Chapitre 11

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Après cet épisode étrange, plus qu'étrange même, j'étais restée là, sur mon matelas, à regarder le plafond de ma tente. Je ne savais pas combien de secondes d'ailleurs... C'était peut-être des minutes même ! Je me sentais nulle, honteuse et ridicule, ridicule d'avoir imaginé que quelque chose allait se passer entre elle et moi. Il fallait que je m'enlève cette idée de la tête, pour mon propre bien. Et il fallait surtout que j'arrête de penser à elle ; ce qui m'était difficile à ce moment, parce que, partout dans ma tente, son parfum planait encore, restait imprégné à mes couvertures, à mes habits, à absolument tout !

J'avais alors ouvert en grand mon entrée, mes semblants de fenêtres, et éventé à grand coup de drap, essayant de créer, tant bien que mal, un courant d'air pour aérer cette tente trop petite et marquée par l'odeur enivrante de Pénélope ; il était hors de question que je m'endorme avec sa présence !

Monarque, le chat de Frédérique, me regardait toujours de ses yeux fins et moqueurs, se léchant la patte de temps en temps. Je lui avais jeté un regard noir et oblique, nourri par tout l'embarras que j'avais ; il me feula en retour avant de déguerpir, la queue entre les pattes.

J'avais un peu sué pour renouveler l'atmosphère de ma tente, et le soleil se couchait déjà quand j'avais fini. Je ne m'étais pas rendu compte du temps qui s'était écoulé... il fallait dire que j'étais prise par mes pensées, à essayer d'oublier ce qu'il s'était passé... Mon séjour ici ne commençait finalement pas aussi bien que je l'avais imaginé. Et je commençais à me monter dans ma tête des scénarios étranges, des scénarios où Pénélope irait raconter à tout le monde ce qu'il aurait pu se passer dans ma tente ; mes joues devinrent flamboyantes de honte... Non, elle ne ferait pas ça...

J'avais rejoint les autres, cette fois-là, au repas du soir. Je n'allais pas les ignorer une fois de plus, même si j'en avais très envie, et à vrai dire, c'était surtout Pénélope que je voulais fuir... Mais bon, il fallait bien que je m'intègre un minimum.

Frédérique et Maurice avaient préparé la table et à manger, une sorte d'apéritif dînatoire, avec un large choix de plats à grignoter, à picorer, de l'alcool et des soft ; des chips, des tartes, des quiches, des fruits, quelques légumes et des sauces pour tremper ce qu'on voulait dedans. On était installé sur la terrasse du bungalow de Frédérique, et il avait allumé ses lanternes chinoises pour nous offrir un peu de lumière. Tout le monde semblait s'amuser, se racontait leur journée respective, parlait de tout et de rien, Pénélope aussi. Elle était loin de moi, ne me regardait pas, ne me parlait pas ; elle m'ignorait, semblait-il.

Je n'aimais pas ce sentiment, ce sentiment d'abandon ; je me sentais à part, ailleurs, de n'être pas à ma place, comme si tous ces gens m'avaient simplement invité par pure politesse, que finalement, j'aurais été mieux seule dans ma tente. Ils me parlaient, certes, de temps en temps, mais je ne répondais que par des monosyllabes, par des hochements de tête ; et surtout, j'avais repris cette mauvaise manie de faussement sourire, de paraître heureuse quand je ne l'étais pas. Et par-dessus tout, je me sentais jugée, comme s'ils savaient tout ce qu'il s'était passé – ou ce qui ne s'était pas passé – entre Pénélope et moi-même...

– Alors, ta première vraie journée ? me demanda Frédérique. La livraison s'est bien passée ?

– Euh... Oui, dis-je, un peu paniquée. C'était sympa, très sympa...

J'avais jeté un œil à Pénélope, dans l'espoir qu'elle me vienne en aide, mais rien. C'était comme si elle ne m'avait même pas entendu parler.

– Sympa, c'est tout ? ajouta-t-il avec un petit rire.

– On a préparé le bar, rien de spécial...

– Hé, Pénélope ! cria-t-il alors. Tu n'as pas fait visiter les lieux à Céleste ? Quand même !

Elle s'était très-lentement retournée, regarda Frédérique, puis moi, un bref instant seulement, avant de revenir sur l'autre. Elle n'avait aucune expression sur son visage, n'était ni en colère, ni attristée, et pas même un brin d'amusement ; pourtant, elle gardait à ses lèvres, d'un rose tendre et accueillant, ce sourire candide et qui ne voulait rien dire. Puis, après un silence et une inspiration elle répondit, d'une voix monocorde et légère :

– Si, on est allé sur la page, et on a mangé au Wokambolesque, c'était sympa.

Et elle se tourna de nouveau, et reprit la discussion que Frédérique lui avait coupée. Alors ce dernier, qui n'avait rien vu d'étrange dans le comportement de Pénélope, me dit :

– Ah ! Vous avez quand même fait d'autres trucs, alors ! C'est bien ! Tu sais, j'ai vraiment envie que tu te sentes comme chez-toi, parmi nous !

– Merci, soufflai-je un peu gênée et très-loin de ce sentiment d'appartenance qu'il espérait me donner.

La soirée s'était terminée doucement, dans les rires partagés et les confessions tardives, libérées par quelques verres de trop. Et avant de nous laisser partir, Frédérique avait sorti sa meilleure bouteille de rhum, et nous avait tous servi un petit verre. Puis, après avoir débarrassé la table et ranger tout ce qui pouvait l'être, chacun retourna nonchalamment dans leur campement respectif. Tout le monde se faisait la bise ; et malheureusement, Pénélope, qui avait quitté la soirée avant les au revoir de groupe, n'était plus là pour ce moment ; elle ne se sentait pas bien, disait elle, avant de nous quitter et se cloîtrer dans son camping-car.

Il devait être minuit quand j'eus rejoint ma tente, et par la petite fenêtre de Pénélope, j'entendis encore, tout comme la nuit d'avant, un bruit de fond, des personnes qui discutaient, un film ou une série, très probablement. Je n'avais pas pu, cette fois-ci, clairement saisir le sujet de leur conversation. Et je me demandais comment faisait elle pour s'endormir avec autant de bruits parasites, ou pourquoi avait elle un si fort besoin de combler le silence...

Néanmoins, vers les unes heures du matin, tout s'arrêta ; et comme un son continu qui se tait d'un coup d'un seul est l'égale d'un vacarme passager, l'interruption soudaine des fictions nocturnes de Pénélope me réveilla de mon sommeil léger et naissant. Il n'y avait plus que le chant des insectes et du vent.

J'avais fini par m'endormir de nouveau et passai une nuit relativement calme. Pas de rêve, ni de cauchemars, je m'étais réveillée bien à l'heure ; et au moment de sortir de ma tente, j'étais tombée nez à nez avec Pénélope. Pénélope qui, vraisemblablement, allait venir me réveiller, puisque j'avais coupé son élan, sa main étant fermée en un poing prête à toquer à ma tente.

– Oh... souffla-t-elle en se frottant les mains.

– Bonjour, dis-je dans un murmure.

J'étais loin d'être présentable, avais les cheveux en pagaille, une tête de déterrée, et allais prendre ma douche. Mais ça m'importait peu, puisque je m'étais résolue, durant ma nuit, à balayer tous mes fantasmes et fables de jeune adulte à la libido explosive. Pénélope pouvait me voir dans mes pires jours, plus rien de tout ça ne me touchait.

– J'allais te réveiller, mais tu es là, remarqua-t-elle en souriant doucement.

Elle avait le regard fuyant, gêné et les pommettes rougissantes ; il y avait quelque chose qu'elle voulait dire, mais qui ne voulait pas passer sa gorge. Et pour une fois, c'était moi qui n'avais aucun mal à chercher et soutenir ses yeux. Alors, après ce qui semblait être un effort incommensurable, elle me dit, en se massant les mains nerveusement l'une contre l'autre :

– Ça te dit qu'on mange ensemble ce midi ? Je voudrais te parler de... hier, c'était étrange.

Mon cœur rata un saut et je déglutis.

Parfois, je ne pense à rien d'autre que toi. (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant