Chapitre 37

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« – Apollon, sors d'ici tout de suite, dictai-je. »

Les deux dieux me regardent, stupéfaits de me trouver là. En particulier Hélios, chez qui je soupçonne des tremblements. Apollon baisse la tête, l'air désolé et quitte la pièce.

« – Mon amour, tu pleures, constata Hélios.

– Tu devrais savoir pourquoi.

– Non, explique-moi, je suis là pour toi.

Il se hâte de me rejoindre et se prépare à me prendre dans ses bras, mais je le repousse violemment.

– Ne me touche pas !!

– Akenna, qu'est-ce qu'il t'arrive ?

– Ce n'est plus la peine de jouer la comédie Hélios ! Je suis au courant de tout ce que tu as fait !

– Je...

– Comment as-tu pu tuer ma mère ?! Je croyais que tu m'aimais !!

– Mais je t'aimais et je t'aime toujours ! C'est justement pour cela que j'ai agi.

– Je m'en moque ! C'est immonde ce que tu m'as fait. »

Je me dirige vers la porte de ma chambre pour sortir. Je ne veux plus le voir. Mais Hélios me retient, alors que je débats de toutes mes forces.

« – Écoute-moi mon amour, je t'en supplie. Si j'ai fait ça c'est pour nous...

Je suis bien trop faible pour résister davantage. D'ailleurs Hélios le sait parfaitement et en profite pour continuer de parler.

– Akenna. Jamais tu ne serais montée sur l'Olympe si je n'avais pas agi. Je savais que j'allais t'aimer depuis bien avant ta naissance. Le devin me l'avait dit. J'ai veillé sur toi depuis ta venue au monde, et comme tu étais déjà belle à ce moment-là. Tu voulais rester toute ta vie chez les mortels avec ta mère. On ne se serait jamais rencontré si tu n'étais pas montée sur l'Olympe. Et j'étais prêt à tout pour te faire venir à moi.

– Alors...tu as tué ma mère par pur égoïsme ?

– Non mon amour. C'était parce que je t'aimais...

– Pendant des mois, tu as fait semblant. Durant des semaines tu as profité de ma tristesse. Mais surtout, j'ai souffert à cause de ton crime !!

– Je suis désolé Akenna.

– Ce n'est pas vrai ! Tu ne l'es pas ! Je sais parfaitement que tu recommencerais ! Quand je pense que droit dans les yeux tu m'as dit que tu m'aimerais pour la vie, droit dans les yeux tu m'as dit que jamais tu ne me ferais de mal. Mais depuis le début tu es la source de mon malheur !

– Ne dis pas ça. Je t'aime.

– Mais moi je te hais !! »

Je donne une violente gifle à Hélios, qui finit par me libérer et cours le plus vite que je puisse, poursuivie malgré tout par les appels de l'homme noir. Je m'élance dans la nuit noire, aveuglée par les larmes, et la gorge nouée par les sanglots que je ravale. Je saute du haut de la falaise, sans me métamorphoser. Je veux tellement mourir, chasser la douleur qui comprime mon cœur. Mais je ne peux pas faire cela maintenant.

« – Quoi qu'il puisse m'arriver, je veux que tu vives. »

Les paroles de ma mère resurgissent dans mon esprit, comme si c'était vraiment elle qui me parlait. Je me souviens du moment où elle m'a dit cela. Nous étions assises, toutes les deux à table, ses mains liées aux miennes. Comme j'étais heureuse... Je lui ai juré devant les dieux de vivre pour elle, et c'est ce que je vais faire. Mes ailes me sauvent, tout comme ma détermination. Je passe sous les arbres pour ne pas être repérée, et pars loin de l'Olympe, loin de ces dieux corrupteurs et menteurs. Ma mère voulait tellement me voir devenir quelqu'un de bien, mais j'ai vécu durant presque une année entière avec un meurtrier. Quand je pense que je lui aurais tout donné. Je pleurais dans ses bras lorsque je faisais des cauchemars, alors que lui me consolait. Il faisait semblant de me rassurer, de me dire que tout irait bien. Je revois son sourire que je trouvais hier encore si irrésistible, si bienveillant.

Hélios m'avait promis de ne jamais me faire de mal. Seulement, je me rends compte à présent que c'était lui la source de tout. La mort de ma mère, mes cauchemars qui ne cessaient jamais, ma peur, mon désir de vengeance. Il m'a transformée totalement. Je ne veux plus être une déesse, je ne veux plus vivre sur l'Olympe. Ma vie de mortelle, simple et pourtant si agréable me manque terriblement. Là au moins, je ne souffrais pas ainsi. Ma mère était là pour me consoler lorsque je pleurais l'absence de mon père, elle m'enseignait, m'écoutait et me parlait. Finalement, c'est elle la seule personne que j'aimerais toujours. Celle qui passera à jamais avant les autres. À partir de maintenant je me demanderai toujours avant d'agir ce qu'aurait fait Galena. Elle a toujours été, et sera à jamais mon modèle.

Je me pose sur la plage, face à la mer. Les nuages camouflent la Lune, tandis que des chouettes hululent dans la nuit profonde. Je m'allonge sur le sable fin et chaud, qui me rappelle mon enfance. Mes souvenirs remontent à la surface, tout comme la joie que j'éprouvais dans ces moments. Je me remémore la façon dont je courais joyeusement sur la plage, riant et criant, alors que ma mère me poursuivait. Lorsqu'elle me rattrapait, nous tombions toutes les deux dans le sable, et nous ne pouvions nous arrêter de rire gaiement. Je donnerais tout pour retrouver cette joie passée, ma mère, ma vie...

Malheureusement les choses sont ce qu'elles sont. Je me retrouve malheureuse, et seule encore une fois. Au fond, peut-être que je ne suis vouée qu'à la solitude et à une mélancolie éternelle. Le bonheur ne m'est sans doute pas accessible, parce que je ne suis pas normale. Les humains à part entière connaissent des moments douloureux, mais ils finissent par reprendre leur vie en main, et trouvent enfin le bonheur. C'est comme une courbe, qui est d'abord croissante, avant de devenir décroissante d'un seul coup, puis de remonter progressivement avant d'atteindre son maximum. Moi, je suis comme une ligne droite, descendant jusqu'aux Enfers. Non, le bonheur n'est définitivement pas pour moi. En tout cas, pas en étant une déesse. Dans ces cas-là, je resterai mortelle, vivrai encore jusqu'à ce que la mort m'emporte. Là je retrouverai ma mère, et j'aurai vécu, comme elle me l'a demandée. Seulement où irai-je ? Il ne reste plus qu'un seul endroit où je pourrais peut-être me reconstruire, travailler et oublier Hélios. Car, je pense que la pire façon de lui faire payer ses crimes, est de le laisser vivre, dans la souffrance de m'avoir perdue. Attendant désespérément mon retour, qui ne se fera jamais. Voilà le pire des châtiments, l'attente éternelle du dieu du soleil.

AKENNA-TOME 1-La Mortelle divineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant