NOTRE ARRIVÉE AU CAMP, que j'espérais discrète, se fait sous acclamations et sifflements. Je me sens minuscule au milieu d'un peuple entier venu observer comment nous nous retrouvons attachés, dos au poteau, mains entrelacées, près de la falaise et du feu. Je dodeline un peu de la tête, épuisée par cette matinée, et suis soulagée de pouvoir enfin m'adosser quelque part, fusse les membres ligotés.
Au vu du soleil dans le ciel, il doit être environ midi, mais les heures sont troubles au Pays Imaginaire, et deux jours entiers auraient bien pu se passer sans que j'en ai eu conscience. Ma montre d'ailleurs a cessé de fonctionner à la minute où j'ai survolé la mer de nuage : elle avance parfois à reculons, puis l'aiguille tressaute nerveusement, avance de deux heures brusquement, pour ensuite repartir en arrière, sans logique aucune. Je me suis amusée à l'observer, lors de notre petite balade. Maintenant, cela me fait peur.
Je n'ai jamais perdu la notion du temps pour plus d'une journée ; mais probablement que c'est une habitude dont je me déferai. Après tout, l'obsession du temps n'est que le résultat d'une société où tout va toujours trop vite. Pris dans l'engrenage, on suit, on n'a pas le choix pour survivre. Alors les pauses se font rares et coupables, car on les associe à une perte de temps, perte d'argent, perte de bonheur, puisque la valeur de la joie se compte apparemment en livres et en dollars.
Je regarde mon ancienne vie et soudainement, je me sens reconnaissante envers le ciel de m'en avoir arrachée. En refusant de grandir, c'est cette existence que j'ai abandonnée et le choix me parait plus qu'évident. Malgré ma captivité, malgré le regard persistant des Indiens sur nous, jamais je ne me suis sentie plus libre.
La cérémonie commence alors. Ce sont les tambours qui marquent la cadence, alors que des voix s'élèvent ça et là, claires et belles. Un frisson parcourt mon corps engourdi, car le chant des Indiens qui rejoint le ciel fait vibrer mon âme un peu plus fort. La mélodie enfle, se module, atteint mon coeur et les étoiles et je remarque la composition si différente de la musique occidentale. Celle qui envahit mes oreilles est plus colorée, mais aussi plus triste, nostalgique des temps où la nature était reine, où les hommes n'étaient que visiteurs et que les arbres chantaient encore la chanson sylvestre à pleine voix.
Je ne comprends pas les mots qu'ils utilisent, ceux-ci glissent de leurs lèvres avec une langueur amoureuse, mais les phrases me paraissent limpides, comme si ces voix transportaient un message plus universel que la vie : le message de la nature.
Le thème revient, et je ne puis m'empêcher de suivre à mon tour la mélodie, du bout de la langue d'abord, fredonnant pour ne pas perturber la magie d'un peuple réuni sous la bannière de la faune et la flore, gênée d'imposer ma voix brute et hasardeuse au milieu de la perfection de leur chœur mais je ne puis m'en empêcher. J'attrape alors un regard de Lily, qui me sourit et m'encourage. Sans connaître les paroles, je donne de la puissance à ma voix, pour mieux suivre les Indiens. Certains me regardent avec étonnement mais personne ne rompt l'harmonie. Puis le chant fane, sans se racornir, mais s'évanouit lentement dans l'air chaleureux, pour ne devenir qu'un songe.
On s'écarte, et je vois un grand homme s'approcher. Rien ne le distingue sauf un long collier d'argent qui pend sur son torse nu et musclé. Je comprends au respect et au silence des hommes qu'il s'agit de leur chef et incline la tête en geste de soumission. Je l'entends s'approcher de moi et sens une main brûlante frôler mon menton. Il place sa paume contre mon coeur qui bat, et, de l'autre, soulève ma mâchoire. Son nez frôle le mien et je retrouve la teinte noisette des yeux de Lily dans son regard pénétrant. Nous restons ainsi quelques instants, et mes joues s'embrasent un peu plus à chaque seconde. Je peux observer chacun de ses traits, des petits plis qui ornent l'orée de ses yeux, son nez aquilin et ses pommettes hautes qui conférerent au visage une majesté indéniable et les lèvres charnues qui esquissent l'ombre d'un sourire charmeur. Je devine le père de Lily.
- Ainsi, une nouvelle arrivante sur l'île... Ce n'est pas une digne manière de l'accueillir. De plus, Lily m'a raconté que tu lui as été utile pour capturer le « Petit doigt volant ».
Son murmure, comme celui de Lily, traverse le vent et se pose à chacune de nos oreilles, sans effort. On s'empresse de me détacher, et je masse mes poignets douloureux pour rétablir ma circulation sanguine. On m'entraîne aux côtés du chef, qui me sépare de sa fille et cette dernière m'adresse un clin d'œil qui retient ma respiration prisonnière. Je comprends alors que j'occupe une place d'honneurs, mais mes mains refusent de rester tranquille et je ne cesse de les essuyer contre mon pantalon, et de les passer dans mes cheveux. Je reconnais les signes de la crise d'angoisse qui se manifestent et j'essaie de réprimer les larmes qui montent à mes yeux. Quelle stupidité ! Pourquoi cela me met dans des états pareils ? Je suis loin de tout ce que je connais, sans moyens de retour, dans une aventure qui commence à me paraître réelle, mais je n'ai pas ma place ici.
Le monde autour est trop fort, trop grand, trop proche, et ces regards fixés sur moi étaient plus tolérables lorsque j'étais prisonnière. Je sens le sol granuleux trembler sous mes jambes, tournoyer sans interruption et ma tête ballotée frôle l'épaule du Chef. Ce dernier sent mon angoisse grimpante et me saisit la main, à la vue de tous. Aussitôt, une douce chaleur remonte le long de mon bras, et se diffuse dans mon torse, jusqu'à atteindre mon coeur qui se calme. La pression se relâche et je me sens sereine. La magie indienne qui vient de s'opérer restera probablement à jamais sans réponse mais je bénis le Chef de m'en avoir fait cadeau ainsi.
Il s'avance vers Peter, et le nargue avec un sourire narquois.
- « Petit doigt volant » sait ce qu'il a à faire.
Peter pousse un grognement sourd.
- C'est pas juste. Pourquoi elle ne le fait pas aussi ? Elle est MA coéquipière !Je m'apprête à l'approuver mais les yeux de Lily m'en empêchent et je reste silencieuse.
- Mais aujourd'hui, elle est notre invitée de marque, répond doucement le père de la jeune femme en joignant nos regard.Coucou ! Je suis en avance, je sais mais probablement qu'il n'y aura pas de chapitre les prochaines semaines !
À très vite !
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Jamais demain
Hayran Kurgu« - Peter, attend ! [...]Les pensées se bousculent et s'emmêlent. De vieilles comptines, d'anciennes fables reviennent à moi, perdues dans les méandres de l'enfance, temps qui va bientôt disparaître puisqu'il est bientôt minuit. Tous les enfants gra...