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Joyeux noël à tous ! Un chapitre en cadeau !

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Héloïse

Cela faisait trois jours que je chevauchais en direction de Lectoure avec pour seule compagnie Frédéric. La Reine, Anne de Bretagne, avait accouché quelques jours après notre départ du château d'Amboise et le dauphin n'avait pas survécu le temps de la journée. Les esprits s'échauffaient rapidement à la cour, le couple royal n'ayant toujours pas donné d'héritier vivant au royaume, et Tristan avait été rappelé pour la protection du Duc d'Orléans, le temps que les tensions s'apaisassent autour des membres de la famille royale.

C'était avec un pic au cœur que je l'avais vu repartir seul vers le Nord, dans la direction opposée à celle que nous avions empruntée avec mon frère. Et nous allions atteindre Lectoure avant la fin de la journée, seulement tous les deux. À notre départ d'Amboise, j'avais espéré retrouver le calme et la tranquillité de Lectoure avec Tristan, un peu plus libres de nos actes sans tous ces vautours à nous épier quels que furent nos gestes. Mais j'allais encore devoir attendre avant de pouvoir savourer un tête à tête avec mon fiancé. J'allais d'abord subir toute une série de questions provenant de ma mère adoptive, et de sa sœur sûrement, pour savoir si tout s'était bien passé et si je n'étais plus fiancée au Vicomte de Marsan.

Ensuite, lors du retour de Tristan à Lectoure, nous annoncerions nos futures fiançailles qui n'étaient encore officiellement prononcées. De nos deux familles, seul Frédéric était au courant et il allait devoir garder cela pour lui jusqu'au retour de Tristan.

J'avais repris l'allure d'une femme le matin même, dans l'auberge où nous avions passés la nuit. Porter un pantalon était devenu presque normal pour moi et je trouvais cela beaucoup plus confortable et pratique que mes jupes. Rien que pour chevaucher, ce n'était pas la même histoire.

- Héloïse, nous sommes presque arrivés.

Je levai les yeux de l'encolure de ma monture pour découvre les murailles extérieures de Lectoure non loin. Une douce euphorie s'empara de moi : j'étais presque arrivée à la maison. Et même si Tristan n'était pas avec moi, je savourais ce retour chez nous. Il nous fallut un peu d'une heure avant de pouvoir franchir les portes de la ville. Nous amenâmes les chevaux au château pour les laisser à l'écurie du Comte puis traversâmes les quelques rues qui nous permettaient de rejoindre le logis. À cette heure, notre mère devait y être.

Frédéric fut celui qui poussa la porte après avoir frappé. Notre mère était assise à table, plusieurs tissus étalés devant elle, un fil et une aiguille à la main. Elle leva les yeux vers nous et resta un instant interdite. Puis elle se redressa brusquement sur le banc, faisant dégringoler une étoffe jusqu'au sol.

- Vous êtes rentrés !

Elle lâcha tout ce qu'elle tenait dans ses mains pour contourner la table et venir nous prendre dans ses bras. Je plongeai ma tête dans son cou, ravie de pouvoir retrouver son odeur familière et maternelle après autant de temps passé loin d'elle. Nous demeurâmes un moment, les uns dans les bras des autres, à simplement profiter de la présence de tout le monde et pas un mot de plus ne fut prononcé jusqu'à ce que notre mère défît son étreinte.

- Que s'est-il passé ? Vous avez pu annuler le mariage ?

Frédéric la guida jusqu'au banc en lui précisant qu'il était certainement préférable qu'elle fut assise le temps que nous lui contâmes nos péripéties à la Cour du Roi de France. Finalement, il se limita à lui expliquer que mon père, après m'avoir rencontrée, avait consenti à annuler mon mariage avec le Vicomte de Marsan. Il lui détailla le château d'Amboise où nous avions passé quelques jours pour la distraire de toutes les questions embarrassantes qu'elle aurait pu prononcer.

Malheureusement, nous n'échappâmes pas à l'une d'entre elle.

- Et personne n'a découvert la supercherie avec Elliot ?

Frédéric me jeta un regard furtif et je triturai le tissu de ma jupe. Notre silence fut plus qu'éloquent et elle soupira.

- Qui s'en est aperçu ?

- Seulement Tristan. Mais mon père est aussi au courant parce que je ne lui ai pas caché.

- Et... comment est ce qu'ils l'ont pris ?

J'attrapai la main de ma mère adoptive avant de poursuivre.

- Mon père n'a rien dit à ce propos, il était encore sous le choc. Quelqu'un venait de faire brûler ma chambre et il me croyait morte alors savoir que je m'étais travestie ne lui a fait ni chaud ni froid à cet instant.

- Quelqu'un a voulu te tuer ?

Horrifiée, elle porta sa main libre à sa bouche tandis que ses yeux s'embuaient.

- Je n'étais pas dans ma chambre alors il y a eu plus de peur que de mal.

Elle secoua la tête et resserra sa main autour de la mienne. Puis elle me demanda comment Tristan avait réagi puisque j'avais volontairement omis de lui parler de sa réaction. Frédéric me sortit finalement de cette situation.

- Ce coquin a compris que c'était ma sœur alors il a veillé sur elle pendant leur périple.

Notre mère soupira, rassurée de savoir que je ne risquais rien alors que mon déguisement était connu. Elle s'empressa ensuite de me donner le travail que j'avais à rattraper à cause de mon absence. Frédéric s'éclipsa discrètement en voyant la pile de tissus qui grandissait devant au fur et à mesure que notre mère ajoutait rideaux, tuniques et chausses.  J'eus juste le temps de lui murmurer un «traître» avant qu'il ne fermât la porte.

Lorsque le soleil s'approcha de l'horizon, j'apportai moi-même le travail achevé au château. Traverser la salle où tout le linge du château était entreposé me procurait réellement la sensation d'être rentrée et d'avoir retrouvé ma place, loin du rôle d'une femme de la Cour. Pas de minauderies ni de compliments manquant de sincérité, juste des salutations sincères des femmes que je croisais et que je n'avais pas vu depuis près d'un mois.

Et malheureusement, des soupirs sur l'absence du fils du Comte. J'allais devoir faire preuve de contrôle et arrêter de prêter attention à tout ce qui était prononcé par les servantes sur lui sinon je pourrais me laisser pervertir par la jalousie. Le retour de Tristan officialisera nos fiançailles. Je n'attendais plus que ça, il commençait déjà à me manquer.

Héloïse ou Le double jeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant