Chapitre 13

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– Je vais aller droit au but, commença-t-elle. Et je vais essayer d'être la plus franche possible, par contre je vais sûrement être très chaotique dans ma pensée et je m'excuse d'avance pour ça.

Puis, elle me regarda droit dans les yeux :

– Mon couple ne va pas très bien en ce moment, et quand je dis en ce moment, je veux dire depuis des mois, des années peut-être... Oh non, je suis complètement ridicule et gênante, pourquoi je t'ai amené ici ? Pourquoi je t'inflige ça, toi qui n'a rien demandé... je suis vraiment désolée, Céleste... Je sais, c'est bizarre comme situation, c'est aussi bizarre pour toi que pour moi. Et peut-être que tu me trouves ridicule, et je ne sais même pas pourquoi je te parle de ça...

Elle prit une pause, s'essuya le coin de l'œil, et continua sur un ton plus drôle, se rapprochant de la plaisanterie :

– Tu sais la routine, la vie fade et sans goût... la crise de la trentaine arrive à grands pas, et je ne suis toujours pas mariée, et j'ai toujours pas d'enfants non plus... mais est-ce que je veux vraiment des enfants ? je ne sais pas !

Elle finit par souffler et cacha son visage entre ses bras croisés ; et moi, je ne savais pas quoi faire. Alors c'était donc tout ça que son sourire cachait... Et pourquoi me l'avoir dit à moi ? Je ne pouvais pas l'aider... ses problèmes dépassaient largement les miens. Et alors que j'allais la réconforter avec une petite caresse sur le dos, elle se releva, me regarda un instant, peut-être deux ; et les lèvres entrouvertes, les pupilles encore troublées par des larmes naissantes, elle balbutia quelques mots que je n'entendis pas, et moi :

– Pardon ?

Et Pénélope se redressa, battit des cils et se racla la gorge :

– Rien, rien, enfin voilà, si je suis bizarre en ce moment, ou bien distante, ce n'est pas contre toi, j'ai juste trop de choses à gérer, et je ne voudrais pas que tu le prennes mal, d'accord ?

Elle m'adressa un tendre sourire, un sincère cette fois-là, c'était l'un de ceux qui vous plissent et vous rosissent les joues, et qui montrent timidement les dents. C'était ce sourire que l'on pouvait voir sans même le regarder.

Alors on passa le reste du déjeuner à parler de tout et de rien ; en fait, surtout de son compagnon, de leurs problèmes, et j'avais appris pendant ce repas tous les détails presque intimes de leur couple, du premier baiser jusqu'à la première fois. Et c'était très étrange d'entendre parler de ça de la bouche de Pénélope, finalement, c'était une humaine comme les autres, et un professeur n'a rien de sacré, une fois le statut démystifié. C'était une personne très décomplexée, très ouverte d'esprit, et qui parlait de sexualité, de choses crues, vulgaires même, comme si elle parlait de la météo ou de sujets sans grandes importances ; elle me livrait même, parfois, quelques détails de son intimité.

Et sans m'en rendre compte, elle avait réussi à me mettre à l'aise, parce qu'au fil de la discussion, il m'arrivait, à moi aussi, de partager mes expériences, mes idées, mes fantasmes ; c'était comme échanger avec une amie de longues dates, et l'âge finalement importait peu, parce qu'on se comprenait.

La discussion qui avait commencé dans la gêne et les larmes se conclut sur une blague salace, des rires gras et partagés. Tout était désamorcé, et les étrangetés d'hier n'existaient plus ; Pénélope semblait ravie de m'avoir ouvert son cœur, d'avoir exposé ses problèmes, parce que très souvent, le simple fait de les dire à voix haute suffisait déjà pour les diminuer.

L'après-midi, à partir de là, s'écoula très-vite et l'on s'était préparée pour la soirée d'ouverture. J'avais le trac, parce que c'était bien la première fois que je faisais ce genre de chose. Mes mains tremblaient, mais je gardais, du moins, j'essayais de garder, un semblant de contenance, montrant le moins possible tout le stress qui montait déjà en moi. Heureusement que Pénélope était là pour m'épauler, elle resta longuement à mes côtés, m'expliquant à plusieurs reprises le fonctionnement des tireuses à bière, la manière de faire les cocktails savants du camping, et d'autres tenants et aboutissants du métier de barman qui, visiblement, était une seconde nature chez elle.

Les clients arrivèrent vite, par vague principalement, et à peine avions nous eut le temps de grignoter quelque chose – pour tenir la longue soirée –, que toute une flopées de têtes, d'assoiffés, et de curieux avaient envahi la salle. Il y avait de tout ; des retraités, habitués visiblement, qui s'installaient sur la terrasse, ignorant les touristes, jeunes adultes pour la plupart, atterris ici pour les prix imbattables de l'alcool ; quand d'autres encore, et plus jeune aussi, moins éduqués également, sans aucun scrupule, ni aucune once de gêne, venait tenter leur chance avec Pénélope, quand ce n'était pas avec moi.

C'était flatteur au début, mais très vite, ce petit jeu de flirt à sens unique devient lourd.

– Et tu fais quelque chose après ton service ? me demanda un jeune, les yeux pétillants d'alcool.

– Après mon service ? dis-je. Et bien, je dors, et tu devrais faire pareil, je pense.

– Dormir c'est pour les faibles, répliqua-t-il aussitôt. Non, j'ai beaucoup mieux que dormir, ça te dirait ce soir de vivre une expérience troublante et merveilleuse au clair de lune ?

– Hé coco ! intervint Pénélope. Il y a tes parents qui sont là !

Elle avait pointé quelque part, au-dessus de sa tête, un groupe de personnes sans vraiment viser quelqu'un en particulier. Le bluff était osé, mais force était de constater qu'il avait fonctionné. Ni une, ni deux, le jeune homme avait très-vite dessaoulé, avait prit ses jambes à son cou, essaya de s'enfuir sans attirer les regards, sans grand succès parce que le pauvre bougre trébucha en avant, se renversant de toute sa longueur sur une table remplie de verres et de cocktail.

Finalement, après cet accident, et l'aide inespérée de Pénélope, la soirée s'écoula tranquillement. Une fois les jeunes dévergondés assommés par l'alcool, il ne restait plus que les plus calmes des clients ; et le bar se vida petit à petit, par vague également, jusqu'à ce que les retraités, arrivés en premier, partirent en dernier.

Et après avoir rangé le plus gros, une fois le bar vide, nous rentrâmes toutes les deux, seules, et seulement accompagnées par les étoiles, la nuit, et les vagues en bruit de fond. Je regardais, de temps en temps, du coin de l'œil Pénélope ; et elle semblait réellement heureuse, de la soirée sans doute, de ma compagnie, j'espérais.

Une fois devant son camping-car, elle se planta devant moi, les mains croisées, on était assez proche ; assez proche pour que je pusse sentir son souffle chaud et languissant sur mon visage ; assez proche pour que, et malgré la pénombre, je pusse voir ses prunelles de jais et dilatées. Elle se mordit la lèvre inférieure, une fois, puis deux. Puis, après un bref instant, elle posa une main sur mon épaule :

– C'était un chouette repas, ce midi, merci. Bonne nuit à toi, Céleste.

Elle me laissa avec un sourire avant de partir sans se retourner.

Et moi, toute légère, les joues en flamme, le regard dans le vide, je répondis, à voix basse et à son dos :

– Oui, bonne nuit à toi aussi...

Parfois, je ne pense à rien d'autre que toi. (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant