Les Conquérants du Cercle T2 - La princesse Oubliée. (Terminé)

Chapitre 42

La barque tangue dangereusement d'un côté comme de l'autre. Je me sens vidée de toutes énergies. Ardalôn à entourer son bras meurtri de grandes feuilles, mais il reste silencieux. C'est inquiétant, il doit vraiment beaucoup souffrir. J'espère qu'on aura le temps de s'occuper de sa blessure, dès que tout cela sera fini. Il ne faudrait pas qu'elle s'infecte. Je pose ma main sur la sienne en fronçant les sourcils d'un regard soucieux. Il redresse la tête. Son regard est vitreux. Ce n'est pas bon signe. Pourquoi n'ai-je pas hérité du pouvoir des Toreliens ? J'aurais pu le soigner, dès qu'il s'est fait mordre. Je soupire en silence.

Ingwé quant à lui, n'arrête pas de fusiller notre Gondolier du regard. Ses bras crépitent d'étincelles. Lodril nous a accueilli avec un grand sourire et nous a tout de suite fait embarquer. Il a même laissé l'oeuf sur la rive. A croire que ça ne servait à rien qu'on le lui apporte. Je me demande bien ce qu'il en fera à son retour.

Il fait maintenant, nuit. Nous avons passé la journée à traverser la forêt et le Gouffre des abîmes. Je suis épuisée. Mais je sais que le plus dur nous attend.

Je regarde notre bateau long et fin, sillonnée la Nirîm. Elle reflète la couleur grise du ciel, tel un miroir. Il n'y a aucune lumière sauf la vieille lanterne qui éclaire nos visages fatigués de sa lueur blafarde. Tout est si sombre, si brumeux. La pluie s'est arrêtée.

Comment peut-on vivre sur une planète aussi inhospitalière ? Et surtout comment peut-on y être heureux ?

La barque cogne des rochers pointant à la surface. A chaque fois, j'ai l'impression que le bateau va se retourner. Mais à chaque fois, Lodril rétablit l'équilibre avec sa grande rame. J'essaye de ne pas imaginer ce qui nous attend à notre arrivée. Je suis prête à faire apparaître une illusion à la vue d'un danger potentiel. Un mirage qui nous cachera pendant un temps. Sauf que je ne distingue absolument rien à plus d'un mètre. Comment pourrais-je anticiper un danger si je ne vois rien ?

Chaque nouveau coup de rame est une découverte sur le paysage qui nous entoure. Parfois, l'ombre d'une demeure vient obscurcir notre champ de vision. A chaque fois, j'éprouve le besoin de reculer. Comme si les habitants pouvaient nous voir, ou nous sentir.

Lodril ne cherche pas à converser avec nous. Je suis sûre qu'il perçoit mon angoisse, la colère d'Ingwé et la douleur d'Ardalôn. Pourtant, il ne dit rien. Comme s'il avait fait de notre traversée, une sacralisation. Il nous a révélé percevoir nos émotions, mais ne nous à pas dit que cela l'affectait plus que cela. C'est bien un Larnien. Concentré juste sur lui-même.

A force de réfléchir, je ne remarque pas que nous sommes déjà arrivés. La gondole vient s'accoster contre un flan rocheux de la rivière. C'est la voix de Lodril qui me fait revenir à la réalité.

- Vous voici arrivés aux abords du Château Valacar. Je ne peux vous accompagner jusqu'à ses portes. Néanmoins, je peux vous dire que nous sommes à l'ouest du bâtiment.

- Merci ! Bougonne Ingwé en s'extirpant maladroitement de la barque.

Ardalôn le suit de près. Le kalis l'aide à franchir le bord. Mais Lodril le prend par le poignet lui arrachant une grimace de douleur.

- Ne vous en faites pas, mon garçon. Votre blessure n'est pas mortelle. Les Silkuts sont têtus et violents, mais ils ne tuent jamais de leur mâchoire. Je n'en dirais pas autant de leur queue.

Mon ami à la force de retirer son bras et de se reculer. Un frisson me parcourt de part en part en repensant à nos assaillants sauvages. Je ne prends même pas le temps de remercier notre guide. Je sors du bateau rapidement et m'empresse de regarder aux alentours. Ingwé nous indique silencieusement qu'il est préférable de s'éloigner avant d'entamer une conversation. Nous le suivons docilement. Moi, parce que je suis trop occupée à observer le paysage et Ardalôn parce qu'il a sans doute trop mal pour dire quoique ce soit. Une brise glaciale caresse ma peau à vif. Il règne ici, un parfum de ténèbres, pesant.