XVI

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L'aurore dessine les ombres mordorées des arbres sur le sol encore humide de nuit, alors que dansent entre les branches les premiers rayons du soleil. Viktor reste muet, et laisse ainsi le chant des oiseaux envahir l'air lourd de non-dits.
Je suis consciente que le beau blond ne voulait pas de moi, forcé par Peter de me prendre. Je suis aussi consciente que je n'ai pas ma place ici, trop faible encore, trop enfant surtout pour une quête pareille. A présent trop engagée pour reculer, je prie pour que Clochette ne soit qu'en promenade. J'ai trop peur d'affronter les pirates maintenant, je ne me sens pas prête à croiser le fer.
Comme une allusion régulière de la lourde tâche qui pourrait m'incomber, la lame offerte par Peter avant mon départ frappe ma cuisse à chaque pas, me rappelant la fausse innocence de ce monde. Je passe régulièrement le doigt sur la tranche glacée du poignard accroché à ma ceinture, qui me brûle les phalanges.
Pour économiser la précieuse poudre de fée que nous a confiée Peter, vestiges de la présence de Clochette à l'Arbre du Pendu, nous marchons entre les pins. Les rayons d'or réchauffent gentiment nos visages tiraillés de sommeil, épuisés par la courte nuit.

- On passera d'abord par la Lagune, puis par le Crâne. On aura le loisir d'interroger les Sirènes, lâche sèchement Viktor.

Si son caractère s'était un peu adouci hier, lorsqu'il m'expliquait son plan, il est aujourd'hui plus glacial que les nuits d'hiver. Je frisonne à chaque syllabe, qu'il détache brutalement, comme se détachent maintenant de mon corps ma motivation et mon courage.

Les pieds habillés de chaussures fines, similaires à celles de Peter, je me force d'avancer avec de longues enjambées, pour ne pas traîner trop derrière Viktor. J'ai appris que ces souliers, étonnamment à ma taille, me protégeaient des coups des pirates, si nous devions en croiser. J'ai de la peine à y croire, tant ils sont étroitement liés à la forme de mes chevilles, épousant la forme de mon corps si parfaitement que je les sens à peine, et tant ils sont légers, poids de plume et d'innocence.

J'ai gardé les habits de Lily, souvenir de sa générosité, car je les sais solides et pratiques, mais surtout parce qu'ils m'évoquent la beauté de celle qui m'a réservé un si bel accueil ici. Je le vois d'autant plus au côté du grand blond, qui ne m'adresse à peine un regard et qui semble me considérer comme une punition à chaque pas.

Lily me manque atrocement, je réalise que ses charmes me poursuivent partout dans ce monde de rêves. Les murmures du vent font échos à celui de sa voix, les caresses des plantes crient son nom, le ciel entier m'agresse de ses odeurs de forêt, de bois, de fruits, de sagesse et de rires, que je supporte avec peine. Les effluves de la brise légère effleurent mes lèvres et j'imagine contre ma bouche les cheveux de la jeune fille.

Je secoue la tête, exaspérée par mes pensées. Ces fantaisies sont dangereuses, et je ne dois pas les laisser prendre le contrôle. Je l'ai fait avant, dans l'ancien monde. Je sais où cela m'a menée, pleurs dans la cours, sous les peupliers, l'oeil gonflé de coups et le corps roués de sanglots, où cela me mènera cette fois, paria de cet endroit magique, rejetée ou ligotée, et il en est hors de question. Je ne risquerai rien.

Viktor ralentit le pas, et je soupire silencieusement de soulagement car mes muscles commençaient à protester. Nous sommes au milieu des bois, et au-dessus de nous dansent les faîtes des arbres. Je remarque l'absence de conifères et devine que nous avons franchi un nouveau territoire. D'après la carte que l'on m'a confiée, je peux voir que nous sommes proches de la mer, mais que nous nous éloignons. Je suppose que Viktor ne souhaite pas prendre le risque d'être aperçu par les navires pirates.

- Prends des forces, l'après-midi sera longue.

Je hoche de la tête et sors de mon sac un bout de pain, qui fond sur ma langue aussitôt qu'il la touche. Mon ventre émet un frisson de joie, et je me rends ainsi compte de la faim qui tiraillait mon corps.

- Bon, il serait aussi temps que je t'apprenne quelques choses sur le Pays Imaginaire. Enfin, sur les Sirènes surtout, soupire le garçon en me demandant un morceau d'un geste de la tête.

Tout en mâchonnant, il m'explique d'un ton calme :

- Les Sirènes portent une admiration sans limite pour Peter. Elles adorent les Garçons Perdus, car elles pensent que par leur intermédiaire, elles pourront se rapprocher de notre soit-disant chef.

Il fait une pause pour avaler, et me lance un regard pour s'assurer que je l'écoute bien.

- Par contre, elles haïssent les filles, car elles imaginent qu'elles leur piqueront Peter.

- Mais elles savent que... Enfin, on ne tombe pas forcément amoureuse de Peter ? Enfin, on peut tomber amoureuses d'autres personnes ? je me hasarde à demander. 

- Ne leur dis surtout pas cela, sinon, toute chance de communiquer est perdue. On met nos principes et nos batailles de côté.

Je n'aurais aucune peine à faire cela, je le sais. En 18 ans d'existence, c'est une chose que j'ai appris à maîtriser. On apprend vite, entouré de violence. 

- Donc il va falloir que tu te taises. Tu ne les regardes pas dans les yeux, tu ne leur adresses la parole que si elles te posent une question. Si cela se passe mal, tu pars et tu me laisses me charger du reste, okay ?

Je ne réponds rien, mais lui fait comprendre que j'ai compris. Je ne sais pas si il essaie de m'écarter de cette aventure, jaloux ou en colère que j'aie dû l'accompagner, ou si ses dires sont vrais. Mais je n'ai pas d'autres choix pour l'instant.


★彡

Coucou ! 

On commence un peu mieux à connaître la façade de Viktor, un personnage que je me réjouis d'explorer et d'expliquer un peu mieux ! 

Je rentre bientôt à l'université et ne sais pas si le rythme de publication sera encore régulier longtemps (même si j'ai beaucoup d'avance sur cette histoire). De plus, un autre projet est en train de balbutier ses premiers mots. Enfin bref, je vous en dirai plus le temps voulu !

Sinon, comment trouvez-vous ce personnage froid qu'est Viktor ? Et avez-vous des idées quant au passé de Claire ? 

J'ai hâte de vos retours et vous souhaite un bon week-end !

Klara 

Jamais demainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant