XXIX. Retrouvailles

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Sur la plage, je m'écroule, les jambes encore caressées par l'écume et les vaguelettes venues s'échouer sur ma peau. Le contact du sable chaud contre mes joues apaise un peu la douleur qui tiraille mon bras. Je sens un liquide chaud couler sur mon avant-bras et je m'étonne de n'avoir attiré lors de notre course aucun requin. La bonté d'Aereth m'étonne encore mais mon cerveau est trop embué par les événements précédents pour me laisser réaliser ce qui vient de se passer.

Après quelques instants, je décide de me relever. Le soleil couchant éclaire la crique d'une lumière d'or et je demeure les yeux perdus dans la mer jusqu'à ce que l'astre disparaissent sous la paisible étendue, qui revêt alors une myriade de couleurs chaudes. Aussitôt que les derniers rayons passent à l'Ouest, je sens la brise ramenée par l'océan s'échouer contre mon visage humide de larmes et un frisson chatouille mon corps, et ses vêtements encore lourds de sel et de sable.

En faisant le tour de cette petite plage, je ne remarque aucun passage, aucun escaliers qui me permettraient de remonter. Je suis trop fatiguée pour nager ou pour tenter d'escalader les falaises qui m'entourent, menaçante dans la jeune nuit. Les étoiles s'allument sur le drap noir des cieux et je n'ai encore trouvé de solution à ma misère qu'un petit îlot d'herbe perdu dans les grains de sable, abrité du vent et des embruns, qui fera office de couchette pour cette nuit.

Allongée, les yeux perdus dans l'infini du ciel, je pense à Viktor et son retour au camp, avec Clochette. J'imagine qu'il me croit morte, ou aux prises des terribles pirates et je me tarde de lui réapparaître, saine et sauve et le rire aux lèvres. Notre relation, en deux jours, s'est tellement embellie que je le sais aujourd'hui mon ami, même plus que Peter.
Néanmoins, le visage mutin de ce dernier me manque et il me tarde de serrer sa main dans la mienne et de voler à ses côtés.

Une ombre passe dans le ciel, assez pour masqué la Lune et je crains un instant n'avoir à faire à un autre monstre mais rien ne suit, sauf la mélodie des vagues et l'éternel silence des constellations.

Soudainement, une torche apparaît, en haut, dans mon champs de vision. Cette soudaine source de lumière brûle ma rétine, et je rampe jusqu'à une petite grotte sombre que j'avais aperçue plus tôt pour m'y recroqueviller et attendre l'aube. Je crains que les pirates ne soient à ma recherche et que c'est leur feu cruel que je viens d'apercevoir. Je refuse de me faire prendre par leurs gros bras, prisonnière des cordes rêches qui m'ont trop longtemps gardées à elles. Plutôt mourir, j'imagine.

Quelques minutes plus tard, selon mon estimation vague, de nouvelles voix retentissent plus proche, et je frémis. Comme si rabattre mes jambes contre mon torse pouvait me rendre invisible, je forme une boule compact contre les murs froids de pierre et ferme les yeux.

- Elle est là ! Je l'ai trouvée ! crie quelqu'un.
- Oh, Claire ! Te voilà !
Cette fois, je reconnais les lèvres qui ont prononcé ces mots. Je me délecte de ces maigres syllabes, tâchées d'angoisse, qui s'échappe d'une bouche si belle que j'y poserai bien la mienne. Sans ouvrir mes paupières, je devine le regard noisette, transpercé d'inquiétudes, que j'essuierai bien vite. Les mouvements agités de ses bras sont autant de caresses que je savoure, car je me sais à l'abri à présent. Une chaude fourrure me recouvre et je réalise à quel point mon corps était jusqu'à présent glacé.

- Merci, je laisse échapper d'un souffle faible, et me laisse aller aux bras doux de celle à qui mon coeur semble s'être destiné.

Elle pose un baiser sur mon front, et chuchote à mon oreille :
- Nous allons te faire remonter. Surtout ne t'agite pas, n'ouvre pas les yeux, et essaie de rester consciente.

Je ne comprends pas ce qu'elle signifie par là mais je n'ai pas le temps de lui poser la moindre question car d'autres mains me serrent à présent et me soulèvent loin du sable humide, et je sens la vigueur de l'âge et la bonté dans cette étreinte inconnue. Je m'y blottis brièvement, avant de sentir de nouveaux liens s'emparer de mon torse et de mes jambes. Je me débats, refusant de me laisser prisonnière à nouveau. Ainsi, Lily me trahirait-elle ? Je refuse d'imaginer cette horreur mais la prophétie d'Aereth, la sirène qui vient de me sauver la vie, me revient et je sens mon souffle se tordre de douleur.

- Claire, fais-moi confiance.

Dans la noirceur abyssale de ma douleur s'élèvent ces quelques mots, dans lesquels je m'abîme et dépose tout ce qu'il me reste d'espoir. Une saveur de noisette et de liberté s'en dégage et chasse bien vite mes inquiétudes. Je le sais, elle pourrait me lancer aux requins, m'enduire toute entière de Sumac, m'arracher les entrailles et le coeur que je l'aimerais toujours. J'endurai les souffrances du monde si c'était pour entendre sa voix, et le reste m'importe peu.

Les lianes qui s'enroulent solidement autour de mon corps le maintiennent suspendu, mais aussitôt que le cri de Lily retentit, je me sens m'élever et m'élever encore. Malgré les ordres de Lily, j'ouvre les paupières pour réaliser que je me trouve à quelque 30 mètres du sol, où se détachent les silhouettes noires de Lily et d'un homme. La Mer Imaginaire luit sous une myriade d'Etoile et il s'y reflète une grande Lune d'argent, plus grande et plus brillante que tous les joyaux de la Terre, et son rayon opalin caresse mon visage d'une chaleur tiède. Tandis que je me perds à observer la parure de diamant du ciel, mon ascension cesse et je sens que l'on me tire en arrière, puis qu'on me détache.

Le système avec lequel je viens d'être ramenée s'apparente  à un monte-charge et c'est au tour de Lily puis de l'autre homme de l'utiliser. Lily, d'une grâce féline, saute jusqu'à moi et m'enlace dans ses bras chauds. Dans cette étreinte, je sens tout ce que le monde a encore à me faire découvrir, toute la joie qui se cache sur l'Île.

- Tu nous as fait peur, Claire.

L'entendre prononcer mon prénom à chaque fois m'enchante ; et dans ses gestes attentifs je perçois une forme d'amour rarement rencontrée jusqu'ici.

- On te ramène au campement, chuchote-t-elle à mon oreille et le monde perd toute son importance. 

Jamais demainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant