Nous avons d'abord survolé le pays, pour que je puisse apprivoiser mes nouvelles ailes, et façonner mon vol avant d'entreprendre le vrai voyage. J'ai frôlé la cime des arbres, grands et élancés vers le ciel, touché de mes doigts fins la brume au-dessus des ruisseaux et goûté à l'air humide des nuits de mars. Rien ne pouvait m'arrêter, hormis le contact perturbant de la main de Peter dans la mienne, s'assurant de mon ascension.
A présent, au-dessus des nuages, plus haut que les ambitions, je sens l'air devenir plus froid. Il se brise sur mon visage, m'obligeant presque à clore les paupières mais je suis trop fascinée pour oser m'ôter à cette vue extraordinaire. Je croyais approcher de l'espace mais seules les étoiles deviennent plus brillantes à mesure que l'air se glace. Ma peau saupoudrée de paillettes semble repousser le froid qui tente de paralyser mes membres. Je sens le regard du jeune homme me fixer mais je ne détourne pas les yeux de la mer de nuages qui s'étend juste au-dessous de nous. Celle-ci s'agite tandis que nous avançons, et le reflet des cieux crée sur les vagues d'opales d'hypnotisants mirages azur qui tourbillonnent sans cesse ; je ne peux m'empêcher de fixer nos ombres déformées qui s'agitent sur la surface. Peter m'oblige à descendre, au plus près de la légère houle. Je me surprend alors à goûter sur mes lèvres les embruns portés par le vent et l'eau salée qui bondit parfois devant nous pique mes yeux. Un cri d'émerveillement s'échappe de ma bouche alors qu'un dauphin fuse en dehors de l'eau à quelques mètres à peine ; Peter plonge la main dans l'eau, et une trainée immaculée se forme derrière elle. L'animal se met à nous suivre, jouant avec cette mousse blanche et siffle d'allégresse en disparaissant parfois sous les flots.
Au bout de quelques temps, une minute ou une heure peut-être, nous amorçons une remontée vers les nouveaux nuages qui se sont formés au-dessus de nous. Malgré le vent qui chante dans mes oreilles, Peter n'a pas besoin d'hausser la voix pour m'expliquer que nous nous élevons pour éviter de croiser les pirates qui sévissent toujours autour de l'île et je hoche la tête en espérant tout de même croiser le navire menaçant. Je me réveille alors du rêve et commence à réaliser ce qu'il se passe. Mon coeur s'emballe violemment dans ma poitrine et je quitte la main de Peter pour voler seule. J'ai enfin l'impression d'échapper à mon corps, tant la liberté crie dans mes veines et me supplie d'aller plus haut, plus vite, plus loin. Je virevolte dans un ballet sans fin, profitant de la sensation de plénitude infinie mêlée à celle de l'adrénaline. Toute peur m'a enfin désertée et je jouis de ce sentiment de sécurité pourtant si loin de chez moi. Des larmes, je ne sais si elles sont dues au froid et au vent ou à la gratitude que je ressens, coulent sur mes joues mais je les laisse s'abîmer dans l'immensité du ciel. Un oiseau intrigué se joint à ma danse et je lui adresse un sourire, auquel j'ai vaguement l'impression qu'il répond, avant de replonger dans les flots.
Et puis je m'arrête brusquement, abasourdie par le spectacle qui se dessine devant moi, laissant le temps à Peter de me rejoindre. Je suis essoufflée et je me rends enfin compte de l'effort que demande cet exercice qu'est voler. Lui ne respire pas plus fort qu'avant, trop habitué je suppose à voguer dans les nuages.
- Bienvenue au Pays Imaginaire, chante-t-il d'une voix douce.
Je ne puis articuler la moindre réponse, mes mains tremblent et je sens mon accompagnant me prendre la taille pour éviter que je ne perde pied et tombe. Il me fait voler jusqu'à un petit nuage moutonneux sur lequel nous nous posons pour mieux observer. Ce spectacle me parait si extraordinaire et pourtant si familier. La Crique des Cannibales étalent des eaux turquoises qui lèchent des plages trop blanches ; des palmiers émeraudes s'agitent dans la brise chaude du matin, et caresse le ventre des oiseaux qui fuient le Sud. Un filet de fumée à droite indique la réserve des Indiens, qui se réveille lentement. Et les montagnes, dressées bien hautes, accueillent un arc-en-ciel qui scintille dans l'air tiède et indique la Lagune aux Sirènes. Je frissonne face à cette merveille et ne puis m'empêcher de serrer un peu plus la main de Peter, pour le remercier peut-être, ou pour m'assurer que tout ceci est réel.
- C'est magnifique...
Mes mots s'abîment dans le vent pour rejoindre les traces nuageuses bien haut, et je reste sans parole un peu plus longtemps encore. Une question me brûle les lèvres mais je crains tant la réponse que je n'ose la poser. Heureusement, Peter déchiffre ma mine soucieuse et me rassure bien vite :
- Clochette n'a pas voulu m'accompagner. Elle chasse avec les Garçons Perdus. Elle va bien.
Avec le même air goguenard, il désigne de sa main un coin de l'île, et je crains qu'il ne se moque de moi.
- Tu veux aller les rejoindre ? me demande-t-il. Ils sont en train de récupérer le trésor que Lily la Tigresse nous a dérobé !
Un frisson parcourt ma peau étincelante et l'excitation des jeux d'enfants que je cherchais désespérément à retrouver depuis si longtemps envahit mon coeur et chante une mélodie connue à mes oreilles. Lily la Tigresse, trésor, les Garçons Perdus, Clochette : tout se mêle et s'entremêle dans une valse sans fin qui happe mon esprit et qui ne le laissera pas s'échapper.
- Oh Peter, ce serait merveilleux ! je réponds seulement mais j'espère que les inflexions de ma voix lui font bien comprendre que ce n'est pas seulement merveilleux : c'est le rêve d'une vie qui prend forme entre ses mains.
Il a l'air de se réjouir et me fait signe de la tête avant de se jeter dans le vide, les bras repliés le long de ses flancs. Il laisse échapper un cri de joie, ce cri si caractéristique de l'oiseau moqueur, qui emplit immédiatement l'atmosphère et mon âme. Je le suis sans réfléchir et, alors que mes sens s'engourdissent et que sens mon estomac se retourner, je découvre la sensation du bonheur qui hurle. Puis Peter amorce un looping pour rétablir son vol mais je continue à fuser vers l'eau qui se rapproche, cristalline. J'entend un éclat de rire derrière moi alors que, au dernier moment, je redresse ma trajectoire, et je sens les vaguelette lécher mon ventre mis à nu par ma course. J'aperçois les récifs coralliens aussi bien que si je me trouvais sous l'eau et m'amuse à observer les poissons bariolés faire la course avec moi. Je glisse ma main dans les flots et leur douce fraîcheur apaise un peu mon excitation. Je remonte finalement à contre-coeur pour rejoindre le garçon qui n'a pas perdu son sourire et nous nous dirigeons vers la forêt de palmier pour prêter renfort aux protégés de Peter, et peut-être mes nouveaux amis.
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Jamais demain
Fiksi Penggemar« - Peter, attend ! [...]Les pensées se bousculent et s'emmêlent. De vieilles comptines, d'anciennes fables reviennent à moi, perdues dans les méandres de l'enfance, temps qui va bientôt disparaître puisqu'il est bientôt minuit. Tous les enfants gra...