Parfois, je ne pense à rien d'autre que toi.
J'avais posé ma tête contre la fenêtre du train ; je regardais, sans vraiment voir, les couleurs qui se mélangeaient de l'autre côté de la vitre. Et les ronronnements des roues et les cliquetis des rails me berçaient dans cette torpeur, douce et amère à la fois.
Je me laissais porter par cette force inénarrable, par ce chagrin qui, dans tout son labeur d'émotion destructrice, avait vidé mon esprit et mon regard. Ces phrases, ces terribles phrases, résonnaient toujours dans ma tête, et qui, pareilles à un disque rayé, à une boucle infinie, tournaient encore et encore, encore, sans discontinuer dans cet espace bien trop petit qui était mes pensées.
« Ce n'est pas de ta faute, je t'assure. C'est moi. Et puis, de toutes manières, nous deux, c'était voué à l'échec, non ? C'était cool de coucher ensemble quand même ? »
Tu parles ! Quelle belle connerie ! Pourtant, on m'avait prévenu. « Cette fille-là ne cherche rien de sérieux ! Ne t'attache pas trop à elle. Tu vas t'en mordre les doigts... » on m'avait dit, dit et redit. Et moi, comme une conne, j'y suis allée tête baissée, cœur ouvert ; et résultat des courses : le jour d'après notre rupture, sur un coup de tête trop brusque, j'avais pris le premier job qui m'était tombé sous la main ; j'ai fui loin, oui très loin de tout ce monde, de toute cette tristesse.
Et ces presque 575 km/h ne suffisaient pas pour oublier cette fille ; cette fille à qui j'avais confié mes sentiments, ma personne...
Je ne savais même pas ce que j'étais venue chercher en allant là-bas, dans ce trou perdu, ce camping au doux nom de "Chèvrefeuille " ; rien probablement, ou du moins tout... tout ce qui me ferait oublier cette rupture, inattendue et brutale. C'était plutôt – à défaut de dire très – décevant comme première expérience amoureuse et sexuelle. Pour ce qui était du premier point, j'ai compris bien trop tard que c'était à sens unique... et pour l'autre... fade et anecdotique, je m'étais sûrement menti à moi-même pour me persuader de l'absolu bonheur que m'avait procuré cette première fois, qui en réalité, était très gênante et regrettable.
Ce n'était la faute de personne, bien sûr que je le voulais, mais avec du recul, pas avec celle-là.
Trop pressée d'accomplir cette fameuse première fois, sous la pression sourde des regards des autres, et toutes ces conneries qui nous poussent à en faire, je m'étais lancée, trop vite lancée, inconsciemment, je suppose, dans cet acte que je regrette amèrement maintenant... mais peut-être que "amèrement" est trop fort comme mot... J'étais naïve, je le suis sûrement toujours, mais moins je l'espère.
Alors, je m'étais promise cette folle promesse, impossible et déraisonnable, que se font les cœurs brisés. Celle de ne plus jamais tomber amoureuse, celle de dire non au destin, de renvoyer balader toute forme d'affection et de tendresse ; celle, en somme, de s'armer d'un paratonnerre, pour que ce coup de foudre ne me frappe plus jamais.
En passant dans un tunnel, je vis dans mon reflet, plongé dans cette pénombre fugace, et droit dans mes mes yeux, qui me semblaient plus noirs que d'habitude, cette peine qui me troublait tant ; je m'étais alors redressée pour reprendre une certaine contenance, et attacher mes longues mèches brunes en un chignon lâche. J'avais l'allure d'une épave qui aurait coulé dans quelques tempêtes sombres et mortuaires, loin de cette image de jolie jeune femme souriante et sautillante qu'on me donnait, pour je ne sais quelle raison d'ailleurs.
Et pourquoi diable, j'avais revêtu cette salopette en jeans et ce débardeur trop coup ? Moi qui, d'habitude, cache mon corps, je m'étais surprise à voir toute cette peau visible de tous. Une petite gêne m'avait gagné. Je croisai alors mes bras pour me cacher quelque peu ; et du coin de l'œil, j'aperçus le sourire de mon voisin d'en face. Je lui décochai à mon tour un regard, plus sévère, semblait-il, puisque dans la foulée, le jeune homme, d'une vingtaine d'années je dirais, avait baissé sa tête, rouge de honte ou de gêne, peut-être des deux.
C'était ma seule interaction avec tout ce monde qui bougeait autour de moi, ces contrôleurs qui voyageaient de wagon en wagon, ces enfants qui criaient sans la moindre raison et ces discussions éphémères, le temps du trajet, de voyageurs trop sociables pour garder le silence des trains.
Autre surprise, à l'approche de ma destination, je ne m'étais pas assoupie durant tout le voyage, trop occupée à broyer du noir ; et les passagers se pressaient déjà pour se lever, pour préparer leurs affaires, pour être les premiers à descendre sans doute, craignant peut-être, que le train fasse demi-tour une fois à l'arrêt... Je ne comprends toujours pas cette précipitation que les gens ont à l'approche du terminus, c'est un peu stupide – et absurde surtout – d'attendre debout, serré, agglutiné, dans le couloir, que le train s'arrête...
J'étais descendue bonne dernière, le pas quelque peu traînant ; et une foule de gens – peu pressée de libérer les quais – se tassait encore devant les portes des wagons, comme une extension de l'attroupement qui avait lieu à l'intérieur. Toute cette effusion de retrouvaille et de joie m'exaspérait un peu, moi qui, arrivée toute seule, sans personne pour m'attendre, devait affronter l'inconnue.
J'avançai, un peu gauche, avec mon énorme sac sur le dos, et ma petite tente pliable sous le bras. Je naviguais tant bien que mal, à coup de « pardon, excusez-moi » à travers cette marée d'accolades, de câlins, de bisous, de baisers et de « oh je suis tellement content de te revoir, ça faisait si longtemps ! »
Je n'avais comme seul compagnon que le soleil tapant du mois de juillet, déjà à l'apogée de sa course et de sa chaleur. Et il me fallait encore prendre le bus pour arriver au camping Chèvrefeuille, mon phare salutaire dans cette épopée interminable et solitaire.
Et perdue dans ce brouhaha, cette foule en liesse, cette euphorie estivale, j'entendis une voix ; une voix que je ne devais pas entendre ici, qui n'avait rien à faire ici. Cette voix, ce timbre, cette douce friture vocale, cet accent italien discret, je pouvais la reconnaître entre mille, puisque je l'avais entendu, cette voix, durant des heures entières et pendant toute une année. Le choc mental était tel que j'avais arrêté ma marche et prononcé son nom tout haut :
– Madame Bellini ?!
Je m'étais pivoté, de droite à gauche, de gauche à droite, pareille à une girouette en pleine tempête, au milieu de ce monde grouillant de niaiserie. Je devais la trouver, alors je la cherchais ; mon cerveau refusait de croire qu'elle était ici tant qu'il ne l'aurait pas vu, et accusait mes oreilles de grand mensonge ou pire, de pure folie.
Pourtant... pourtant je ne la vis pas, je ne la retrouvai pas. J'avais dû halluciner, sans doute...
Et me résigner à cette conclusion était sûrement la meilleure des choses à faire, parce que mes yeux, à leur tour, hallucinèrent ; et entre deux battements de cils, deux flots de passants, je l'avais aperçu... toute joyeuse, souriante et éclatante de beauté... avant de disparaître de nouveau, aussi rapidement qu'elle était apparue.
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Bonsoir aux couche-tard et bonjour aux lève-tôt !
Je reviens, avec cette histoire, à l'un de mes péchés mignons, qui sont les histoires d'amour, niaises et toute mignonnes, légère et pleine de tranche de vie. Elle trotte dans ma tête depuis pas mal de temps... Encore une fois, je l'écris sous l'influence d'une musique, mon petit coup de cœur de ce groupe que j'affectionne beaucoup (cf la musique en média).
Je ne sais pas encore précisément quel jour je publierai les chapitres, mais je tiendrais, du mieux que je peux, le rythme d'un par semaine. Probablement, ça ne sera pas le samedi, pour éviter de faire doublon avec Royal lagoon... Ou je ne sais pas... dites-moi...
Quoi qu'il en soit, je vous remercie d'avoir lu jusqu'ici, mes pensées solitaires, et à très vite pour le prochain chapitre !
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Parfois, je ne pense à rien d'autre que toi. (GxG)
Roman d'amourCéleste vient tout juste d'avoir le bac... et de se faire larguer. Pour se changer les idées et oublier son ex petite amie, elle décide, sur un coup de tête, de prendre un job d'été : barmaid dans un modeste camping au bord de l'océan. Et elle, qui...