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Héloïse

Je traversai la grande salle rapidement pour en sortir avant qu'une larme ne m'échappât. Mon cœur s'était serré à en être douloureux lorsque le Duc avait proposé la main de sa fille à Tristan. À peine eus-je franchi la porte, que je sentis une présence dans le couloir. Un homme se tenait dans l'ombre, guettant l'intérieur de la salle. Instinctivement, je portai la main à la dague à ma taille mais l'homme paraissait inoffensif et se contenta de m'aborder.

- Êtes-vous le valet du Comte d'Armagnac ?

Je fus immédiatement sur mes gardes et le détaillai du regard pour chercher tout signe de menace. J'arrêtai juste après avoir distingué une fleur de lys sur son habit de voyage.

- Oui Messire, que puis-je faire pour vous ?

- Pouvez-vous lui demander de me rejoindre ici ?

Je hochai la tête et fis demi-tour. J'approchai du but, l'éclaireur du Duc d'Orléans était ici, signe qu'il en serait de même pour mon père d'ici peu. Tristan était toujours en train de converser avec le Duc de Nemours même si je distinguais peu d'entrain de sa part. Je me glissai à côté de lui sur le banc en bois et posai ma main sur son épaule pour attirer son attention dans tout ce bruit. Son regard se planta dans le mien quand il se tourna et j'y lus du soulagement et un autre sentiment que je ne pus décrypter.

- Un homme demande à vous voir Messire. Il s'agit d'une affaire assez urgente.

Il acquiesça et se leva pour me suivre jusqu'à la sortie de la salle. L'homme était toujours là, dans la pénombre en train de remettre de l'ordre dans sa tenue de voyage. Sa cape était couverte de poussière et ses bottes de boue séchée.

- Veux-tu bien nous attendre là Elliot et empêcher quiconque de venir ici ? Demanda Tristan avant de suivre le messager quelques pas plus loin pour récupérer les précieuses informations dont il avait besoin.

Je ne pus distinguer que "deux jours" dans leur conversation. Si c'était le temps qu'il me fallait attendre avant de rencontrer mon père, j'en étais heureuse. C'était suffisamment proche dans le temps pour que je risquasse moins de me faire démasquer. En attendant, j'allais devoir errer dans le château en faisant ce que Tristan aurait besoin que je fasse et des activités d'homme le reste du temps libre, ce qui serait plus compliqué. Je me rendis compte que Tristan avait fini avec le messager du Dauphin lorsqu'il posa sa main sur mon épaule pour me faire sortir de ma torpeur.

- J'ai fini avec cet homme, retournons à table.

Je freinai des quatre fers.

- Non messire, je vais plutôt aller me coucher, je me sens fatigué de la journée. Je vais vous laisser profiter de la soirée auprès du Duc de Nemours. Et de sa fille. Bonne soirée messire.

Tristan me regarda, étonné, faire demi-tour dans le couloir pour regagner l'aile où se situaient nos chambres. En chemin, je fis un détour aux cuisines pour quémander de l'eau pour faire ma toilette. C'était l'ébullition : les cuisiniers se dépêchaient de préparer les derniers mets sucrés pour achever le banquet, les servantes remplissaient les cruches de vin, ramenaient les plats en céramique vides que les plongeurs commençaient à laver. Une servante, plus petite que moi et à peine plus jeune, vint à ma rencontre en me remarquant immobile à côté de la porte en train de les observer.

- Que puis-je faire pour vous messire ?

Un sourire mutin ornait son visage tandis qu'elle glissait sa main sur mon bras dans une tentative de séduction. J'avais oublié qu'on me prenait pour un homme et il semblait qu'Edwin eut raison : si je le souhaitais réellement, je pouvais retourner à ma chambre accompagnée.

- Un peu d'eau chaude si cela vous est possible.

- Avec plaisir mon beau.

Elle revint quelques minutes plus tard avec une petite bassine en bois contenant l'eau brulante.

- Autre chose mon joli ?

- Non merci, bonne soirée ma demoiselle.

Je lui tournai le dos avec la bassine et pris mes jambes à mon cou. Une fois dans ma chambre, je soufflai, appuyée contre la porte. Cette situation avait été de loin l'une des plus gênantes de ma vie. Je plaçai la bassine devant la petite table où attendait déjà une cruche d'eau froide et me délestai progressivement de mes vêtements. Aidée d'un linge et d'un bloc de savon dans mes affaires de voyages, je nettoyai minutieusement mon corps après ces cinq jours de chevauchée. La flamme de la bougie tremblota plusieurs fois à cause des courants d'air froid qui traversaient le château et réveillai ma chair de poule mais je poursuivis ma toilette.

¤ - ¤ - ¤
Tristan

Je voulais m'enfuir. Je ne supportais plus les bavardages de Constance de Nemours depuis déjà de longues minutes et la place vide à mes côtés ne cessait de me rappeler l'absence de mon valet. Peut-être aurais-je du profiter de cette entrevue avec le messager du cousin du Roi pour quitter définitivement le banquet et la compagnie de la fille du Duc. Il allait falloir que je trouvasse avec tout le tact dont j'étais capable une façon d'annoncer au Duc que je ne souhaitais pas épouser sa fille.

- Monsieur le Duc, je vous prie de m'excuser mais il est temps pour moi de me retirer, ces derniers jours de chevauchée n'ont pas été de tout repos.

- Je vous en prie. Avez-vous besoin que ma fille vous raccompagne à votre chambre ?

- Merci mais cela ne sera pas nécessaire, j'ai mémorisé son emplacement dans votre château. Bonne soirée Monsieur le Duc.

Constance de Nemours eut l'air désappointée de mon refus, peut-être nourrissait-elle l'espoir de m'épouser. Je me retirai de la salle du banquet et regagnai les couloirs frais et sombres du château pour aller faire un tour aux écuries et vérifier le confort de nos montures avant de gagner ma couche. L'air n'était pas trop frais à l'extérieur, nous approchions des jours chauds du mois de juin. Je ne croisai personne en traversant la petite cour pavée ni dans les écuries où tous nos chevaux avaient été bichonnés avec application. Visiblement, le Duc de Nemours souhaitaient s'attirer mes compliments et être dans mes bonnes grâces, mais je n'épouserais certainement pas sa fille pour le soin apporté à quelques montures.

En traversant la cour dans l'autre sens pour regagner ma chambre, une lueur attira mon attention. Un halo tremblotant de bougie éclairait une pièce au premier étage de la demeure du Duc. En y portant plus d'attention, je parvins à distinguer des mouvements et soudainement un visage surgit de l'ombre.

Une femme concentrée à sa tâche dont les cheveux d'un blond vénitien cascadaient sur son épaule, masquant une partie de son visage depuis ma position. D'un geste machinal, elle les fit passer dans son dos, libérant ma vue. J'étouffai un hoquet : une simple chemise blanche légère dissimulait sa peau et son visage ressemblait presque trait pour trait à celui qui hantait mes nuits depuis des années. Je secouai la tête pour tenter de chasser cette vision qui pour la première fois venait me tourmenter éveillé. C'était le signe qu'il était temps pour moi de rejoindre mes draps, surtout si je ne tenais pas à passer pour fou, immobile ainsi au milieu de la cour depuis plusieurs minutes, à fixer une fenêtre. D'une façon assez incompréhensible, mes yeux avaient continuaient à la fixer tandis qu'elle effectuait des gestes dont je n'avais pas encore compris le but. Je détaillai ce qui était visible de sa silhouette du regard. Elle commença à démêler ses mèches à l'aide d'un peigne en bois, la peau de ses mains dorée par la lueur de la bougie. Sa chemise d'un blanc écru retombait avec de nombreux plis sur les légères rondeurs tentatrices de sa poitrine. Elle acheva sa tache et se tourna vers la fenêtre pour souffler la petite flamme qui donnait naissance à cette vision, mais son regard clair croisa le mien avant qu'elle n'eut le temps de le faire. Une expression étonnée se peignit sur les traits magnifiques de son visage, écarquillant ses si jolis yeux, puis ses lèvres s'arrondirent pour expulser le souffle qui mit fin au charme, sans détourner ses prunelles des miennes.

Tout cela me sembla trop réel pour avoir été simplement le fruit de mes délires, une femme se trouvait-elle dans cette pièce pourtant réservée aux membres de mon petit régiment ?

Héloïse ou Le double jeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant