Chapitre 12-1

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   - La rivière, elle s'appelle l'Allier, expliquait Dario, elle démarre dans le Rhône remonte jusqu'à la Loire. Je m'en souviens, c'est ce qu'on était en train d'apprendre en géographie avant... Avant tout ça. Mattias m'avait aidé à retenir la leçon. 

Comme à chaque fois qu'il parlait de son frère, son regard s'éclairait. Il se mit à regarder vers l'horizon , un sourire dissimulé sur les lèvres. Il gardait espoir. 

   - La Loire, c'est pas le fleuve qui remonte, puis qui bifurque et passe à l'horizontale au milieu de la France ? Sur une carte je veux dire, demanda Jefferson. 

   - Si, répondit le troisième. Sauf qu'au rythme où on va, on en a pour des jours de rame. Et je ne crois pas être capable autant de temps. 

   - T'as raison, reprit l'américain, déçu. De toute façon il va bientôt faire nuit, il faut qu'on trouve un endroit où s'arrêter. On est passé à côté de pas mal de villages depuis tout à l'heure, ça ne devrait pas être trop long avant qu'on en trouve un autre. 

   - Ou bien il y a cette maison là bas ! S'exclama le plus jeune en pointant du doigt un grand édifice en pierres blanche qui se tenait sur les berges de la rivière. Comme ça, on ne sera pas dérangés par des villageois qui veulent nous mettre en prison. 

Ils optèrent rapidement pour cette option, convaincus par l'argument de Dario. 

   - Il faut qu'on traverse, fit remarquer Thomas. On sera entraînés par le courant si on ne vas pas assez vite.

Jefferson, qui se reposait depuis un moment, prit les rames et Thomas fut celui qui descendit lorsque l'eau devint trop peu profonde pour ramer. Il tira la barque jusqu'à l'échouer sur la rive. Quand il eut fini, il avait les joues rougies par l'effort. 

La porte d'entrée étant bien sûr fermée, Jefferson dut briser une vitre avec sa rame pour s'introduire à l'intérieur de la maison. Quand il leur eut ouvert, Thomas s'allongea immédiatement sur le canapé en poussant un grognement de contentement. 

Ramer l'avait exténué et il avait besoin de se reposer. Il laissa ses amis s'occuper du dîner. Eux le laissèrent seul, pensants qu'il en avait besoin après cette fuite qui avait fait disparaître Lizzie trop brusquement. 

   - Tu fais une drôle de tête Thomas, lança Dario deux heures plus tard. 

Ils s'étaient installés autour de la table basse du salon. Bien sûr, ils n'avaient pas pu récupérer leurs sacs ni les provisions qu'ils contenaient mais la cuisine était bien équipée, et ils se régalaient de pattes à la sauce tomate. Ils n'avaient pas fait de festins comme celui-ci depuis plus d'un mois, pourtant Thomas ne semblait pas dans son assiette. 

Ce qui inquiétait Jefferson était qu'il ne paraissait ni triste ou désespéré, mais ... il ne savait pas quels mots utiliser. Joyeux et en colère en même temps. Il avait les muscles faciaux plus détendus que depuis plusieurs semaines, mais ses yeux suggéraient autre chose. L'américain n'y comprenait rien. Il avait décidé de lui en parler lorsque Dario dormirait. 

Plus tard dans la soirée, les deux plus grands envoyèrent leur cadet dans une chambre. Ils avaient trouvé un paquet d'épaisses cigarettes. Aucun des deux n'avaient jamais fumé, mais ils étaient décidé à tester ce soir-là. Ils s'installèrent donc au bord de l'Allier, les jambes de leurs pantalons retroussées et les pieds dans l'eau

   - T'es sûr que t'en veux encore une ? Demanda Jefferson, la voix rauque d'avoir toussé, c'est dégueulasse ces machins. 

   - J'en ai besoin, insista Thomas. Tu peux pas me refuser ça. Et puis, on risque quoi, le cancer ? Non mais franchement, après tout ça, tu crois que c'est un cancer qui va nous choper ? Ce serait trop bête, conclut-il en pouffant.

   - Tiens, vas-y, céda l'autre. Mais avant tu dois répondre à une question. Il attendit que son ami acquiesce avant de continuer : Qu'est ce que t'as depuis qu'on est là ? T'es bizarre... je ne te reconnais plus. 

   - Je me dégoûte, répondit Thomas après un moment. Je devrais être triste. Ne me dis pas qu'on a chacun sa manière de faire son deuil. J'en ai déjà vécu, trop même. Ma vie, mes parents, mes amis, tout. Et là... là je me sens bien. Tu sais pourquoi ? Parce que pour la première fois depuis des semaines, je vais pouvoir dormir en paix. Je me dégoûte, je te dis. Ma soeur est morte, et moi je suis heureux ! Tout ça pour un putain de sommeil ! Je me dégoûte Jeff ! T'imagines pas le nombre de fois où j'ai souhaité sa mort, seul la nuit. Au matin je finissais par me dire, ce n'est qu'une pensée, tu ne le crois pas réellement. Tu parles !  Maintenant qu'elle est partie, je le sais. Je suis un monstre ! Je me dégoûte ! 

Il avait terminé de parler en criant vers la rivière, comme s'il voulait s'adresser à quelqu'un d'autre, voire au monde entier. 

La main tremblante, il alluma le briquet, l'approcha de son mégot et l'éteignit avant que les deux ne se rencontrent. 

   - Je n'en veux plus, dit-il en la redonnant à l'américain. Bonne nuit. 

Il retourna à l'intérieur en écrasant rageusement les larmes sur ses joues, laissant Jefferson les pieds dans l'eau, encore sous le choc de la déclaration de son ami. Il n'imaginait pas qu'une personne puisse ressentir des sentiments si contradictoire. 

   - Pourquoi tu te mens ainsi ? murmura-t-il dans le noir. 

NémésisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant