Chapitre 18-1

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   - On ne part pas ? Demanda Dario.

Ils attendaient depuis plusieurs heures déjà à l'orée de la forêt, suffisamment proches pour voir les soldats, mais suffisamment loin pour ne pas être repérés. En un mot, la cachette idéale. Sauf que le plus jeune n'avait aucune idée de la raison de cette cachette. Pourquoi ne se mettaient-ils pas en route ? Plus ils passaient du temps à proximité du village, plus il y  avait de chance qu'un soldat les trouve. Mille choses pouvaient mal tourner. Un garde attiré par l'odeur de la cigarette de Thomas, Dario se mettant à tousser à cause de la fumée, Newton aboyant d'ennui, ou rien qu'une chouette qui attirerait l'attention d'un villageois.... Ses jambes le démangeaient, mais si Thomas lui disait de ne pas bouger, il ne bougerait pas. 

   - Non. On doit attendre la tombée de la nuit, j'ai quelque chose à vérifier. 

   - Quelque chose à propos de quoi ?

   - Je te rappelle qu'il y a une chose que nous n'avons pas dite à Giselle, ajouta-t-il en lui adressant un clin d'œil complice. 

   - Les vélos ! Se rappela Dario. Mais comment on pourra les récupérer avec tous ces types qui patrouillent en ville ? 

   - C'est pour ça qu'on va agir à la nuit tomber. On aurait pu tenter une diversion, mais je ne veux pas qu'on se sépare de nouveau après...

Il laissa sa phrase en suspens, ils savaient tout deux de quoi il parlait. Jefferson ne les accompagnerait pas à Paris. Pour le jeune garçon, il avait été comme un véritable grand frère. Avec lui, il parvenait parfois même à oublier l'idée que Mattéo l'attende quelque part, seul. Dario sentit ses yeux se mouiller, mais aucune larme ne sortit. Il avait les pupilles desséchées par la cigarette qui finissait de se consumer dans la bouche de son ami. Il se demanda si c'était pour ça qu'il fumait. Pour ne pas pleurer tous ces morts, tous ces disparus... Sûrement pas que pour cette raison. Avant le virus, des tas de personnes s'abîmaient déjà la santé avec le tabac, et ils ne devaient pas avoir enduré autant d'épreuves que Thomas. 

Quand le soleil se coucha, ils attendirent encore une petite heure, afin que les nuages qui s'amoncelaient au loin aient caché la lune. Dans l'obscurité la plus totale, ils se glissèrent hors de la forêt et longèrent la clairière. Ils étaient prêts à bondir à couvert au moindre bruit suspect, mais rien ne vint les troubler dans leur avancée. Parvenus à la sortie du champ, ils marchèrent un peu sur la route qui le desservait. Se sentant trop exposés, ils optèrent rapidement pour un petit chemin latéral. 

Les deux compères étaient étonnés de ne pas voir de soldats. 

    - Tu penses qu'ils sont partis ? 

    - Non, c'est trop tôt. Ils sont sûrement en pause dîner, le rassura Thomas. Cependant, il n'en avait pas l'air si sûr et il n'arrêtait pas de jeter des coups d'oeil de tous les côtés.  

Soudain, Dario le tapota sur l'épaule en lui faisant signe de tendre l'oreille. Au début, il n'entendit rien, mais petit à petit le bruit s'intensifia. C'était un camion, ou une grosse voiture. En tout cas, maintenant qu'il l'entendait, il trouvait que l'engin faisait un bruit monstrueux. 

   - Il se rapproche, conclut-il. 

Quand le véhicule passa à leur hauteur, ils purent observer avec admiration les épaisses chenilles qui le soutenaient, l'armature en métal aux couleurs de l'automne, la tourelle en haut, posée comme une cerise sur un gâteau, équipée d'un canon long d'au moins un mètre. Le tank était le plus gros qu'ils avaient jamais vu. Thomas se sentit presque flatté que l'armée envoie la grosse artillerie rien que pour eux, mais ce fut une douche froide quand il réalisa que cela signifiait qu'ils auraient du mal à s'exfiltrer de là.

La machine de guerre les dépassa sans s'arrêter -les soldats à l'intérieur devaient avoir une vision très limitée car ils étaient loin d'être bien cachés- et continua sa route vers le village. 

   - On est foutus, déclara Dario d'une petite voix. 

   - Pas du tout ! On va juste... devoir jouer serré, grimaça l'autre en réponse. 

   - Donc on est foutus. 

Sans relever le défaitisme de son camarade, Thomas l'entraîna jusqu'à l'endroit où ils s'étaient arrêtés quatre jours plus tôt. Ils mirent un moment à trouver le lieu exact, mais quand ils y arrivèrent, rien ne semblait montrer que les soldats étaient passés.  L'herbe était toujours aplatie là ou ils avaient posé leurs sacs, les buissons qu'ils avaient traversé s'étaient bien remis de leur passage et il restait même quelques miettes au sol, vestige de leur repas de ce soir-là. Il ne manquait qu'une seule chose pour que le paysage soit parfait : les vélos. 

   - Ok, admit Thomas. On est foutus. 

NémésisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant