XXIII. Le Capitaine

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Dans la pénombre, je n'aperçois que de larges ombres des tonneaux qui manquent à chaque roulement de nous ensevelir. Etrangement, ils luisent dans l'obscurité et permettent de voir un peu dans les ténèbres de la cale.  Viktor respire, je l'entends s'agiter parfois et le soulagement immense de le savoir en vie réchauffe mes membres gelés par la peur. Je n'imaginais définitivement pas l'aventure ainsi, prisonnière et paralysée par ces liens qui entravent mes membres, encore moins confortables que lorsque c'était la Tribu qui me retenait – mais peut-être est-ce seulement à cause de l'absence du regard félin de la fille de l'Île.

Je frisonne un peu plus en sentant sur mon coup s'écraser des gouttes d'eau, résidus d'humidité de la cale qui empeste le renfermé. Et dans ma gorge crie mon désespoir et ma honte de nous avoir fait capturés si facilement ; mes yeux retiennent avec peine des larmes de rages  et mes poings s'agrippent l'un à l'autre pour tenter de calmer le rythme effréné de ma respiration.

Au-dessus, des voix rauques et grasses s'exclament, chantent à la victoire : je sens le plafond s'affaisser à chacun de leur pas et frémis que le bois moisi s'ouvre sur nous et nous écrase.

Des heures passent et je m'efforce de rester consciente, pour veiller sur mon ami qui semble dormir. Je rafraîchis son front comme je peux, mouillant son t-shirt et en le lui posant délicatement sur la tête et m'assure que son souffle ne soit pas entravé.

Les heures passent, lourdes et je n'ose pas me délivrer de cette douloureuse attente en fermant les yeux, car qui sait seulement ce qu'il se passera ensuite. Nous devons nous enfuir, j'en suis convaincue, mais comment ? Je refuse de condamner Peter et le Enfants Perdus, alors que je ne suis même pas sûre qu'on sauvera Viktor.

Alors que je rumine mille plans chimériques qui n'ont de réaliste que leur échec, j'entends un pas lourd s'approcher de la porte à laquelle j'ai collée mon oreille. Je m'écarte juste à temps pour ne pas recevoir violemment la poignée dans la tempe et me retrouve recroquevillée devant un petit homme qui me tend une main potelée. Je la regarde sans comprendre et il laisse échapper un couinement en m'expliquant :

- Je viens vous chercher car le Capitaine souhaite vous voir, Madame.

Sa voix est timide, aiguë et les trémolos qui agitent ses phrases n'ont rien de mélodieux. C'est la Peur, tout entière, qui s'empare de ses mots, qui crie sa maladie à chacun de ses gestes.

- Venez, Mademoiselle, ne faisons pas attendre le Capitaine, il pourrait se fâcher et vous savez comment il est quand il est fâché. Enfin, non, pas encore mais vous ne voulez pas le découvrir alors venez, s'il vous plait.

La lampe du couloir éclaire alors alors son visage terrifié et j'aperçois le côté droit de sa face, dont on ne reconnaît plus que l'ancien emplacement de son œil, à présent mâché par la morsure du feu et du fer qui s'empare de l'humanité du personnage. Je ne crie pas mais je sens dans mon dos courir les griffes de l'Horreur qui manque à tout moment de me faire perdre connaissance.
Je désigne du menton mes mains entravés, expliquant d'un geste seulement la raison de mon refus de saisir sa main ouverte. Il me soulève alors avec difficulté, me meurtrissant les épaules et son souffle court résonne à mon oreille alors que nous grimpons les escaliers inégaux jusqu'au pont. Le vent souffle déjà dans les voiles déployées, et le chant de la Mer tonne en-dessous du ciel à présent azur. On s'agite, on danse un ballet sans fin sur les planches de bois et les cris de l'équipage se mêlent à ceux des mouettes. J'entends les pirates râler, protester de la pénurie de rhum. «  Ah, si seulement le capitaine n'avait pas vidé les réserves ». J'avance maladroitement comme je peux en retrouvant la liberté du vol en restant clouée au navire. L'océan et l'infini devant moi s'engouffre dans mon âme et j'imagine un instant naviguer sur ces mers pour l'éternité, vivre les embruns dans les cheveux et le sel sur des lèvres gercées, les mains calleuses d'avoir grimpé sur tous les  mats et toutes les cordes, les yeux abimés par le soleil et la pluie et le coeur à jamais désireux de nouveaux horizons. 
Et puis le gémissement du matelot coupe mes ailes dépliées et je retombe, pierre dans les profondeurs sombres de l'eau.
- Venez, Mademoiselle.

Sous le pont arrière, entre les deux escaliers de bois qui mènent au gouvernail, une lourde porte entrouverte garde l'entrée de la cabine du capitaine. Immédiatement, je remarque le luxe de la salle, ornées de milles tentures pourpres, de fauteuils moelleux, ainsi que d'une table de chêne sculptée sur laquelle se dresse un grand saladier de fruits. Derrière, les vitres s'ouvrent sur un balcon, lui-même accroché au-dessus des tourbillons de l'eau que crée le navire derrière lui. J'aperçois alors le Capitaine, dépourvu de son grand chapeau, de dos, se servant un verre d'alcool. Il se retourne et me tend le cristal avec un sourire :
- Cela vous réchauffera, susurre-t-il.

Sans rien répondre, ma voix comme emprisonnée par ma gorge nouée, je me saisis du breuvage et d'une lampée l'avale. Aussitôt, mon œsophage s'enflamme et je soupire de contentement ; le whisky est bon et je reconnais la saveur boisée du Single Malt écossais que mon paternel vénérait tant.

- Eh bien, je ne m'attendais pas à cela, s'exclame le Capitaine en me remplissant à nouveau mon verre. Je suis heureux qu'il vous plaise.

Je le remercie, toujours silencieuse, et cette fois je garde le whisky dans ma main, sirotant de temps à autre une gorgée. Il me fait signe de m'asseoir dans l'un des fauteuils et je m'exécute, un peu calmée par l'alcool circulant enfin dans mes veines. J'avais, en ces trois longs jours, presque oublié la douce sensation d'ivresse qui envahira certainement très rapidement mon crâne. Quelques images remontent des tréfonds de mes souvenirs : la bouteille à moitié vide dans ma chambre, qui tourne, qui tourne autour de moi. Le doux abandon de ma conscience, qui s'évade entre les bulles argentées du liquide, qui se noie dans l'ambre de la boisson, les cris qui s'effacent dans l'enivrement tendre qui m'agrippe dans des bras de confort et d'amour, pour remplacer ceux qui m'ont abandonnée.

- Maintenant, nous pouvons parler, murmure Crochet en s'asseyant à son tour.



Coucou ! J'espère que vous vous portez bien, malgré la lourde atmosphère de ces temps...

Comme vous le voyez, j'ai commencé à trouver des titres pour les chapitres (je déteste ça, je suis nuuuuulle) afin d'aider à se retrouver dans cette histoire. 

Sinon, j'arrive gentiment au bout de l'écriture, et quand cela sera le cas, je publierai deux fois plus (mais j'ai de la peine avec ces derniers chapitres, je ne veux pas terminer ce monde).

On espère que ce reconfinement partiel (je ne suis pas française, mais suisse alors les modalités sont différentes) sera propice à ma créativité. 

Sur ce, je vous souhaite tout mon courage, et n'hésitez pas à m'écrire si vous le souhaitez, mes DM sont toujours ouverts

A très vite !

Jamais demainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant