Le marquis pénétra dans le salon où il découvrit sa mère, confortablement installée dans un fauteuil en velours rouge. Comme à son habitude, elle portait un ensemble qui la rendait très élégante, bien que sa tenue soit moins soutenue que celle qu'elle arborait dans la capitale. Elle portait pour tout bijou un simple collier de perles.
Chaque fois qu'il la voyait ainsi, abandonnée dans le magnifique décor de ce salon que sa mère adorait, Charles ne pouvait s'empêcher d'admirer son maintien, sa grâce et sa beauté qui semblaient refuser de se ternir avec l'âge.
C'est ainsi que je souhaite ma femme : à la hauteur de ma mère, songea-t-il tranquillement.
S'approchant, il vint l'embrasser tendrement.
— Alors, où est-elle cette charmante enfant ? demanda joyeusement la marquise douairière.
— Elle ne devrait plus tarder.
— Je t'avoue que je suis impatiente de la voir. Dis-moi, comment est-elle ?
— Oh, vous ne serez pas déçu. Elle est douce, calme, parfaitement tempérée. Elle se déplace avec lenteur et grâce, ses manières sont excellentes ; son comportement est des plus irréprochables et...
La porte s'ouvrit brusquement, coupant le marquis. En effet, dans sa précipitation, Carmella venait d'entrer en trombe dans le salon, surprenant ses occupants.
Il y eut un grand instant de silence durant lequel le marquis fixait avec attention Carmella. Elle était essoufflée et certains de ses cheveux s'étaient malencontreusement échappés de sa coiffure.
La marquise quant à elle, le premier instant de stupeur passé, posait sur la jeune fille un regard attendri qu'accompagnait un tendre sourire. Il faut dire qu'il aurait été difficile de ne pas s'amuser de l'instant : son fils vantant les louanges de celle qu'il voulait lui présenter et celle-ci qui arrivait en trouvant le moyen de détromper tous ses propos en l'espace d'une seconde. Cela relevait du talent d'une artiste !
Mais contrairement à quelqu'un d'autre qui aurait pu se froisser d'un tel écart de conduite, la marquise l'appréciait, sachant d'ores et déjà cette jeune fille singulière. Et cela n'était pas sans raison... Elle lui rappelait vaguement quelqu'un, qui avant de devenir marquise de Danwick avait été la plus fougueuse et incorrigible jeune fille qui soit. Elle lui ressemblait trait pour trait. Peut-être la raison en était que c'était justement elle ?
Allison avait à l'époque un caractère bien particulier que l'on aurait pu difficilement lui donner en la voyant pour la première fois. Sans compter qu'elle ne se plaisait pas à imiter les jeunes filles de son âge qui semblaient à chaque instant du jour – et peut-être même dans leur sommeil, qui sait - jouer un rôle dans une pièce sans fin et à l'intrigue inexistante. Mais elle avait aussi d'autre trait de sa personnalité qui la caractérisait et qui avait fait d'elle la femme qu'elle était aujourd'hui : une femme capable de tenir son rang et de se faire aimer par ses gens sans pour autant changer qui elle était vraiment. Et cela, Allison ne se faisait pas de souci, Carmella découvrirait vite quelle personne elle était en réalité et que la différence était loin d'être un défaut.
Carmella, de son côté, après cette entrée en matière assez... particulière, tentait de reprendre un peu contenance tout en s'approchant de ses hôtes.
Idiote ! Toi qui voulais faire bonne impression auprès de la marquise, on peut dire que tu fais fort! Tu n'en rates pas une, fille stupide ! ... Je me désespère..., pensait confusément la jeune fille en son for intérieur.
Il faut dire que déclarer ses étranges pensées tout haut aurait été pire que de se jeter par la fenêtre, du moins dans la situation dans laquelle elle venait de se mettre. Il faut croire que sa maladresse et sa manière d'être parfois insoupçonnable arrivaient encore à la surprendre.
D'entrée, Carmella déclara avec confusion :
— Je m'excuse de vous avoir fait attendre.
Le marquis, voyant à quel point elle était nerveuse, lui adressa un sourire encourageant auquel elle répondit par un sourire timide, mais plein de charme.
Se tournant vers sa mère, Charles fut étonné de l'expression de son visage. Celle-ci regardait Carmella avec un grand sourire tandis que ses yeux semblaient s'illuminer. S'il avait débarqué dans la pièce à ce moment-là, il aurait juré que sa mère venait de voir entrer dans le salon la reine en personne. Comme cela était pour le moins improbable, le marquis ne comprenant pas, tourna de nouveau la tête vers la jeune fille. Il ne pouvait même pas imaginer tout ce à quoi avait déjà pensé sa mère en l'espace d'un instant... Et mieux valait-il pour lui ne jamais le savoir.
La marquise allait se lever pour accueillir la nouvelle venue quand Carmella l'interrompit précipitamment tandis qu'elle se pressait d'arriver à leurs côtés.
— Je vous en prie, ne vous donnez pas cette peine, votre Grâce.
La marquise lui jeta un regard stupéfait. C'était bien la première fois qu'une jeune fille se préoccupait de sa personne.
De plus en plus intéressante, songea la marquise qui voyait déjà en cette adorable jeune fille, un être d'une rareté précieuse.
— Je vous remercie, miss Sinderbrod. Asseyez-vous donc près de moi, voulez-vous ?
Carmella eut un petit rire avant de déclarer :
— Vous pouvez m'appeler Carmella entre nous. Quand on m'appelle miss Sinderbrod, j'ai l'impression d'avoir fait une grosse bêtise.
— À la bonne heure Carmella! Entre nous, je trouve tant de cérémonie quelque peu ridicule.
Soudain, toutes deux se mirent à rire, bien que la raison n'en soit pas évidente. Le marquis découvrirait plus tard que ces deux-là réunies pouvaient se mettre à rire d'un seul coup, sans avoir échangé une seule parole si ce ne fut qu'un regard. Étrange phénomène, mais dont il devrait s'accommoder. Certaines choses ne s'expliquent tout simplement pas.
— Je vois que vous vous connaissez depuis à peine deux minutes et que déjà vous vous entendez parfaitement. Dans ces conditions, je vais me retirer. J'ai rendez-vous avec Romney à midi. Il faut donc que j'aille me préparer.
S'inclinant respectueusement devant les deux dames il quitta la pièce, un grand sourire aux lèvres. Il n'aurait pu espérer que deux inconnues s'entendent si bien en l'espace d'une rencontre, si c'était là le bon terme pour décrire cette scène improbable qui venait de se dérouler dans le salon de sa propre maison et sous ses propres yeux.
À peine eut-il quitté la pièce que déjà la marquise s'exclamait :
— Alors, j'ai appris que vous aviez besoin de mon aide mon enfant.
— Je suis désolée de vous déranger votre fils et vous avec mes problèmes, mais...
— Vous n'avez pas à vous excuser très chère! Je suis ravie de pouvoir vous aider, et je suis sûr qu'il en est de même pour mon fils. Il m'a d'ailleurs amené ici pour deux raisons, mais j'imagine que vous les connaissez déjà.
Comme Carmella lui jetait un regard étonné, la marquise leva les bras au ciel.
— C'est bien de mon fils ça! Tout organiser sans rien dire à personne. Remarquez, mon mari était pareil à bien des égards, fit-elle avec une voix qui tentait de se montrer contrariée, mais que le timbre utilisé pour exprimer les mots suivants démontraient lourdement :
— Mais je l'aimais...
Secouant brusquement la tête pour se rattacher à la réalité, la marquise ajouta :
— Eh bien, sachez que je suis ici non seulement pour vous chaperonner afin de vous garder des mauvaises langues, mais également pour vous aider à faire votre entrée dans le monde à Londres !
...

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Ce destin qui nous lie
Historical FictionAngleterre, XIXe siècle. Le dos meurtri, le cœur lourd, la jeune Carmella se dirige furtivement dans les jardins de son oncle. Depuis la perte de ses parents, elle se retrouve piégée sous la tutelle de cet homme qui, en plus de la détester, prend p...