parents; et Newton semblait s'être donnée la tache de les surveiller dans leur faux sommeil. Thomas, lui, n'avait pas fermé les yeux, trop occupé à penser à leur expédition. Très vite, il réveilla Jefferson pour qu'il prenne son relais pendant qu'il se reposerait.

Ils échangèrent de place et, en quelques secondes à peine, il sombra dans un sommeil profond.

******

Thomas se tenait debout, face au vide. Il n'était pas seul. Il ne voyait personne d'autre, mais il savait qu'il était entouré. Maria était à ses côtés. Alix aussi, et deux personnes qu'il ne connaissait pas, un jeune garçon et une adolescente au regard fier, ses cheveux noirs coupés courts. Il percevait également la présence de Newton, et d'une troupe de jeunes adultes. Il ne savait pas où il était, ni ce qu'il faisait là. Mais il savait que c'était sa place, au devant de ses amis. 

Ses amis. Des gens qu'il ne connaissait pas pour la plupart. Jefferson et Lizzie n'était pas là. Mais avaient-ils été présents un jour ? Thomas ne savait plus. Il était perdu. 

   - Il faut sauter, lança Alix. Elle devait avoir raison, Alix a toujours raison. Il avança vers le vide.  

   - Tu ne peux pas faire ça, Thomas ! C'était Maria qui parlait, mais elle avait la voix de Jefferson. On lisait la peur dans ses yeux. Elle avait les yeux de Lizzie. Si Lizzie avait peur de sauter, il ne sauterait pas. 

Pourquoi sauter ? 

   - Je te suivrais, même si j'ai peur, dit le jeune garçon derrière lui. Sa voix lui était à la fois inconnue et familière. 

   - C'est normal d'avoir peur, répondit l'adolescente. Thomas reculait, mais la falaise avançait vers lui en même temps. Il allait tomber. 

Non, sauter. 

Il sauta. 

******

Thomas se réveilla en sursaut, les dernières bribes de son rêve finissant de lui échapper, avec cette étrange impression de tomber depuis des heures. Il était seul dans la voiture. 

Il en sortit, et s'approcha de la barrière marquant le bord de l'autoroute, derrière laquelle il voyait Jefferson lancer des bâtons à Newton. La chienne les rattrapait tous avant qu'ils ne touchent le sol.  Il resta immobile le temps de profiter du spectacle. Il se dégageait à ce moment de son ami une joie et une insouciance que Thomas n'avait plus vue depuis l'arrivée du virus. 

Cependant, lorsque l'américain le vit, son sourire s'estompa aussi rapidement qu'une vague efface les traces sur le sable. Il avait le regard grave, un regard qui inquiéta Thomas. 

   - Lizzie ne va pas bien, lui apprit-il, elle a de la fièvre et elle délire. Je me suis arrêté pour la mettre à l'ombre, il n'y a pas de clim dans la voiture. 

Thomas se précipita vers la forêt, sauta par dessus la barrière, et s'arrêta à proximité de sa soeur. Elle avait les yeux fermés, mais le jeune adulte était persuadé qu'elle ne dormait pas. Si elle dormait, elle ne serait pas prise de convulsions si puissantes que son dos ne touchait plus terre, son souffle ne serait pas saccadé comme s'il elle venait de piquer un sprint, et son front ne serait pas si blanc et couvert de sueur. C'est à ce moment, en regardant sa petite soeur se tordre de douleur, que la réalité sembla percuter Thomas de plein fouet. 

Le virus n'était pas vaincu. 



***************

NémésisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant