Chapitre 15-1

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Thomas tentait de marcher à la hauteur de la femme mais il ne parvint pas à suivre son rythme rapide, déséquilibré par le poids de son sac passé sur une épaule. 

Lorsque les deux garçons s'étaient tournés vers elle, elle s'était contenté de se retourner et de partir quasiment au pas de course, lançant tout juste un " Suivez-moi" par dessus son épaule. Ils avaient sautés sur leurs affaires, heureusement déjà empaquetées, et avait couru à sa suite. Thomas mourrait d'envie de lui demander où ils allaient, son nom, ou au moins une indication qui pourrait les renseigner sur son identité, mais il était à bout de souffle. Chaque chose en son temps, se dit-il. D'abord, il leur fallait la suivre en silence. Ensuite, ils poseraient les questions. 

Très vite, elle quitta la rue principale pour les mener à travers les jardins et les terrasses des maisons. Thomas en déduisit qu'elle voulait cacher leur présence aux autres habitants du village. Après un petit quart d'heure de cette marche dynamique, elle les fit entrer dans une bicoque en pierre, située un peu à l'écart. Comme toutes les autres maisons qu'ils avaient aperçu, elle était recouverte de lierre ou de vignes grimpantes. 

Ils pénétrèrent dans un salon qui devait être décoré avec goût quelques semaines plus tôt, mais l'occupante des lieux semblait s'être laissée aller depuis l'arrivée du virus. La petite table en verre était surchargée de magasines de toutes sortes et de quelques classiques de la littérature française. Sur une commode placée devant la fenêtre pour en masquer la vue s'entassaient des photos d'enfants souriants, perchés sur des chevaux, dans un accrobranche, à la piscine... Sûrement les petits enfants dont elle avait parlé. Elle les invita à s'asseoir dans d'épais fauteuils feutrés parsemés de miettes de gâteaux . Afin d'en laisser un à cette étrange femme, Jefferson prit Dario sur ses genoux. 

Elle s'assit sur le troisième et dernier siège, puis se tourna vers eux, l'air grave. 

   - Je n'ai ni tout entendu ni tout compris à ce que vous disiez, dit-elle de sa voix profonde, alors il faudra que vous recommenciez depuis le début. Cependant, j'ai cru comprendre que vous opposiez d'une certaine manière à ce qui se passe en ce moment... Je pense que je peux vous aider. 

Thomas échangea un regard vainqueur avec son ami, puis se tourna pour la remercier : 

   - Merci, madame... Madame ? 

   - Appelez moi Ginette. 

Jefferson commença à lui raconter leur histoire : 

    - Tout à commencer il y a un mois...

Seulement un mois, songea Thomas. Ça lui paraissait une éternité. Son ancienne vie lui semblait si loin... Pendant un moment, il quitta son corps pour revenir dans la réalité. L'ancienne réalité, ne put-il s'empêcher de corriger. S'il ne s'était rien passé, il serait surement en train de dormir chez Alix, dans les bras l'un de l'autre. Bien que Jefferson l'ai souvent cajolé à ce sujet, ils n'avaient jamais franchi le grand pas. Thomas se disait que, si Alix était toujours à ses côtés dans sa folle aventure, les choses auraient peut être été autrement. 

Ses pensées dérivèrent ensuite vers ses parents, son appartement et, inévitablement, vers sa petite soeur. Peut être que, ce soir là, Lizzie serait montée dans son lit, terrorisée par le monstre qu'elle voyait derrière sa porte. Oboye, se souvint Thomas. Une fois, après s'être réveillée en sursaut, elle avait pleuré très fort en appelant Thomas. Elle lui avait dit que quelqu'un l'observait. Comme elle sanglotait, il avait entendu Oboye, et le surnom était resté. Il avait remarqué que nommer sa peur aide à l'amoindrir. Mais, dans son cas, comment donner un nom à la peur de voir ses proches mourir, quand il ne lui restait déjà plus que Jefferson et Dario ? 

Il retourna au présent en secouant la tête. Son ami était en train de parler du moment où ils avaient rencontré Isa et le garçon. Il remarqua que l'américain n'avait pas nommé Lizzie depuis un moment. Ginette avait du s'en rendre compte car elle l'interrompit quand il expliquait leur fuite sur le fleuve : 

    - Qu'est il arrivé à la fille qui était avec vous ? 

   - Elle est morte, intervint sèchement Thomas. Une mutation du virus. 

Elle eut la décence de ne pas insister. Pour Thomas, à son grand étonnement, plus il en parlait, plus il lui était facile d'admettre qu'elle ne reviendrait pas. Son regard glissa sur Dario, qui était toujours persuadé que son grand-frère l'attendait quelque part.

   - Et c'est à ce moment que Thomas a surpris votre discussion, dans la maison près de la forêt. C'est à peu près tout, conclut-il finalement. 

Ginette se redressa lentement et garda les yeux fermés pendant plusieurs secondes. Durant tout le temps qu'avait duré le récit de Jefferson, elle était resté silencieuse, hochant la tête au bon moment, gardant le silence sauf pour demander des précisions, et jamais quand il n'y en avait pas besoin. Elle savait  écouter. 

Si Thomas avait remarqué qu'elle s'était rembrunie quand ils avaient parlé de la responsabilité du gouvernement, elle ne semblait pas surprise. 

   - Laissez moi vous raconter ma version de l'histoire, finit-elle par déclarer. Mais avant, je vais vous faire du thé. On pense toujours mieux autour d'une tasse chaude. 

NémésisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant