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Tristan

Je rejoignis Elliot avec une furieuse envie de la renvoyer d'où elle venait. Elle était complètement inconsciente de se présenter ici travestie.

- Qu'est-ce que tu viens faire là ?

- Je voulais te voir. Je voudrais rentrer à Lectoure.

- Maintenant ?

Je regardai Héloïse les bras ballants.

- Je ne veux pas rester ici un jour de plus, je veux partir Tristan.

- Mais qu'est ce qu'il se passe ?

Je ne comprenais pas le soudain empressement de Héloïse à vouloir quitter le château d'Amboise pour rentrer chez nous. La veille elle semblait pouvoir supporter les mascarades de la cour encore plusieurs jours et elle était à présent devant moi pour m'implorer de partir presque sur le champ. C'était pour cette raison que je souhaitais savoir ce qui l'avait fait changer d'avis.

- Constance de Nemours est ici. Je ne veux pas prolonger mon séjour en sa présence.

J'étais presque étonné par la franchise dont faisait preuve Héloïse au sujet de la fille du Duc de Nemours.

- Qu'a-t-elle fait pour que vous ne la portiez à ce point dans votre cœur ?

- Elle a suggéré à son père de s'offrir à vous, c'est suffisant pour mériter toute ma méfiance alors que personne ne sait que vous n'êtes plus un Comte à marier.

- Je viens de demander votre main au Duc d'Orléans.

Les yeux d'Héloïse s'écarquillèrent de stupeur avant qu'un magnifique sourire ne vînt éclairer son visage. Je la retins juste avant qu'elle ne me sautât au cou devant les autres nobles présents.

- Il n'a pas donné de réponse. Trois autres personnes ont formulé la même demande auprès de lui.

Le visage de mon valet se décomposa. Je savais qu'un refus de son père à ma demande la conduirait au couvent. Elle avait réaffirmé ses choix quelques jours plus tôt : le couvent ou notre mariage. J'étais assez chamboulé de la voir à ce point formelle, elle me voulait moi et non un autre homme. Elle ne souhaitait faire aucune concession.

- Il ne m'en avait même pas informée.

- Il ne tardera surement pas à le faire, avec ma demande, il vient juste d'en recevoir trois. C'est trop récent pour qu'il ait pu vous en parler.

Héloïse soupira, il n'était pas évident de réaliser qu'elle était demandée par autant d'hommes alors qu'elle n'avait pour l'instant du faire face qu'au Vicomte de Marsan, qui par ailleurs était étrangement calme depuis le refus du Duc d'Orléans d'un mariage avec sa fille. Je comprenais l'envie d'Héloïse de vouloir quitter le château d'Amboise, j'avais la même. Mais pour ma part, ce n'était pas Constance de Nemours qui me donnait envie de partir mais plutôt la Comtesse de Nevers. Je l'avais surprise plusieurs fois à lancer des regard haineux à celle que je comptais épouser et je craignais qu'elle ait découvert ma demande en fiançailles. Cette découverte pouvait la pousser à faire subir bien des choses à Héloïse qui n'était pas encore préparée à faire face aux coups bas de la Cour.

- Je vais demander à mon père de rentrer chez moi, annonça Héloïse.

- Mais avant, vous feriez mieux d'aller vous changer avant que quelqu'un ne s'aperçoive de la supercherie... Ne restez pas ici dans cette tenue, je vous en conjure. Je ne veux pas avoir à découvrir la réaction de votre père s'il vous reconnaissait ainsi.

Héloïse observa un instant toute l'effervescence dans mon dos avant de lâcher un souffle un peu plus bruyant que les autres.

- Bien. Dès que ce petit tournoi entre hommes se sera achevé, j'irai lui parler. Je ne veux pas attendre trop longtemps.

¤ ¤ ¤

L'intérêt des nobles s'était plus porté sur les victuailles qu'apportaient les serviteurs que sur les performances de chacun d'entre nous. C'était sans aucun doute la raison pour laquelle le tournoi ne prit fin qu'à la tombée de la nuit. Héloïse devait tourner en rond d'impatience dans sa chambre en attendant d'enfin pouvoir s'adresser à son père.

Frédéric n'avait jamais été loin de moi, craignant surement que j'allasse exiger du Duc des choses qui auraient définitivement fait disparaître nos chances avec Héloïse de pouvoir se marier. Le Vicomte de Turenne et le Comte de Vemdôme avaient passé l'après-midi à se pavaner et à tenter d'impressionner le Duc d'Orléans avec quelques passes qui les enverraient à coup sûr au cimetière sur un vrai champ de bataille. C'était l'une des choses que j'exécrais à la cour : les nobles oubliaient bien souvent la réalité des combats lorsqu'ils attrapaient une arme.

Frédéric m'aida à retirer ma tunique de protection tandis que les autres hommes quittaient peu à peu les jardins où avait eu lieu le tournoi. Lorsque nous gagnâmes l'entrée du château, un petit groupe y était déjà.

- N'était-ce pas la voix d'Héloïse ? S'étonna Frédéric.

J'accélérai le pas, saisi d'un mauvais pressentiment. Héloïse faisait face à son père, au milieu d'un petit cercle de nobles où je reconnus sans peine le Vicomte de Turenne, le Comte de Vemdôme et le Comte du Maine. C'était suffisant pour que je comprisse qu'il devait être question de la main d'Héloïse.

- Je souhaite rentrer chez moi, Votre Altesse Royale.

- Elle ne peut pas rentrer tant que nous ne savons pas à qui elle va se marier ! Objecta le Vicomte de Turenne.

- Elle devra suivre son futur époux et non pas rentrer chez elle, ajouta le Comte du Maine.

- Ce n'était pas à vous que je m'adressais mais au Duc d'Orléans, s'exclama Héloïse.

Elle s'attira ainsi des regards mécontents des hommes qui l'entouraient : elle venait de hausser le ton en leur présence ce qui ne devait guère leur plaire. Mais elle était comme cela, elle ne réfléchissait pas à l'opinion qu'auraient les autres d'elle. C'était une bien belle qualité à mes yeux mais nous ne pensions pas tous de la même façon.

- Votre Altesse Royale, si je puis me permettre, votre protégée ne sait guère tenir sa langue en présence d'hommes, asséna le Vicomte de Turenne.

Mon regard se porta sur le Duc pour tenter de percevoir sa réaction à une critique même pas déguisée d'un autre noble de la cour.

- Ne vous en faîtes pas pour cela, vous n'aurez plus à supporter sa présence. Je ne vois pas pourquoi vous souhaitez l'épouser si son comportement ne vous sied point. Il me paraît donc évident de rejeter votre demande Monsieur le Vicomte de Turenne.

J'observai avec un léger soulagement le Duc d'Orléans remettre à sa place ce Vicomte que j'aurais bien volontiers fait taire moi-même.

Toutefois, Héloïse avait toujours de nombreux prétendants et ils avaient à présent compris qu'ils ne pouvaient pas se permettre les critiques habituelles concernant la protégée du Duc. Et moi, je ne savais que faire pour gagner définitivement auprès du père de Héloïse le droit d'épouser sa fille.

Héloïse ou Le double jeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant