Chapitre 10

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L'apprenti cuistot avait déposé devant nous deux grands bols en porcelaine, remplis à ras bord de nouilles de riz, de légumes et de crevettes sautées ; plein de couleurs de bonnes odeurs, nos plats étaient déjà délicieux avant même de les avoir goûtés. Mais Pénélope, qu'une mystérieuse mouche avait piquée, chercha tout autour de son plat, regardant même sous son bol, à la recherche de quelque chose, semblait-il. Puis, après s'être arrêtée net, elle me regarda dans les yeux, l'air embarrassée :

– Merde ! souffla-t-elle vivement avec un demi-sourire.

– Que... qu'est-ce qu'il y a ? Il y a quelque chose qui ne va pas ?

– Si, si, tout va bien, me rassura-t-elle. C'est juste... c'est juste qu'il ne m'a pas donné de fourchette...

Pénélope prit à poings fermés ses deux baguettes de part et d'autre de son bol ; levées comme deux piquets vers le ciel, elle les tenait comme des couverts classiques, et une soudaine panique, discrète cependant, avait envahi son visage. Alors, dans le même murmure, elle continua :

– C'est que je ne sais pas manger avec ça, moi !

J'émis un petit rire incontrôlé, et Pénélope, aussitôt, me tapa doucement la main avec l'une de ses baguettes :

– Je ne te permets, dit-elle faussement énervée.

– Si tu veux, je peux aller t'en chercher une, ok ? demandai-je en guise de pardon.

– Non, non, non, je ne veux pas de ta pitié ! rétorqua-t-elle en se levant, le sourire aux lèvres.

Puis elle partit, de son pas naturellement langoureux, et, évidemment, je ne pouvais pas m'empêcher de jeter un œil à ses hanches, à ses fesses ; mais très vite, me sentant coupable et un peu honteuse, j'avais détourné le regard, pour tomber, par hasard, sur celui de notre voisin : le monsieur avec son journal. Il m'adressa un sourire, après une longue seconde ; j'avais remarqué trop tard que je le regardais dans les yeux.

Une fois de retour, elle semblait très-soulagée, et m'expliqua longuement qu'elle n'a jamais réussi à manger avec des baguettes, et pourtant, ce n'était pas l'envie qui lui manquait. Elle s'extasia alors, un instant seulement, sur mes mains, qui tenait correctement mes couverts en bois :

– Mais quelle dextérité tu as avec tes doigts ! s'exclama-t-elle, la mâchoire tombante et les sourcils levés.

– C'est... pas grand-chose, tu sais, soufflai-je un peu gênée.

Et nous mangeâmes en silence, tant le repas était succulent, Pénélope avec sa fourchette et moi mes baguettes. De temps en temps, seulement, on croisait nos regards, fredonnait des monosyllabes et hochait la tête pour confirmer de la qualité de notre repas. C'était ma grand-mère, je crois, qui disait qu'un repas silencieux était un repas réussi, c'est vrai.

Le chef, une fois nos bols vides et presque propres comme neuf, nous offrit le dessert, « pour les retrouvailles, » nous disait-il, avec un large sourire qui lui plissait les yeux. Il s'installa même quelques minutes à notre table, et parla, avec Pénélope, de vieilles anecdotes, d'histoires loufoques et de souvenirs de clients atypiques.

– Et tu te souviens de celui qui était déguisé en pirate ! commenta le chef avec un rire gras.

– Mais comment tu veux que je l'oublie !? rétorqua Pénélope dans un éclat de rire.

Alors, l'autre, l'accompagnant :

– Il avait essayé d'avaler son sabre en plastique, et résultat des courses-

– Le sabre s'est détaché et est resté bloqué dans sa gorge ! ajouta-t-elle, dans le même rire.

– Mais c'est horrible ! dis-je, les yeux écarquillés.

Parfois, je ne pense à rien d'autre que toi. (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant