Chapitre 2 - partie 1/5

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Carmella ouvrit les yeux avec lenteur. À peine émergeait-elle de son sommeil que déjà elle reprenait conscience de sa douleur, de la souffrance qui la tiraillait. Des larmes remplirent rapidement ses yeux tandis qu'elle secouait la tête de droite à gauche, totalement impuissante à apaiser son mal. Carmella sentit alors des bras la serrer plus profondément. Elle leva donc son visage baigné de larmes en direction de l'ombre qui se penchait au-dessus d'elle.

Elle en avait marre de se battre, de faire des pieds et des mains pour mériter son existence. Carmella ne souhaitait plus qu'une chose : tomber dans l'oubli, trouver ce paradis où enfin le mot vie prendrait tout son sens.

Les larmes qu'elle laissait déborder de ses yeux n'étaient autres que des larmes de capitulation face à ce destin qui semblait vouloir l'anéantir. Dieu, qu'ils étaient loin les jours de bonheur, de joie et d'amour qu'elle avait connu. Courir dans les champs à travers les longues tiges de blé qui la cachait parfaitement tandis que ses parents, qui se promenaient non loin de là, se prenaient au jeu, la cherchant. Alors, elle sortait des blés, leur sautait dessus, abandonnée à sa joie tandis que son père la soulevait dans les airs. Et dans ces moments-là, elle avait l'impression de flotter dans l'air, l'impression que si son père la lâchait, elle pourrait s'envoler vers le ciel comme un oiseau s'élevant vers l'Azur.

Carmella ferma plus fortement ses yeux en gémissant douloureusement. Souvenir, que de souvenirs... vieux de plusieurs années mais qui peuplent ses nuits depuis bientôt deux ans. Les seuls êtres qu'elle avait eu le bonheur d'aimer l'avaient quitté, l'abandonnant seule face à la vie.

Et si elle aussi abandonnait sa lutte contre l'existence ? Et si elle partait rejoindre sa famille ?

Ses yeux entrouverts se refermèrent doucement; elle se laissait aller. Mais, comme pour freiner son départ, une main se posa sur son visage, essuyant de son pouce une larme qui s'employait lentement à rouler le long de sa joue blanchie par l'état de détresse dans lequel elle se trouvait. Qui donc l'empêchait donc de partir ? Fallait-il encore qu'on s'oppose à ses désirs ? Diable, que la vie était donc injuste !

Comme pour répondre à ses questions, une voix s'éleva avec lenteur près d'elle. L'inquiétude y perçait, ainsi qu'un semblant d'impuissance.

- Tenez bon, accrochez-vous encore à la vie. On ne peut se permettre d'abandonner, pas quand on s'est battu jusqu'ici. On résiste. Vous avez été si brave jusqu'ici, alors ne choisissez pas la facilité, la fuite.

Carmella entrouvrit ses yeux, fixa avec désespoir cette image trouble qu'elle percevait sans vraiment la voir.

C'est d'une voix brisée qu'elle s'entendit murmurer :

- Je n'en puis plus...

- Tenez bon, répéta la voix
Nous y sommes presque.

Elle sentit une main enserrée la sienne comme pour lui conférer un peu de sa force. Carmella la serra un peu, avant de se laisser aller contre cet inconnu qui refusait de voir mourir une fille dont le nom n'aurait pas de peine à être oublié : elle n'existait plus aux yeux de personne... sauf aux yeux de l'homme qui la tenait serrée contre lui, affrontant la mort qui venait la chercher.

Lorsque la voiture s'arrêta, les bras de l'homme l'enserrant raffermirent leur prise. Puis, Carmella se sentit soulevé dans les airs... comme le faisait autrefois son père.

Appuyée contre cette large poitrine, Carmella était bercée par le rythme énergique des pas de l'homme. Sa démarche rapide et élancée faisait mollement balancer ses jambes dans le vide, tandis que le reste de son corps était maintenu par ce torse qui se dressait comme un bouclier et la poigne de ses mains secourable. Et quelle poigne ! Mieux valait ne pas chercher ce gentilhomme. Mais ça, elle l'apprendrait plus tard...

Un escalier, une porte, des voix... tout se mêlait et se mélangeait autour d'elle.

On s'arrêta, donna des ordres, avança de nouveau. Une porte s'ouvrit, on la déposa sur un lit, en prenant soin de la positionner de côté, empêchant tout contact possible avec son dos.

- Vous êtes en sécurité ici.

Douce parole si agréable à l'oreille. Carmella se sentit prise par un sommeil pesant tandis que sa tête reposait en toute insouciance sur la main de l'homme qui n'osait la retirer, de peur de perturber ce sommeil qui la gagnait et qui seul pourrait lui faire oublier momentanément ses souffrances accablantes qu'il n'osait même pas imaginer lui-même.

La dernière image que la jeune femme garda en tête avant de s'endormir fut celle de ce visage penché au-dessus d'elle dont les traits apparaissaient confus, mais rassurants...






Un rayon de soleil traversant les hautes fenêtres, que masquaient des tentures de brocart, vint éclairer le lit à baldaquin. Une frêle silhouette y reposait d'un sommeil calme et paisible.

Recevant la lumière du plein jour, Carmella tenta de se relever, quand une voix chevrotante l'invita à rester allongée, tout en accompagnant ses paroles d'une légère pression sur l'épaule afin de l'y inciter.

Cette voix - appartenant à une vieille femme - elle l'avait déjà entendue à plusieurs reprises. Elle était douce et encourageante, poussant à une résignation totale de sa part.

Son dos la faisait souffrir, bien qu'elle sentît confusément que la douleur était moins vive que dans ses souvenirs.

Elle se sentait faible, épuisée, à tel point qu'elle ne pût trouver la force de bouger ou ne serait-ce que d'ouvrir les yeux.

Soudain, elle entendit dans le lointain un léger coup contre une porte, et une personne pénétrant dans la pièce.

Quelques murmures prononcés à voix basse lui parvinrent faiblement :

- Comment va-t-elle ? chuchota un homme avec des intonations graves, qui lui parurent étrangement familières.

- Son état semble s'améliorer, milord. Hélas, il lui faut encore du temps... beaucoup de temps pour parvenir à un résultat satisfaisant, soupira la vieille femme.

- Bien sûr. Vous avez déjà réussi à faire des miracles.

- N'exagérons rien, il y a encore du pain sur la planche. Mais je puis vous assurer que je fais de mon mieux pour satisfaire milord, répondit la vieille femme, dans un élan de franchise.

- Et tu y arrives parfaitement, répondit l'homme, dont la voix s'était adoucie.

Il laissa le silence régner dans la pièce quelques instants avant de demander :

- Combien de temps vous faudra-t-il encore pour la remettre sur pied ?

- Ses blessures étant refermées, milord, je pense que moins d'une semaine devrait être suffisante pour qu'elle soit en état de se lever... elle a seulement besoin de repos.

- Je n'en attendais pas moins de vous, ma chère Nanny.

- À quelle heure partez-vous ? demanda la prénommé Nanny.

- Dans une heure.

- Vous comptez rester longtemps à Londres ?

- Je l'ignore.

Un court silence suivit avant que l'homme reprenne la parole.

- Je vais vous laisser. N'hésitez pas à me prévenir si un problème survenait.

- Vous pouvez compter sur moi, milord. Je prendrai soin d'elle comme de la prunelle de mes yeux.

- Je n'en doute pas.

Des bruits de pas retentirent sur le plancher et la jeune fille comprit que l'homme quittait la pièce.

La porte s'ouvrit, mais avant qu'elle ne se referme la vieille femme déclarât :

- Revenez vite milord.

Puis la porte se referma tandis que la vieille femme poussait un long soupir.

...

Ce destin qui nous lieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant