XVII

50 3 21
                                    

C'est déjà la fin de l'après-midi lorsque Viktor s'arrête pour me signifier que nous atteignons bientôt la Lagune. Au fur et à mesure que nous marchons, les arbres se transforment en buissons colorés, en grandes palmes vertes qui s'agitent doucement dans le vent. Un chemin se dessine entre les fleurs roses qui tapissent le sol et l'air chaud emporte avec lui les effluves douces de la mer. Dans cet environnement-là, je ne reconnais aucun paysage de l'ancien monde : c'est comme si les îles paradisiaques s'étaient mêlées aux campagnes reculées ; comme si ciel, terre et mer s'embrassaient continuellement sous le regard attendri du soleil ; comme si la musique de la vie avait dessiné ici ses arpèges délicates.
Des nuages d'insectes volettent autour de nous et s'écartent à peine lorsque je tends le bras pour les attraper : un papillon turquoise se pose même au bout de mon index et refuse de le quitter. Je le porte donc à mon coeur, avant de le voir battre des ailes et rejoindre les nuées de pétales d'or qui nous entourent.
Le bruit de la cascade, en fond, berce un peu plus cette atmosphère magique et j'ai la soudaine envie de quitter Peter et son Arbre du Pendu pour venir m'installer ici et vivre une existence calme de retraite.

Malgré la beauté de l'endroit, je vois Viktor froncer les sourcils et marmonner :

- Pas normal, pas normal. Mais qu'est-ce qu'elles font ?

Je ne comprends pas mais me tais car je crains l'irriter encore plus. Nous avançons encore un peu, jusqu'à nous retrouver devant une petite falaise. La pierre rosée descend raide vers l'eau en contrebas, claire et transparente. De longs cheveux d'algues caressent la surface, et s'agrippent aux pierres qui font surface ça et là. Des couronnes de lianes relient les deux rives, imitant des guirlandes colorées qui égaient un peu plus ce merveilleux tableau. Je reconnais bien là la fameuse Lagune mais pourtant, aucun chant, aucune nageoire, aucun sourire malin ne fait surface. Viktor frémit et je comprends alors que les Sirènes auraient dû être là. Aussitôt, je m'interpose :

- Je vais descendre la falaise, aller voir en bas.
- Tu crois quoi ? C' est bien trop dangereux. En plus, si c'est un piège, tu pourras pas te défendre ! proteste le blond en me poussant de côté.
Je respire, essaie de reprendre mon calme pour ne pas crier.

- Dans tous les cas, je suis moins importante capturée que toi. Je connais presque rien de l'Île, des cachettes de Peter et je suis même pas sûre de retrouver mon chemin. J'y vais.

Obligé de consentir, Viktor hoche de la tête et me laisse étudier les renfoncements et différents points d'appui sur lesquels je pourrais m'appuyer lors de ma descente. J'ai le vertige, et ce depuis toujours, mais il faut que je prouve ma valeur et mon courage. Mes muscles s'activent, se rappelant des camps d'escalade, ceux qu'on m'avait obligé malgré mes larmes et mes protestations à faire, et mes mains trouvent rapidement leurs marques le long de la parois. Je manque une ou deux fois de lâcher prise et entend la respiration de Viktor s'arrêter au-dessus de moi mais me rattrape vite. Dans tous les cas, en contrebas m'accueille un bassin d'eau assez profond pour que la chute ne soit pas dangereuse mais trop fière, je n'en avertis pas l'orgueilleux garçon.

Arrivée enfin en bas, je saute sur une roche glissante, puis sur une autre pour rejoindre la cascade. Son rideau cache quelque chose, j'en suis certaine. Moi qui voulais épargner mes habits, je renonce à mon confort et plonge dans l'eau sous le regard horrifié de Viktor. Je sens le poids de l'eau s'abattre sur moi et me couler au fond de l'eau mais je pousse de toutes mes forces sur le sol de corail pour me propulser vers le haut. Lorsque ma tête jaillit enfin de l'eau, je me retrouve en face d'un renfoncement dans la roche, dont je ne vois pas le fond. Je commence à nager pour observer ce qui s'y cache, lorsque des chuchotements frappent les murs humides de la grotte et parviennent à mes oreilles. Je ne comprends pas ce que ces voix disent, et décide de continuer ma brasse. Un miroitement soudain passe au-dessous de moi, et dans le noir brillent des formes indistinctes.

- Qui es-tu ? murmure une des voix.

A mon tour, je chuchote ma réponse :

- Une amie de Peter. Nous sommes à la recherche de... d'un bien perdu.

Un rire sec agite l'eau et je bois accidentellement une gorgée d'eau salée qui me fait tousser. J'entends une chose éclabousser l'eau à ma droite et sursaute.

- Et qui t'accompagne ? Ne mens pas, nous l'avons aperçu.
- Viktor, un autre ami de Peter.

Je frisonne tant la peur étreint mon coeur. L'eau douce et chaude dehors est ici froide et menaçante. Mes yeux péniblement découvre les détails qui m'entourent et je me sais en face des Sirènes.
Sous moi, quelque chose m'attrape le pied et m'entraîne au fond avant que je puisse reprendre mon souffle. Je résiste au cri qui tente de s'échapper de ma gorge. Je sens la pression de l'eau sur mes tympans, et des mains froides qui s'agrippent à mes tempes mais je suis incapable de résister. Je me laisse faire, abandonnant toute idée d'échappatoire. Je sens le manque d'oxygène gagner mes poumons et dans mon esprit se grave les traits d'une fille à la chevelure noire et aux yeux malicieux. Confortée par cette belle image, je me laisse sombrer dans le sommeil de la mer.

La rencontre avec les Sirènes ! Je les ai faites beaucoup plus sombres que dans l'univers du dessin animé ( où elles m'énervent au plus haut point) et j'espère que ce chapitre esquisse déjà leur portrait.
Et vous, comment les trouvez-vous ?
Je me réjouis de vos retours !

Jamais demainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant