XXXIV.

16 1 0
                                    

La nuit a été courte, transpercée de cauchemars et de lames d'épées. Dans ma couchette, je me suis tournée, retournée, et tournée encore sans que parviennent à moi les songes merveilleux du sommeil. C'est l'angoisse, qui régnait, malicieuse entre les draps. 

- Debout Claire ! s'écrie alors une petite voix claire, que je reconnais. 

Taamira me fixe avec ses grands yeux bruns pétillant de réjouissances. A côté d'elle, Tilio a troqué son pouce pour un sourire qui révèle ses dents manquantes. 

- On va jouer à tuer les Pirates ! s'exclame la fille, en brandissant un glaive. 

J'écarquille les yeux, horrifiée par cette vision et m'empresse de lui arracher le couteau des mains. 

- C'est pour les grands ça, tu vas te blesser ! je lui explique.

J'ai peur qu'elle pleure mais elle file bien vite en criant :

- Pas grave, Peter m'en donnera un autre !

Mon coeur tombe d'une hauteur vertigineuse et je pars à la recherche du Chef des Enfants Perdus, bien décidée à le résonner un peu. 

Je le retrouve dans sa chambre, cette pièce à part où trône un grand fauteuil et un hamac vert. Au mur sont accrochés une multitude de babiole et dans un coin s'élève un tronc, dans lequel est creusé la couche de Clochette. J'aperçois sa petite lueur vibrer et comprends qu'elle s'est remise de sa terrible capture. Mon coeur frémit de joie et de soulagement mais je reviens bien vite sur terre en observant Peter se munir d'un chapeau trop grand pour lui. 

- Tu penses que ce serait assez les narguer que de mettre l'ancienne coiffe de Crochet, Clochette ? Oh, salut Claire !

Hier, lorsque nous sommes allés nous coucher, Peter dormait déjà, et ce sont les premiers mots que je lui adresse depuis que je suis partie avec Viktor à la recherche de la fée. Pourtant, sa nonchalance est plus tranchante que les sabres pirates et ma gorge se paralyse à l'entendre ainsi divaguer. 

- Mais il est pas très beau, je trouve. L'autre va mieux avec mes chaussures, finit-il par décider.

- Peter ? j'ose demander, et il se retourne enfin. 

- C'est allé avec les Pirates ? Tu connais enfin Crochet, du coup...

- Oui, mais ce n'est pas de ça que je voulais te parler, je commence, un peu décontenancée par son attitude si... enfantine. 

- Sa nouvelle moustache ne lui va vraiment pas. J'espère qu'il l'aura rasée ! Hein Clochette ?

Un frémissement de l'air répond en éclats de son à la question du jeune garçon et je comprends que ces étincelles de musique sont les paroles de la fée. Je n'ai pas le temps de m'attarder, de profiter de cette poussière de notes qui attendrit mes oreilles et m'empresse : 

- Peter, les petits pensent qu'ils vont se battre avec les Pirates.

Le jeune garçon s'interrompt alors avant de se retourner lentement et de me regarder avec toute l'incompréhension qu'il est capable d'exprimer. 

- Mais c'est le cas ?

- Tu dois être en train de me faire une farce ! Peter, ils n'ont pas 10 ans ! je m'énerve.

- Mais tu n'as rien compris alors ! Ils ont vécu plus longtemps que toi ici ! C'est tout le principe de l'Île !

- Le principe de l'Île est de ne pas grandir, je m'écrie. Ils ont et auront toujours six ans !

Le bruit ambiant cesse et ce ne sont que mes cris qui retentissent dans la cachette. Peter ne dit rien mais son visage fermé gronde. Il me fait signe de m'avancer avec lui, sort de la chambre et siffle pour appeler les Enfants Perdus.

Ceux-ci se rapprochent tous au garde-à-vous et mes yeux s'emplissent de larmes en apercevant que tous sont équipés à se battre, même le petit Tilio, qui s'accroche à une épée trop grande pour lui et qui rehausse à tout instant ses pantalons qui tombent. 

D'une voix froide, plus froide que la lumière blafarde des étoiles, Peter détache chaque syllabe : 

- Qui, ici présent, souhaite se battre contre nos ennemis, les Pirates ?

Sentant l'atmosphère glacial, pas un éclat de rires ou cri de joie retentit mais toutes les petites mains, les petits bras jaillissent comme un seul dans l'air presque opaque. 

- Qui a peur, et préfère rester ici ?

Pas une réaction. Tous restent de marbre et mes membres se cristallisent dans un sentiment d'horreur profond.

Peter se retourne, me fixe de ses yeux émeraude qui attaquent les miens d'une menace hivernale. Pour la première fois, j'ai peur de lui et recule de quelques pas. 

- C'est comme ça ici, pas comme là d'où vous venez. On a pas peur, surtout pas des pirates.

Sur ces mots, le Chef de la bande retrouve sa cachette et moi mes larmes. Décomposée devant cette troupe d'enfants qui jouent, je remarque alors l'absence d'un visage cher, auquel j'aurais aimé pouvoir m'accrocher : Viktor manque à l'appel. 

Je fuis alors les lumières trop vives de cet endroit, souhaitant replonger mon visage dans la chaleur du soleil. Je regrette de ne pas être restée avec Lily, avec elle je me savais comprise. Je me demande si elle m'en veut mais je la retrouverai bien assez tôt. Après tout, je ne me sens pas faire partie de son peuple, mais de celui-ci, les Enfants Perdus. Et si je n'étais pas là, qui les protégerait ?

Je monte les marches de terre deux par deux, manquant de m'écraser sur ce sol rêche à plusieurs reprises, encoublée sur des racines mortes, et quand je parviens à l'extérieur, le soleil se lève sur la clairière. Des volutes opalines s'élèvent des herbes mouillées de rosée et dans la lueur du pâle soleil se dressent les premières fleurs du matin, tendant leur visage coloré au ciel pastel. Au milieu de la prairie est couché Viktor. Il dort.

- Tu n'es pas prêt ? je demande, osant le réveiller.

- Non, mais je ne viens pas avec vous, murmure-t-il. 

- Comment ça ? 

Il ne peut pas m'abandonner comme cela ! Il est devenu mon dernier allié ici, et j'ai besoin de lui pour protéger les petits. 

La panique envahit peu à peu mon corps.

- Ouais, le coup a laissé plus de séquelles que je ne le pensais, dit-il en tenant de se relever. 

Je le remarque alors : il titube, comme si l'Île entière tanguait sur des flots déchaînés. Ses gestes sont saccadés, il est pâle et ses traits sont tirés de sommeil. Il finit par s'écraser sur le sol, pantin désarticulé, sans mains pour le faire marcher. Je blêmis. Je comprends.

- J'ai aussi perdu mon ouïe de l'oreille droite, et puis je suis fatigué en permanence. Je sais pas ce que c'est, mais merde ! 

Il crie ces derniers mots si fort que je les entends résonner encore longtemps entre les pins. Une nuée d'oiseaux quittent les branchages et je reste devant mon ami, impuissante, alors que les larmes qui coulent sur son visage sont celles de la haine et du désespoir.

Jamais demainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant