XIV

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Peter s'affaisse un peu plus dans sa chaise, le menton sur le torse et la respiration lourde, alors que je fais la rencontre des jeunes acolytes du garçon. Je ne suis pas douée avec les noms et les avertis qu'ils vont devoir me les répéter une dizaine de fois avant que je ne soie capable d'en retenir la moitié. Cela les fait rire.

Aucun d'eux ne parait plus de 14 ans,  mais leur visage reflète l'enfance des jeux et des rires. La diversité est impressionnante mais je n'ose pas leur demander d'où ils viennent. J'ai conscience, sans savoir comment ni pourquoi, que parler d'avant est tabou : l'important est maintenant, sur l'Île.

Le petit roux me regarde fixement, un pouce dans sa bouche mais des yeux qui pétillent d'aventures et d'embuscades. Il est timide et n'ose me répondre quand je lui demande son prénom. Dans mon coeur éclate alors un amour soudain pour son grand regard d'enfant, un amour de grande sœur, un amour qui jusqu'à présent m'était inconnu.

- Il s'appelle Tilio ! Il est arrivé à 6 ans, m'explique Taamira, une jeune fille à peine plus âgée que lui, aux longs cheveux noirs et à la peau couleur du sable et de la nuit.

Je m'étonne de leur énonciation, de leur parler parfait alors qu'ils sont si jeunes. Et puis je devine bien que nous venons de chaque coin du monde et pourtant je comprends chacune de leurs paroles.

Ledit Tilio se réfugie un peu plus derrière son amie, qui lui prend la main pour le rassurer. Ce geste si innocent, si pur, me fait sourire et je sens mon corps envahi d'une bouffée d'amour pour ces enfants que je ne connais pourtant pas encore.

- Moi, c'est Charles ! m'annonce fièrement un garçon aux cheveux foncés, dont les boucles encadrent un visage curieusement adulte.

Je suis surprise par l'arrivée d'une petite chose qui se blottit sur mes genoux, toujours le pouce dans la bouche. Les boucles rousses, allumées par les flammes des lampes, et dans lesquelles je m'empresse de passer la main, éclairent un peu plus mon visage. Les autres se lassent vite de ma présence et retournent à leur jeu, tandis que je berce lentement le petit Tilio.

Reste près de moi Taamira, qui observe ma main disparaître dans les cheveux de son ami. Son air trop sérieux pour son âge assombrit son visage mais lorsqu'elle relève la tête pour me parler, son regard retrouve les étincelles de la jeunesse.

- Tu es ici pour être notre maman ? me demande sa petite voix et je me trouve encore plus perdue dans son innocence.

J'hésite, je bafouille, je sens mon coeur s'affaisser, se ratatiner et ma respiration se faire courte. Je cherchais à échapper l'âge adulte, ce monde terrible qui refermait ses griffes monstrueuses sur mon coeur d'enfant, et pensais avoir réussi à revenir dans cette époque si désiré, mais cette question, cette si petite question bouscule tout ce que j'avais cru stable. Ainsi, je serai à jamais considérée comme adulte. Ainsi, jamais je ne serais une enfant à leurs yeux.
Heureusement, une petite voix s'élève de mes genoux et contredit Taamira.

- Mais non Tami. Elle est pas assez vieille pour être adulte. Elle est venu pour être notre grande soeur ! Comme Vik.

Aussitôt, je me sens apaisée, et un souffle de jeunesse rend mon coeur plus léger. Le regard de l'enfant attrape le mien et je caresse sa joue en remerciements.

- Oui, c'est cela. Je serais une grande soeur, je lui chuchote.

- Chouette ! Moi, je voulais pas de maman. J'ai pas envie d'être grondée et qu'on m'interdise des choses ! s'écrie Taamira avant de voler à la rescousse d'un de ses camarades dans les jeux auxquels je ne suis pas initiée.

Je m'étonne alors de cette remarque, mais après tout, ne sommes-nous pas ici pour fuir le Monde Adulte, d'une manière ou d'une autre ?
Tilio s'agite alors doucement avant de se relever sur des jambes hésitantes.

- Merci du massage de la tête ! A toute à l'heure Claire !

Et il disparait ainsi dans la nuée d'enfants qui jouent.

A ce moment, un bruissement agite le rideau par lequel nous sommes arrivés dans la pièce et entre un nouvel arrivant. La première chose qui me frappe sont ses cheveux blonds, si clairs qu'ils en paraissent blancs, blanc comme la vieillesse que nous fuyons tous ici. Ses yeux gris se posent sur mon corps recroquevillé sur le sol et leur éclat glacial me rappelle les cris de mes géniteurs à travers les fines parois de ma chambre, leurs coups isolés qui parfois résonnaient dans le village.

Sans s'attarder, il se précipite vers Peter et le réveille d'une phrase courte.

- Peter, conseil important. On appellera les Ainés plus tard.

Peter bondit, et entraîne le beau blond à part. Je les vois s'exciter et la mine de mon protecteur se fait alarmée. Je n'ose m'introduire pour connaitre la cause de cet agilement soudain, mais tente d'attirer l'attention de Peter en le fixant, qu'il m'intègre lui mais rien n'y fait. Les voilà qui disparaissent derrière un paravent que je n'avais encore pas aperçu et je ne peux m'empêcher de m'en approcher, prétextant la recherche d'une couchette pour m'installer. Dans le mur, à côté de l'ouverture par laquelle viennent de s'échapper Peter et le blond, est creusée une alcôve avec un petit lit et une étagère. Sans hésitation, je m'y engouffre et m'approche des voix qui traversent la fine fourrure servant d'isolation.

- Ça fait deux semaines Peter. C'est pas un hasard. Jamais elle est partie aussi longtemps, elle sait qu'on a besoin d'elle !

- Je sais mais que veux-tu qu'on fasse ? Aller la chercher dans toute l'île ? Nous n'avons plus de poussière, du moins pas assez pour tous.

- Je propose de lancer une expédition, quelques personnes à peine, avec le reste de poussière. Tu nous accompagnerais, puisque tu connais cette île mieux que ta poche. Et puis tu peux voler sans elle.

- Non, je ne peux pas abandonner les Garçons Perdus. Hors de question. Si tu veux y aller, vas-y. Recrute-toi des gens, et pars chercher Clochette. Moi, je reste ici, finit Peter, excédé.

Sans pouvoir m'empêcher, je glisse la tête entre le paravent et le bois, me gardant bien de ne pas tomber de ma couchette.

- Désolée, je pense bien que je n'étais pas sensée écouter...

- En effet, me coupe le blond et sa voix me transperce de mille couteaux d'acier.

- Laisse-la parler, Viktor, l'arrête Peter.

Il m'encourage à continuer, et je descends de mon perchoir pour les rejoindre dans ce qui ressemble à un bureau, des cartes placardées couvrant les murs, et une table placée au milieu de la pièce.

- Je pourrais venir t'aider, Viktor.

Il laisse éclater un rire méprisant et mon sang se glace. Je sers les poings, éloignant sa négativité et m'efforçant de ne pas le laisser me mépriser. Si je souhaitais aider en imposant ma présence, je veux à présent prouver ma valeur.

- Vik, arrête. Elle vient. Elle découvrira l'île. Dans tous les cas, ta quête est vouée à l'échec, fait Peter d'un ton glacial avant de se tourner vers moi.

Je sais les exacts mots qu'il s'apprête à prononcer et un doute immense m'ébranle mais il est trop tard pour reculer à présent.

- C'est décidé Claire. Tu l'accompagneras à la recherche de Clochette.

Je suis pas très satisfaite de ce chapitre, puisque le début de l'action bloque les descriptions que j'aime faire...
Mais nous commençons à faire la rencontre des Enfants Perdus ! Je me réjouis de vous les présenter encore un peu mieux hihi

Jamais demainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant