XV

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- Quel inconscient, quel inconscient !

J'entends Viktor marmonner en préparant son sac. Je tente d'imiter ces gestes, mais je n'ai aucune affaire et n'ose pas lui demander de l'aide, lui qui démontre déjà son agacement de me savoir avec lui.

- Je peux t'aider à faire quelque chose ? je demande timidement, et mon inutilité ne m'a jamais parue aussi grande.

Il pousse un grognement en se tournant vers moi et me tendant un sac :

- Vas remplir ça de nourriture. Derrière la porte du fond, prends un peu de tout. Faudrait tenir trois jours minimum. Plus, on pourra pas porter. Je m'occupe de te prendre des habits.

Je le remercie de la tête et cours exécuter ma mission. Des fruits inconnus, ce qui ressemble à du pain, des graines, et de la viande séchées s'empilent rapidement au fond du sac tissé. Ma première mission ne se soldera pas par des réprimandes. Quand je présente mon travail au grand blond, il hoche la tête, et engouffre le tout dans le nouveau sac-à-dos qu'il m'a préparé. Je me tais ; ce n'est pas la peine de causer une querelle maintenant.

- On va aller chercher de la poussière de fée. On prend le fond de réserve.

Ainsi, c'est pour cela que la disparition de leur amie les inquiète tant : sans elle, ils sont cloués au sol, vaincu par le pouvoir sordide de la terre, condamnés à trébucher entre les racines.

- Normalement, on fait le plein toutes les semaines. Là, impossible.

Je suis étonnée de l'entendre m'expliquer tout cela, lui qui refusait de m'adresser la parole auparavant. Peut-être se rend-il compte que je pourrais lui être utile ?

- Et où ira-t-on la chercher ?

- Clochette est peut-être partie chez les siennes, sur une autre île, comme le pense Peter. Mais c'est peu probable. Elle n'est jamais en retard, sauf quand elle en veut à Peter. Mais jamais d'autant.

Il dégage une carte de l'île du tas d'habits et la déplie avant de me désigner le Campement du doigt.

- Les Indiens, on est en trêve avec et ils ne feraient pas ça. En plus, Peter m'a certifié qu'il n'y a pas senti Clochette.

Il glisse son doigt le long de la carte.

- On n'a pas vu les pirates depuis quelques semaines et même si Peter est convaincu qu'ils ont fui, j'en doute. Deux places qu'ils adorent : le Crâne et les Sirènes. On ira voir. Sinon, on avisera.

J'hoche la tête et il remballe la carte.

- T'as tout ? On partira demain matin. En attendant, joue bien, dors bien, fais ce que tu veux mais demain, je te veux fringante. Je veux pas m'occuper d'une gamine, et encore moins d'une gamine fatiguée.

En achevant sa phrase, il enfile la lanière de son sac et se dirige vers sa couchette, sur laquelle il se pose et commence à lire. Je suis étonnée de la présence de romans mais je me tais. Je l'ai déjà trop irrité pour la journée et si je veux que notre expédition se passe bien, je dois éviter les conversations inutiles.

Alors je me dirige vers la sortie, empruntant le chemin inverse que toute à l'heure. Il me faut de l'air frais, du vent sur ma peau.

Il me faut penser, me souvenir, oublier quelques instants ce monde dans lequel je me suis immergée sans autre considération. Je ne regrette rien, mais je crains les réactions de Viktor, j'ai peur de décevoir Peter et de trahir Lily. Tout est trop compliqué, encore plus que chez moi.

Je me reprends immédiatement. "Mon ancien chez moi", c'est la bonne formulation. Et je repense à l'angoisse de la Terre, ce constant besoin de s'élever, oubliant volontairement sa propre humanité, désespérant à force de courir derrière quelques billets verts.

Alors que le vent sucré pose sur mes lèvres des échos de la forêt, je regrette d'avoir seulement imaginé regretter d'être venue ici. Je m'assois dans l'herbe grasse, qui chatouille mes cuisses à travers le tissu fin, plonge mes mains dans la terre humide et relève le menton pour embrasser le ciel. La brise me ramène des chants divins qu'il me tarde de suivre, dans lesquels je reconnais la promesse de la vie et celle de l'aventure.

Un chuchotement de l'autre côté de la clairière me surprend et je tourne rapidement la tête pour apercevoir une mèche de cheveux disparaître entre les branches. Je comprends immédiatement et me relève aussi vite que possible, et sautille entre les mottes de terre pour la rejoindre sous la couronne des sapins.

D'un geste doux, elle embrasse ma joue, de lèvres plus douces que le printemps, pétales de roses sur mes joues rubis qui s'embrasent sous ma peau.

- Comment ça va ? me demande-t-elle de sa voix chantante, se superposant aux gazouillis des oiseaux.

- Que fais-tu ici ?

- J'étais en patrouille dans le coin, je me suis dit que je passerais te voir, fredonne-t-elle.

- C'était toi, les chants ?

Elle éclate d'un rire, cascade de bonne humeur qui rafraîchit mon âme.

- Non, bien sûr que non ! On entend les Sirènes, avec le vent. Elles chantent plus forts quand les lunes se croisent.

Elle saisit ma main et se lance dans la contemplation méticuleuse de mes phalanges, sans que je ne sache pourquoi.

- Mais alors, quoi de neuf ? me demande-t-elle sans détacher son regard de ma main, que je sens frêle dans la sienne.

- Nous partons à la recherche de Clochette. Cela fait trois semaines qu'elle est pas revenue. Je pars avec Viktor.

Elle soupire et me rend mon avant-bras.

- Je ne l'ai jamais aimé, celui-ci. Tu feras attention, pas qu'il te pousse dans une crevasse sur le chemin.

Je frisonne à cette idée te m'apprête à lui demander pourquoi elle m'a décrite si spécialement à ses paires mais un cri bref résonne autour de nous et elle s'excuse de ses beaux yeux marrons.

- On m'appelle, prend soin de toi. Crie si tu as besoin de moi. Novar ! A bientôt !

Et ainsi, plus gracieuse qu'un félin, elle se faufile entre les troncs et je l'embrasse au loin, regrettant déjà l'absence de son odeur de vie.

Jamais demainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant