Chapitre 34

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Ce baiser avait duré une douce éternité. Le goût subtilement sucré des lèvres de Pénélope resta sur les miennes, quelques secondes, une fois qu'on s'était séparé. Front contre front, les paupières mis-closes, elle rigola, de cette absolue délicatesse qu'elle adorait mettre dans ses rires ; et je sentis son souffle me caresser le visage, son parfum m'enivrer et m'envahir. C'était, à mon humble avis, le meilleur baiser que je n'avais jamais reçu ; ce genre de baiser qui vous déconnecte de la réalité, et qui vous fait dire, dans cette valse des sens que, quelqu'un dans ce monde, cette personne au bout de vos lèvres, vous aime, d'un amour profond et pur.

Quelque chose de froid pesait légèrement autour de ma nuque, et quand j'eus porté ma main à mon cou, mes doigts touchèrent une petite chaîne métallique :

— Qu'est-ce que ?! m'écriai-je. C'est... c'est quoi ? depuis quand ?

— Quand on s'est embrassé, j'en ai profité pour te le donner ! me susurra Pénélope.

— Mais, c'est trop, il ne fallait pas... dis-je dans un murmure.

C'était une petite chaîne argentée qui pendait alors à mon cou ; et au bout, une sorte d'étoile à quatre branches, aux pointes arrondies, dans le même alliage que le reste. Je relevai là tête, et des petites larmes grossissaient mes paupières. J'étais réellement touchée par ce cadeau :

— Vraiment, c'est trop, il ne fallait pas... répétai-je sur le même ton.

— Roh, c'est rien tu sais ! Je l'ai eu pour pas cher, dans une petite boutique de souvenirs !

— Merci, rétorquai-je et ne pouvant pas m'empêcher de sourire niaisement.

— Je ne savais pas trop ce que tu aimais, continua Pénélope, alors j'ai choisi une étoile parce que...

— Parce que je m'appelle Céleste ? pouffai-je dans un rire.

— Coupable... ! répliqua-t-elle en se grattant l'arrière du crâne.

— Je l'adore déjà...

Et, après avoir contemplé mon tout nouveau collier en silence, je dis à Pénélope :

— Mais... je n'ai rien à t'offrir moi...

— Tu sais, répondit-elle en appuyant mon nez de son index, si je fais des cadeaux, ce n'est pas pour en attendre en retour ! Je le fais, parce que j'aime faire plaisir aux personnes que j'apprécie tout particulièrement !

Un flot de sang m'avait rougi les épaules et les joues ; je me sentais privilégiée en recevant ce cadeau, même s'il était vrai que l'étoile semblait d'être d'une qualité discutable ! Le geste comptait bien plus que le prix ; et le prix dépassait largement ce qu'elle valait en argent.

Alors nous partîmes de la place pour rejoindre le scooter. La petite sauterie du Chèvrefeuille nous attendait, et j'étais très-heureuse d'exhiber mon tout nouvel accessoire ! Sur la route, je ne m'étais pas retenue de m'accrocher pleinement à Pénélope ; j'étais sa petite bouteille d'oxygène, ou sac à dos, au choix. La tête posée sur son épaule, je regardais, tranquille, la route filer à toute vitesse, et parfois, quelques mèches de ses cheveux me chatouillaient le visage, pour mon plus grand plaisir.

Tout le monde nous attendait au camping, même Monarque, qui pour l'occasion – peut-être l'avait-il senti venir cette soirée – était avec nous ! Le soleil se couchait timidement à l'horizon, colorant le ciel d'un orange tamisé et se reflétait dans l'océan avec merveille ; astre souverain, solitaire dans son royaume dépourvu de nuages, il nous réchauffait dans sa besogne infinie, jusqu'au dernier rayon de la journée.

On s'installa tous sur notre petite plage privée, en cercle ; et Frédo, très fier de lui, nous montrait – avec un succès relatif – comment il faisait pour allumer un feu de camp dans le sable. Quelques pierres pour contenir le feu, des petites et grandes branches, du papier journal et des allumettes, nous disait-il, de son air sérieux et concentré.

C'était finalement Maurice, qui l'aida à allumer ce feu ! et, finalement, l'on était enfin installé pour de bon. C'était un très grand pique-nique que nous avaient préparé ces deux-là ; il y avait de tout : des verrines, des amuse-bouche, des chips, mais surtout ! du vin et de la bière, selon les goûts de chacun. Pénélope, assurément, s'était jetée sur la bouteille de rouge, l'avait ouverte d'un coup de main de maître ; et dans sa grande classe de femme bourgeoise bohème, dont l'impolitesse la rendait excise, se servit la première.

La nuit s'étiolait sans qu'on ne le remarquât ; et le ciel s'était couvert de son voile noire, percé de loin en loin par une myriade d'étoiles. La chaleur de notre feu, le bruissement des vagues, l'odeur pittoresque du bois brûlé, tout était parfait à ce moment-là ! L'on rigolait, se remémorait nos meilleurs instants de cet été-là. Soudain, le souvenir de mon premier jour me revint d'un coup d'un seul, comme si c'était la veille. Du chemin, j'en avais parcouru ! Et je me surpris à me sentir bien et épanouie dans cette relation au futur incertain, parce que ce qui comptait, finalement, était le présent. Alors, je m'étais permis d'appuyer ma tête sur l'épaule de Pénélope ; mon regard se perdait petit à petit dans les braises incandescentes du foyer.

Frédo, un peu alcoolisé, avait sorti les chamallows, prépara aussi le feu d'artifice ! Il était debout, en face du feu, grandiose en contre-plongée ! Et les ombres qui se projetaient sur son visage lui donnaient un air, à la fois, ridicule et imposant. Ses yeux, perdus dans la vague parfois, à cause de l'alcool, cherchaient ce qu'il voulait dire ; dans sa tête, semblait-il se préparer un trop long discours pour son esprit embrumé déjà :

— Mes amis ! commença-t-il un peu hésitant.

Tout le monde rigola, gentiment bien sûr, alors il nous ordonna, un peu hilare lui aussi, de nous taire, de son index sur la bouche :

— Mes amis ! répéta-t-il, une main posée sur le torse. C'est avec un honneur immense... immense honneur, honorable ! que je clos cette saison promptement menée ! C'est grâce à vous tous, qu'on est arrivé aussi loin, et comme dirait l'autre, il ne peut en rester qu'un ! Ou qu'une !

Et il me regarda, droit dans les yeux. Puis, après un silence :

— Le conseil t'écoute, Céleste.

— Pardon, dis-je, étonnée.

Tout le monde me regardait, même Pénélope. Frédo, d'une voix grave de présentateur télé :

— Resteras-tu avec nous ? Ou vas-tu nous abandonner, l'année prochaine ?

— Ah ! récriai-je. C'est pour ça, toute cette mise en scène !

Alors, Maurice, moins dans le spectacle :

— Ce qu'il essaye de te dire là, c'est que tu es vraiment la bienvenue, si tu le souhaites. Les portes du Chèvrefeuille te sont grandes ouvertes, sache-le !

Pénélope me sourit, pleinement, acquiesça les paroles des autres sans en prononcer aucune ; je voyais dans ses yeux qu'elle me demandait de dire oui, même si, il était évident que la réponse était :

— Oui ! je le veux !

— Parfait ! cria Frédo au ciel, en levant ses deux bras aussi haut qu'il le pouvait.

Et tous m'applaudirent en rythme, même Monarque s'était frotté à moi, ronronnant de plus bel ! Pénélope, alors, sans gêne, me bisa sur la joue devant tout le monde, sans prendre la peine d'être discrète ou de créer une diversion. Ce qui eut pour effet un soulèvement de « oh ! » étonné dans l'assemblée. Frédo avait raison, on ne cachait même plus !

Il lança enfin les feux d'artifice ; ce n'était pas le meilleur de ma vie, il restait très modeste, sans grande prétention. Alors, pendant que résonnait dans nos cages thoraciques les multiples explosions, que dans nos prunelles se miraient les couleurs flamboyantes et explosives, Pénélope me prit la main, la serra fort. On était côte à côte, assises en tailleurs. Je me tournai vers elle, et elle regardait le ciel, souriait imperceptiblement.

J'adorais me perdre dans cette joie tranquille sur son visage, imaginer tout ce qu'elle pouvait ressentir à ce moment-là, contempler ses fossettes se creuser par un sourire. Alors je lui rendis au double l'étreinte de sa main, baisai son épaule nue ; et elle me murmura, sans décrocher son regard du spectacle, par-dessous l'effusion de joie et de grondements tout autour de nous, de sa voix chaude et posée, quelque peu suave :

— Je crois que je le sais, maintenant...

Et moi, après un instant, perdue dans cette rêve éveillé :

— Tu sais quoi ?

— Je sais que je t'aime... Céleste.

Parfois, je ne pense à rien d'autre que toi. (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant