Chapitre 6

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C'était vers les coups de six heures, et de quelqu'un qui frappait à ma tente, que je m'étais réveillée ce matin-là. Et la tête encore dans le brouillard, à moitié endormie, et mes cheveux couvrant mon visage, j'émergeai tant bien que mal dans cette atmosphère moite et humide, chaude et empestant le matelas gonflable. J'avais la voix d'une mal-réveillée, enrouée comme si je fumais depuis ma naissance, et je disais, sans vraiment savoir à qui je parlais, toujours perdue dans mes songes :

– Oui, oui, maman, j'arrive, encore cinq minutes s'il te plaît. Cinq petites minutes, seulement, c'est tout ce que je te demande.

Et la personne de l'autre côté, d'un ton drôlement grave, qui ravivait en moi des souvenirs mitigés :

– Mademoiselle Gomel, Céleste Gomel, vous croyez que c'est une manière de se tenir en cours ?

je me souvins d'avoir ouvert mes yeux, en grand, mais aussi d'avoir retenu ma respiration durant une seconde interminable. Je me demandais si je venais vraiment d'appeler ma prof d'art « maman ». Et auquel cas, je cherchais activement une échappatoire à cette situation gênante. Et elle, d'une voix plus calme et sur le ton de la rigolade :

– Céleste, c'est Pénélope, il faut se réveiller, tu te souviens ?

– Euh... oui... dis-je hésitante.

– J'avais peur que tu ne te réveilles pas, continua-t-elle, le livreur arrive dans un bon quart d'heure, tu seras prête ?

Merde, c'est vrai !

– Oui ! bien sûr que je serais prête, m'écrirai-je en me précipitant.

Je m'étais alors levée en trombe, à moitié debout, courbée sous la petite voûte de ma tente. J'avais attrapé, en toute vitesse, de quoi m'habiller, un petit short, un débardeur et mes affaires de douche ; je sentais, en effet, et pour rester polie, le fennec. Une journée de transport, et une nuit caniculaire dans une tente avaient eu raison de mon hygiène. Je ne pouvais pas me présenter dans cet état, surtout devant madame Bellini, enfin, Pénélope.

Et au moment de sortir de mon antre, de cette toile fragile de plastique et de métal, au moment d'ouvrir la fermeture éclair qui me servait de porte, toute la bâtisse s'effondra sur le coin de ma tête. C'était ridicule, tout aussi ridicule que le cri qui s'échappa de ma bouche, tout aussi ridicule que la lenteur de la chute ; c'était en somme un gros ballon de baudruche qui se vidait à une vitesse terriblement lente, et moi, au milieu de ce chaos, je m'étais résolue à rester assise en tailleur, affrontant fièrement ma défaite, car plus rien ne pouvait me gêner davantage que d'avoir appelé madame Bellini... maman.

Et Pénélope, entre l'hilarité et la pitié – sans doute – m'aida à sortir des décombres de ma tente. Elle m'avait tendu sa main gauche, et me tira tout en rigolant, cachant son sourire de l'autre main. Il n'y avait pas qu'elle qui semblait se moquer de moi. Monarque aussi ; à quelques mètres, seulement, il me regardait de ses yeux perçants, et souriait doucement avec ses longues et fines moustaches, avant de partir en sautillant.

– Ma pauvre, me dit Pénélope toujours de sa voix ponctuée de rire, et une fois complètement dehors.

Madame Bellini était fraîchement vêtue. Elle portait une large pantalon blanc cassé, en toile probablement, et un petit haut, simple mais tout à fait ravissant ; il montrait timidement un bout de son nombril. J'avais rougi et gardé sa main dans la mienne. Je ne savais pas vraiment pourquoi. Mais elle était douce, très-douce même. Et je remarquai qu'à son annulaire ne se trouvait aucune bague... Pourtant, on l'appelait bien « madame »... Était-ce parce qu'elle n'aimait pas les conventions sexistes et archaïques, ou parce qu'elle était célibataire... Mais surtout... Pourquoi je me posais cette question ?!

Mes joues avaient viré au rouge écarlate et j'avais retiré vivement ma main de la sienne, les cachant derrière mon dos.

– Euh... il faut que je prenne ma douche... Et j'arrive, promis, je fais vite ! dis-je à moitié convaincue.

– D'accrod...

Elle avait jeté un regard par-dessus mon épaule et, avec un rire gênée :

– Tu vas laisser ta tente dans cet état ?

– À vrai dire... oui, rétorquai-je en me grattant la tête. C'est galère et... Franchement, j'ai pas le temps de le réparer ce matin, je ferais ça ce soir...

– Tu veux que je t'aide ?

– Non, c'est bon, répondis-je après une courte hésitation. Je ne veux pas vous... te déranger pour si peu !

– Mais tu ne me déranges pas du tout, Céleste, je t'assure ! continua-t-elle, tout sourire. Puis, je connais ce modèle !

– Ah bon ?

– Oui ! C'est moi qui ai dessiné le fascicule ! C'était avant d'être prof, une petite mission comme ça, pour arrondir les fins de mois.

Et c'était bien la première fois que je ressentais de l'animosité envers madame Bellini. J'essayais de rester de marbre, de garder le sourire, mais une partie au fond de moi criait de rage. C'était donc elle qui avait dessiné cette foutue notice ! Comment avait-elle pu faire une si mauvaise illustration ?! Je n'étais plus du tout gênée, mais agacée... agacée que ce soit elle la fautive, parce que pour une raison que j'ignorais encore, je ne pouvais pas lui en vouloir...

– D'accord, dis-je d'une petite voix. Mais, ce soir alors... Là-

– Il faut que tu prennes une douche !

Je lui regardais dans les yeux, l'air de dire « je pue tant que ça ?! » et elle répondit, en souriant :

– Je t'attends dans mon camping-car. Fais vite, ok ?

J'avais donc laissé ma tente dans cet état déplorable, et avec ma serviette autour du cou, mes habits choisis à la va-vite, mon sac de linge sale et tous mes produits de douche, je me dirigeais d'un pas rapide vers la salle d'eau commune, réservée au membre du camping. C'était l'avantage de travailler ici, on n'avait pas à partager ce lieu d'intimité avec d'autres inconnus, puisque pour nous, les douches étaient individuelles et très bien insonorisées.

Et je crois bien que c'était la douche la plus rapide de toute vie, un record pour une personne qui aime bien larver sous les jets d'eau chaude, à se perdre dans les méandres des pensées soudainement philosophiques une fois trempées longuement. J'étais propre et très-disposées pour le reste de la journée ; mais mal habillée cependant... rien dans ma tenue n'allait ensemble, et je devais accepter ce fait. Ce n'était pas bien grave, je me disais, je ne pourrais pas être plus ridicule que tout à l'heure ; et puis je suis sûre qu'on allait en rigoler à la fin de ce séjour ! Ça serait peut-être l'occasion d'avoir ma propre private joke !

J'avais de l'avance sur mon court planning, et c'était donc avec joie que j'allais vers le camping-car de madame Bellini. J'avais même un peu ri en voyant les résidus de ma tente, et pour mes affaires, je n'avais qu'à les entreposer chez ma prof, le temps de la journée. C'était une très-belle journée en perspective, finalement.

La porte de son camping-car n'était pas tout à fait fermée, et le temps que j'arrive, juste avant que je ne l'ouvre, je l'entendis parler, seule, au téléphone sûrement :

– Je sais, je sais, il y en a toujours que pour ton boulot !

Elle avait dans sa voix une tristesse certaine ; une tristesse quelque peu amère, qu'elle peinait à cacher derrière sa colère. Et mon ventre se tordit, je m'étais arrêtée net, quant à elle :

– Tu sais quoi, j'en ai marre, chaque année, c'est la même chanson et les mêmes promesses, mais rien ne change ! Au revoir.

Un petit claquement sec se fit entendre, suivi d'un reniflement discret. Puis, le véhicule se mit à tanguer de gauche à droite, elle allait sortir, et je ne savais pas où me mettre.

Alors, prise de court et de panique, je me retournai et regardai le ciel. Je devais avoir l'air ridiculement stupide ; mais c'était mieux sûrement que de confronter son regard. Je me sentais vraiment mal à l'aise d'avoir été témoin malgré moi de cette dispute. Et madame Bellini, comme si de rien n'était, toujours de sa voix chantante, que je voyais sourire sans même la regarder, emplie d'une joie que je savais fausse maintenant :

– Oh, tu as déjà fini ? On y va alors ?

Parfois, je ne pense à rien d'autre que toi. (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant