Chapitre 1 - partie 3/5

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En se réveillant ce matin-là, Carmella avait longuement regardé le plafond de sa chambre. Il devait être à peine six heures du matin, mais elle n'arrivait pas à se replonger dans ce sommeil tant désiré. Il faut dire que la journée qui s'annonçait n'avait rien d'encourageant.

Carmella changea de position dans son lit, puis soupira. Une vie qui se démarquait par l'absence de bonheur méritait-elle d'être vécue ? Elle n'en avait pas la moindre idée. Mais quelle que soit la réponse, elle n'en avait cure. Sa vie, Carmella voulait la vivre aussi pleinement qu'elle le pouvait, bien que ses choix soient pour le moins limités.

Depuis la mort de ses parents, deux ans plus tôt, Carmella se sentait bien seule. Tout ce qui lui restait, c'était cette maison où elle avait vu le jour pour la première fois.

Elle bougea encore dans son lit, ce qui lui arracha un petit gémissement. Son dos lui faisait encore mal, terriblement mal en vérité. Mais n'avait-elle pas l'habitude à présent d'être battue ? Cela faisait maintenant un bout de temps qu'elle vivait sous la coupe de son oncle et de sa tante qui n'avaient rien de comparable avec ses parents.

Son oncle, Sir Edward, eh bien... Il n'y en avait rien à dire. Carmella ne connaissait pas d'homme plus méprisable. Elle savait que c'était le frère de son père, mais elle n'arrivait pas à lui trouver une quelconque qualité. Il se coulait dans l'alcool, ce qui le rendait trop souvent violent, surtout avec elle.

Lorsque son frère aîné avait trouvé la mort, Sir Edward n'avait pas paru le moins du monde bouleversé. Au contraire, il ne se donna même pas la peine d'assister aux obsèques, se contentant de débarquer le lendemain de la cérémonie comme une fleur, en affichant un sourire béat.

En le voyant arriver ainsi en grande pompe, tout sourire, Carmella avait eu une profonde envie de l'effacer d'une gifle bien sentie, et Dieu sait pourtant qu'elle n'était pas violente.

Contrairement à ce que l'on eût pu s'attendre, Sir Edward ne lui présenta pas ses condoléances. Mais cela ne la surprit pas vraiment de la part de cet ignoble individu, du grand méchant gnome comme elle l'appelait en son for intérieur.

Elle sourit dans son lit. Ce nom lui allait à ravir.

Et sa tante ? Eh bien, comment dire... elle était...elle, en un mot.

Sa tante la détestait plus que de raison. Et le pire dans tout cela c'est que Carmella n'avait pas la moindre idée de ce qui inspirait à sa tante une haine farouche à son égard. D'aussi loin qu'elle s'en souvienne, elle n'avait jamais manqué de respect à celle-ci.

Très franchement, Carmella n'aurait pas pu trancher sur le fait qu'elle tenait plus du cobra ou de la vipère. Le dilemme était de taille.

Pour faire court, elle était aussi insupportable qu'elle était bête.

Un peu rondelette, le visage englouti par le maquillage dont elle se tartinait, des vêtements qui ressemblaient à un parfait accoutrement pour être simplement à la campagne, sa tante était à ces yeux un drôle de numéro. Un jour, Carmella s'était même demandé si la nouvelle comtesse s'armait d'autant d'équipements pour affronter le sommeil. Elle l'imaginait sans peine, aussi chargé que les chevaliers du Moyen Âge, incapable de poser son fessier sur le lit qui, à coup sûr, était bien trop petit pour son excellence.

Derrière eux arrivait la peste, plus connue sous le nom de Cheryl, abominable sorcière travestie en charmante princesse aux manières exemplaires ; son adorable et admirable cousine de deux ans sa cadette.

Elle n'allait pas faire un dessin, elles ne s'entendaient pas du tout, mais alors pas du tout. En fait, il n'était pas d'être plus différents que ces deux-là. Le jour et la nuit. La lumière et l'obscurité. L'ange et le démon. Et ce n'était pas peu dire.

Cheryl, n'excellait que dans un domaine, l'art d'être belle. Oui, il fallait bien l'avouer, la nature avait été pour le moins injuste en faisant de cette peste une créature de toute beauté. C'était une splendide rousse comme sa mère, dont la chevelure de feu avait séduit plus d'un homme.

De toute façon, pour les gens qu'elle fréquentait, il suffisait d'avoir un physique avantageux pour être parfaite. Elle avait de la chance que son caractère ne fut pas en jeu auprès de ces messieurs, car ils auraient vite déchanté. Et pour cause, Cheryl pouvait se révéler parfaitement détestable quand elle le voulait. Prenez, une fois Carmella se promenait dans le jardin quand elle était tombée sur Cheryl qui s'entretenait - du moins si le mot convenait - avec un garçon qui avait tout du parfait dandy de l'époque. Carmella avait été stupéfaite des accents passionnés et calmes de sa voix, qui était la plus douce des musiques que pouvait proférer la voix d'une femme. Sa voix, à ce moment-là, s'opposait radicalement à l'intonation de celle-ci lorsque des invités ne risquaient pas de l'entendre. On aurait dit qu'une autre s'était emparée de sa voix. C'était pour le moins traumatisant.

Mais ce n'était rien comparé à ce qui avait suivi.

L'apercevant, Cheryl avait soudainement poussé de terribles injures, ordonnant à Carmella de partir et de les laisser. Bien évidemment, tout cela avait été dit avec une voix aussi désagréable que sa personne. Elle savait bien cacher son jeu la peste.

Mais ce que Carmella ignorait, c'était la jalousie qui habitait sa cousine.

Il ne manquait plus que son cousin, Julius.

Ce dernier avait beau n'avoir que vingt-deux ans, il se croyait déjà être un homme. Évidemment, il ne suffisait pas d'être majeur pour être adulte, car dans sa tête, il était toujours un adolescent.

Bien évidemment, il va sans dire qu'il était le fils de son père jusqu'au bout des ongles : même caractère de cochon, même comportement emporté, véritable fou furieux dans ses moments de délire, et il fallait le dire, parfait abruti, du moins c'était là son avis.

Libertin endurci, Julius avait toujours témoigné un empressement envers elle qui lui déplaisait fortement. Alors, si ce bon à rien pensait pouvoir prendre son bon plaisir avec elle, il se fourrait les doigts dans le nez, et bien profond qui plus est. Rien que le fait qu'il eut l'idée de la courtiser, alors qu'ils étaient cousins germains, lui donnait la nausée. Mais, pour être franche, il aurait pu n'avoir aucun lien familial avec elle, Carmella l'aurait détesté tout autant.

Pour autant, malgré les airs de grands seigneurs qu'il se conférait - ce qui lui donnait l'air encore plus idiot qu'il était, et Dieu sait que c'était difficile de paraître plus stupide qu'il n'était déjà - Carmella lui devait la chance, si du moins c'en était vraiment une, de pouvoir rester vivre dans cette demeure où elle avait grandi, y vivant les plus belles années de sa vie.

En effet, son oncle n'avait pas eu la moindre intention de s'embarrasser de sa nièce. Il avait même commencé à chercher quelqu'un susceptible de l'accueillir.

Il faut dire que ce n'était pas sa tante, et encore moins sa cousine, qui aurait tenté de l'en dissuader. Que Carmella parte était leur plus cher désir. Sa tante pour la simple et bonne raison qu'elle n'avait aucune envie de se charger de l'introduire dans le monde, elle qui avait déjà tant à faire de sa personne. Pensez, comment aurait-elle pu s'éloigner au fond d'un jardin accompagné de l'un de ces galants si elle devait surveiller Carmella ? Elle n'avait pas de temps à perdre avec cette "petite pimbêche", comme elle se plaisait à le dire, qui ressemblait tant à sa mère. Quant à Cheryl, elle était trop intelligente pour garder une rivale de taille sous le même toit que le sien. Cela aurait été tenter le diable.

Mais Julius avait, grâce à son talent de persuasion, réussi avec brio à convaincre son père de garder la jeune fille avec eux. Inutile de préciser quelle intention le motivait. Il suffisait d'observer le regard de feu qu'il lui jetait, le nombre de fois où il avait tenté de l'embrasser, sans toutefois y parvenir.

Il se comportait avec elle comme si elle avait été le gros lot d'une tombola, où encore un bout de viande devant lequel s'extasiait un chien affamé. Elle n'avait d'ailleurs aucune difficulté à l'imaginer en molosse à la langue pendante, bavant à en inonder le plancher.

Ainsi, elle avait pu rester. Mais cela n'était pas, elle aurait dû s'en douter, sans rien attendre en retour.

...

Ce destin qui nous lieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant