XXI

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ALORS QUE LA FORÊT S'ÉCLAIRCIT A NOUVEAU, je devine que nous arrivons bientôt à la plage de laquelle nous décollerons tout à l'heure. En effet, elle s'étale peu après devant nos yeux fatigués de la noirceur des bois, et un air sec chasse l'odeur mourante des jungles que nous laissons derrière nous. Au-delà, l'eau n'est pas claire et transparente comme celle de la Lagune aux Sirènes, mais revêt une couleur saumâtre et reflète un ciel lourd de nuages. Un rocher jaillit des flots troublés, et je reconnais alors le Rocher du Crâne, ses orbites vides qui reflètent la terrible vacuité d'une existence finie,  et l'ombre terrible qu'il dégage glisse sur l'eau pour ramper sur le sable gris, jusqu'à nous. Près de cinq cents mètres nous séparent, de ce que j'estime mais peut-être sa grandeur nous le fait paraître plus proche.

- Bon, du coup voilà : le Rocher du Crâne, lâche Viktor en regardant au loin.

Nous plissons tout deux les yeux, comme si nous nous attendions à ce que les Océans crachent un navire noir de sang et spectres d'horreur. Rien à l'horizon, sauf peut-être le murmure des vagues qui appelle nos noms.
Viktor sort de son sac les fioles d'or et de rires et fait claquer le bouchon d'une main. Ce dernier s'élève dans les airs et y flotte quelques secondes avant de s'écraser sur le sol, inerte. Le blond procède ensuite à un saupoudrage méticuleux de nos deux corps, et jette ensuite le recipient de verre sur la plage.

- Les fées viendront le chercher pour en faire quelque chose, m'informe-t-il en désignant le déchet d'un geste de la tête.

Je hoche de la tête sans pourtant demander si nous en verrons. L'atmosphère est bien trop lourde pour que mes lèvres puissent se détacher et ma gorge formuler le moindre son.
- Parfait ! On devrait en avoir assez pour le trajet du retour ! Il ne nous reste qu'à nous envoler !

La voix faussement enjouée du garçon tord un peu plus mes entrailles, qui protestent vivement. Mon coeur bat à cent à l'heure et même si je ne pense pas croiser de pirates aujourd'hui, je n'imagine pas ma réaction si le capitaine et ses sbires jaillissaient devant moi. Panique, pleurs, fracas.
Je prends mon courage à deux mains, et tape avec mes bottines un coup sec sur le sol, qui me propulse dans le vent, au côté de celui que je me hasarde à appeler ami. Il me sourit faiblement et nous entamons notre mince périple jusqu'au rocher.

Plus ce dernier s'approche de nous, plus mon coeur étrangement se détend. Je m'imagine prête à affronter le Mal qui sévirait ici, car je sais qu'une personne chérie profitera de mes actions. La brise m'apporte l'écho de son odeur et je retiens ma respiration pour ne pas me perdre dans ce réconfort.
L'air glacé se brise sur mon visage, et des gouttelettes d'eau salée se perde dans mes cheveux. Je ne retrouve pas la sensation grisante du vol, mais plutôt l'aspect pénible qui emprisonne mes muscles dans un étau froid.
Quand enfin nous arrivons, devant cet énorme crâne qui fixe nos corps d'un regard vide et noir, devant les aspérités menaçante qui laissent suinter les cauchemars d'enfance, devant cette gueule ouverte qui se rit de nous, nous retombons sur cette roche aride qui nous réceptionne avec un bruit mat. Je me raccroche à l'épaule de Viktor, le temps de récupérer mon équilibre perdu lors du vol et fais quelques pas hasardeux sur le sol noir, un oisillon qui vient de perdre ses ailes.

Viktor me désigne l'antre, car nous devons pénétrer à l'intérieur de ce gosier infâme, dont les relents aigres attaquent nos yeux. A l'intérieur, je perds pour quelques instants la vue, mais la moiteur du mur contre ma paume ouverte guide mes pas, aidée par le bruit des pas de Viktor devant moi. Je perçois les clapotis de l'eau en contrebas, et les sifflements du vents qui hurle sa plainte lancinante, que je ne peux faire taire.

Soudainement, dans la noirceur opaque, un bras agrippe le mien mais je reconnais la poigne du grand blond, qui saisit mon menton et me tourne délicatement la tête vers la droite. J'aperçois alors une petite lumière vacillante qui éclaire un rayon de quelques mètres à peine, au loin dans la grotte. Mes yeux tranquillement s'habituent aux ténèbres et je me rends compte que l'eau nous sépare encore de la petite fée, dont les sanglots nous parviennent comme étouffés. J'essaie alors de m'envoler mais l'air refuse de me porter. Une nouvelle tentative infructueuse me cloue au sol et je comprends que nous avons épuisé notre poussière de fée. Mais si Clochette est bien là, devant nous, alors à quoi nous servira ce qui nous reste de poudre ? Je fais part de ma pensée à Viktor, qui acquiesce, mais reste peu convaincu.

- Si ça n'est pas elle... chuchote-t-il, et que nous restons coincés ici, nous sommes foutus. Peter aura oublié où nous sommes partis et on restera à croupir ici.  Et puis, c'est pas compliqué d'aller jusque-là bas.

Il pointe alors son doigts et trace dans le vide le chemin que nous allons emprunter : longeant le lac intérieur, nous allons ensuite escalader la falaise qui nous mènera ensuite sur le plateau en face, où pleure la fée.
Je le laisse passer devant, pour observer les appuis qu'il prend et répliquer ses gestes habiles. J'ai le malheur de lancer un regard en contrebas, et découvre avec horreur l'eau tourbillonnante qui laisse apparaitre des rochers aiguisés, qui luisent, malsains au milieu des flots noirâtres. Mais il est trop tard pour reculer. Mes mains s'écorchent, mes pieds glissent sur la pierre humide, et je redoute chaque pas un peu plus que le précédent. Cela me parait durer une éternité avant que je ne sente Viktor abandonner la grimpe et sauter sur le côté. Je l'imite et nous nous retrouvons à quelques pas de la source lumineuse. Alors je plisse les paupières pour mieux apercevoir cette petite créature dont j'ai tant rêvé, pour comprendre ses blessures qui la font gémir ainsi et je sens un souffle froid dans mon dos.

- Qu'est-ce que...

Viktor laisse échapper ces quelques mots avant de se taire. Je suis aussi perplexe que lui à la vue de cette bougie, de cette flamèche qui trésaute et je me saisis immédiatement de mon glaive, avant d'entendre un bruit sourd frapper mon camarade, qui s'écroule sur le sol froid. Avant de pouvoir me retourner, je sens la masse s'abattre sur mon cuir chevelu et tout devient ténèbres.

L

'action se dessine ! A votre avis, de qui s'agit-il ? Les Pirates ou une autre surprise ?
À la semaine prochaine pour la réponse 😉

Jamais demainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant