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Tristan

Elliot, puisque je ne savais pas comment la nommer autrement, me regarda attentivement tandis que je lui contais l'histoire de mes parents que, lorsque j'étais plus jeune, ma mère n'avait cesser de me narrer le soir pour m'endormir quand je lui réclamais.

- C'est une belle histoire mais je ne comprends pas où vous voulez en venir Messire, répondit-elle perdue après un léger silence.

- Je compte faire comme mon père, épouser une femme parce que je saurais qu'elle me rendra heureux comme il l'a été. Et je sais déjà que cela n'arrivera pas avec Constance de Nemours.

- Mais comment pouvez-vous le savoir ? Vous n'avez même pas pris la peine de la connaître !

Je souris en songeant à la même créature qui me rendait visite dans mes rêves depuis près de trois années et qui ressemblait fort à Elliot même si je n'avais pas encore pu la voir en femme. Je n'attendais d'ailleurs que ça pour pouvoir confirmer mon intuition mais je ne pouvais la brusquer et ainsi prendre le risque qu'elle me fuit.

- Je pense que j'ai déjà trouvé cette femme, elle hante mes nuits depuis que je l'ai rencontrée.

Le silence qui envahit la pièce me força à chercher Elliot du regard. La peine transparaissait sur son visage si bien que j'hésitais à passer la nuit dans la même chambre qu'elle pour fuir la présence insistante de Constance de Nemours. Je me raclai la gorge et elle reconcentra son attention sur moi.

- Je vais échanger ma chambre avec Edwin, ainsi vous pourrez dormir correctement pour permettre à votre blessure de guérir comme il se doit. Je suis conscient que cette idée saugrenue de dormir ici pour fuir la fille du Duc de Nemours a pu vous mettre mal à l'aise et je m'en excuse. Je vous ramènerai de quoi manger demain midi et demain soir. En revanche, je risque de venir tard dans la nuit, le Duc d'Orléans organise un festin pour son retour au château.

Après cette annonce, un éclat indescriptible traversa les prunelles d'Elliot et je me souvins qu'elle m'avait déjà interrogé sur l'organisation des bals et autres soirées divertissantes, mais je ne pouvais la laisser assister à celle-là. Tant pour sa blessure que pour protéger son secret.

- Il est préférable que vous restiez ici à cause de votre blessure, précisai-je pour être sûr qu'elle avait bien compris.

- Comme vous souhaitez Messire, j'aurais seulement une faveur à vous demander. Est ce que vous pourriez faire monter de l'eau chaude pour que je me lave et m'occupe de ma plaie demain après la collation de milieu de journée ?

J'acquiesçai sans pouvoir empêcher certaines images de se former dans mon cerveau à la mention de ce lavage. Je secouai la tête pour les faire disparaître et réfréner le désir qui menaçait d'embraser mon bas-ventre, et m'empressai de quitter la chambre en saluant furtivement Elliot.

¤ - ¤ - ¤
Héloïse

Lorsque Tristan m'amena de quoi manger et me laver, il ne se doutait pas une seconde de ce que j'avais en tête sinon je n'avais presque aucune hésitation sur le fait qu'il m'en aurait empêchée et serait reparti avec l'eau. Après tout, il avait eu l'air peu enclin à ce que je quittasse ma chambre pendant le festin où serait mon père. Mais je ne pouvais manquer cela, c'était l'occasion idéale de rentrer en contact avec lui pour qu'il récupérât sa tutelle et s'opposât à un mariage avec le Vicomte de Marsan.

- Je reviendrai dans la soirée, annonça Tristan en sortant avant de verrouiller la porte.

J'avais d'ailleurs passé la matinée à essayer de la déverrouiller à l'aide de mes aiguilles de couture et avais fini par y parvenir, à ma plus grande joie. Je me savais donc pas réellement enfermée dans cette chambre.

Dès que je fus sûre que Tristan ne reviendrait pas, je commençai à laver ma chevelure avec de l'eau froide et un mélange de fleurs séchées qui la parfumait ensuite, avant de m'attaquer à mon corps avec l'eau chaude cette fois et le bloc de savon. Propre et vêtue d'une simple chemise légère de coton, je m'évertuai à démêler mes cheveux avant de les coiffer sans trop de fantaisie même si j'aurais voulu paraître plus sophistiquée que Constance de Nemours. Des bruits commencèrent à se faire entendre dans la cour et je m'approchai de la fenêtre : les premiers invités commençaient à arriver dans des petits carrosses alors que le soleil poursuivait sa lente descente dans le ciel. Je m'empressai de sortir la robe de mes affaires de voyage. Heureusement, le tissu ne comportait pas trop de plis et de l'avoir déjà sortie pour coudre les motifs sur le bas l'avait défroissée. Je l'enfilai par dessus ma chemise de corps et serrai les lacets de son corsage. Mes épaules étaient laissée nue par sa coupe et je sentais mes cheveux caresser le haut de mon dos. Par précaution, je glissai ma dague dans ma botte avant de m'attaquer à la serrure de la porte. Lorsque je pus enfin sortir, la pénombre gagnait la pièce et je soufflai une dernière fois avant de franchir le seuil. Après, je devrais me comporter comme une dame, à l'allure irréprochable. Je redressai mes épaules, ce qui fit légèrement ressortir ma poitrine, et ouvris la porte.

Je me glissai dans le couloir où il n'y avait pas âme qui vive, et progressai entre les murs de pierre en direction de la salle de réception, mes semelles foulant les tapis. Enfin l'entrée de la salle fut en vue et je m'arrêtai, dissimulée au regard du garde par un mur. C'était là que tout se jouait : soit il me laissait entrer sans faire d'histoire, soit... je ne savais quoi faire. Je sortis de ma cachette et avançai vers le garde d'une démarche que je voulais sûre de moi. Il m'arrêta avant que je ne fus entrée dans la salle.

- Bonjours ma Dame, vous avez votre invitation ? Me demanda-t-il tout en me détaillant du regard.

Je saisis la chaîne autour de mon cou pour faire sortir la bague de mon corsage avant de la mettre sous le nez du garde.

- Cela vous convient-il comme invitation ? Lui demandai-je avec un sourire tendu.

Il écarquilla les yeux avant de, pris au dépourvu, effectuer une révérence un peu maladroite. Mal à l'aise, je lui intimai de se redresser.

- Qui dois-je annoncer ? M'interrogea-t-il ensuite.

- Personne, ne vous en faîtes pas, laissez-moi seulement accéder à la salle des festivités.

Il me guida jusqu'à la porte en me souhaitant une agréable soirée, la vision des fleurs de lys sur la bague avait eu l'effet escompté. J'observai, encore dans l'ombre à l'entrée de la salle, l'intérieur. Des tables étaient dressées en U garnies de victuailles. J'apercevais des faisans, des poissons, un marcassin et des fruits étranges, probablement venus du Nouveau Monde. Quelques musiciens jouaient dans un coin, accentuant l'ambiance joyeuse qui régnait dans la salle. Les invités conversaient, rigolaient et mangeaient. Je me crispai en repérant Constance de Nemours installée à côté de son père et d'une place vide mais poursuivis mon exploration visuelle à la recherche de mon père. Je le trouvai, à côté de la place vacante, au centre du U. Il était de loin le plus richement vêtu de tous et je savais à présent d'où je tenais mes yeux si clairs. J'inspirai une dernière fois pour me donner du courage et m'avançai dans la lumière de la pièce. Le silence se fit tandis que les visages se tournaient vers moi, me mettant mal à l'aise. Puis un homme, non loin de moi, se leva pour venir à ma rencontre. Il s'inclina légèrement avant d'attraper ma main pour y déposer un baiser.

- Votre présence illumine ces lieux ma Dame.

Gênée, je récupérai ma main tout en le remerciant du bout des lèvres. Son intervention eut le mérite de briser le silence et les invités reprirent leur conversation tandis que l'homme insistait pour me conduire à table. Je me dérobai au dernier moment pour m'approcher de mon père.

Héloïse ou Le double jeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant