Chapitre 15

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Machinalement, sans vraiment m'en rendre compte, j'avais essayé de rattraper Pénélope ; quelque chose en moi, enfouie très-profondément, m'avait poussée à le faire, et je sentais cette envie de l'aider, de la soutenir, m'animer les jambes. Mais, avant même d'avoir posé un pied devant l'autre, Maurice m'arrêta, me retint par l'avant-bras, et dodelina gravement de la tête. Il souffla longuement, et me regarda droit dans les yeux :

– Non, dit-il sèchement. Crois-moi, tu n'as pas envie d'être à côté d'elle là tout de suite ; Pénélope, quand elle est dans cet état, est loin d'être elle-même. Elle a une colère qui, parfois, peut être explosive, et même si elle n'a rien contre toi, elle est tellement aveuglée par ce qui la ronge qu'elle trouvera, forcément, des choses loin de la vérité certes, mais des choses à reprocher, des choses qui peuvent te blesser.

– Pénélope est comme ça ? demandai-je incrédule.

Maurice répondit oui de la tête ; non, je refusais de croire ce qu'il me disait. Non, ça ne lui ressemblait pas. Non, cette femme qui dans ma tête était parfaite, drôle, pertinenete, inteligente, ne pouvait pas être comme ça, aussi facilement manipulée par ses sentiments ; et c'était stupide de ma part de le penser, à y réfléchir de plus près.

– Tout le monde a ses faiblesses, Céleste... Et tout le monde a ses jours sans, et ses jours avec.

J'avais alors accepté, sans plus de résistance, cette injonction de Maurice. Malgré tout ce qui me disait de faire l'inverse, j'étais restée, les bras ballants, là ne sachant pas trop quoi faire maintenant. Ça me faisait mal au cœur de la voir dans cet état, mais visiblement, je ne pouvais pas lui remonter le moral, ni même la soutenir, ou la tenir compagnie. Maurice se dirigea vers le camping-car de Pénélope, pour vérifier sans doute que tout était en ordre.

Et les jours qui suivirent étaient d'une tristesse et d'une solitude absolue... Pénélope me laissa travailler seule, du moins évitait tout contact avec moi. J'avais appris quelques jours plus tard qu'elle le faisait avec tout le monde, et n'avait rien contre moi.

Cela dit, c'était loin d'être la période la plus agréable que j'avais passée dans ce camping. Elle me laissa seule, une fois, un vendredi soir, c'était très pénible et très fatigant. Frédo, me semble-t-il lui avait remonté les bretelles, lui avait dit que ce n'était pas très professionnel de me laisser seule pendant la plus grosse soirée de travail ; j'aurais voulu calmer le jeu, leur dire que ce n'était pas grave, mais encore une fois, Maurice m'en avait empêché.

Je me sentais seule, vraiment seule ; Pénélope était la personne avec qui je m'entendais le plus ici, et ça me manquait, les petits moments privilégiés avec elle, ces longs tête à tête, en trio avec le silence à, parfois, s'échanger des regards, se sourire en coin ; et maintenant ce n'était plus qu'une figure lointaine, vide, et en déshérence. Le plus triste était qu'elle laissait de nouveau sa télé lui tenir compagnie le soir, jusqu'au matin même. C'était souvent des vieilles séries, ou des films tout aussi datés.

Et puis, un beau jour, j'en avais marre de la laisser comme ça, d'être complice des autres qui n'agissaient pas pour elle, qui l'a laissée comme ça, sous prétexte d'une colère qu'elle ne contrôlerait pas, par peur de se recevoir quelques méchancetés. Non, je ne pouvais plus, il fallait, coûte que coûte, que je lui parle. Alors un soir, après un repas qu'elle a passé seule encore, j'avais toqué à sa porte, par-dessus le bruit de sa télé ; une fois, deux fois, trois fois. Puis, sans que je m'y attende vraiment, tout s'arrêta. J'entendis ses pas se diriger vers moi, puis la porte s'ouvrit doucement ; elle se tenait là, devant moi, dans un long peignoir du genre kimono fleuri. Et le visage sans réelle expression, d'une voix monocorde, elle me dit :

– Céleste, qu'est-ce que je peux faire pour toi ?

Je me raclai la gorge, puis, hésitante :

– Je-je... je voulais voir comment tu... enfin, je voulais te parler... voilà...

– Me parler ? et me parler de quoi ? répondit-elle sèchement.

– Je veux dire, si tu voulais en parler, de...

– De ?

– De ça ! dis-je en remontant timidement mes épaules.

Et elle souffla par les narines avant de battre lentement des paupières. Alors, elle me dit, de son sourire habituellement faux, presque passive agressive cette fois:

– J'apprécie ta sollicitude, Céleste. Mais ça va aller pour moi, ne t'inquiète pas.

Et elle ferma doucement sa porte ; sa porte que je retins avant d'être complètement close.

– Ça me manque... finis-je par dire à voix basse, assez forte pour qu'elle l'entende.

Elle ouvrit sa porte, me regarda, me demanda :

– Pardon ?

– Ça me manque, répétai-je.

– Quoi donc ?

– De traîner avec toi, de faire des choses avec toi... Je me sens seule ici... sans toi, je veux dire... Alors, oui, tout le monde est très gentil avec moi, mais c'est pas pareil...

J'eus le courage de la regarder dans les yeux, et même si par moment ma tête me semblait lourde, je l'avais gardée haute et droite. Et Pénélope, m'ayant, contre toute attente, considéré, jeta un œil de part et d'autre de son camping-car, m'ouvrit sa porte, et me fit signe de rentrer. Malgré sa tristesse apparente, elle gardait tout de même son charme naturel, sa beauté tranquille, et arborait sur son visage, sans le vouloir sans doute, une mélancolie étrange, de celle que l'on porte les jours où l'on ne peut plus pleurer, quand l'espoir n'est plus de la partie et qu'il ne reste plus que cette torpeur grise et morose que l'on tue à coup de boissons chocolatées et de fictions à l'eau de rose.

Je passai alors le pas de sa porte qu'elle referma derrière moi. Il régnait dans son camping-car une triste pénombre, pareille à une fin de journée d'automne assombrie par la pluie ; l'air y était lourd et moite, embué par le parfum sucré de thé à la vanille. Je m'étais avancée, sans trop savoir où m'installer, et elle me dit, tout en resserrant le nœud de son kimono :

– Installe-toi. Tu veux boire quelque chose ? Un thé ? C'est tout ce que j'ai, pour le moment, de toute manière.

Je fis oui de la tête, et Pénélope me servit une grande tasse de thé, dans un mug bleu où il était écrit « You miss 100% of the shots you don't take – Wayne Gretzky – Michael Scott ». Puis je m'assis, peu confiante, sur le coin d'un canapé ; Pénélope s'installa en face de moi, une tasse à la main, elle aussi, les jambes croisées, me regardant dans les yeux. Et l'espace d'un instant, mais peut-être que je me faisais des idées, elle me sourit, sincèrement. Alors elle but une gorgée de son breuvage, posa la tasse, joint ses mains, et me dit :

– Moi aussi, ça me manque.

Parfois, je ne pense à rien d'autre que toi. (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant