Chapitre 14

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Je m'étais installée dans ma tente, la tête remplie de pensées et le ventre de papillons. Et je commençais à me poser des questions... d'accord, madame Bellini était une femme tout à fait charmante, oui elle me faisait de l'effet, mais c'était mal de le penser, non ? Je n'étais plus très sûre et je m'étais affalée sur mon matelas gonflable, la tête en avant, m'enfouissant le visage dans mes oreillers. Si j'avais pu crier, je l'aurais fait, mais il était tard, très tard, et tout le monde devait déjà dormir ; que je déteste cette sensation, entre le manque et l'inaccessibilité.

C'était comme si tout allait s'enchaîner dans un ordre parfait, comme si le destin me disait que quelque chose de génial allait se passer ; il agitait, devant mes yeux, sur un chemin couvert d'un voile d'incertitude, un bonheur que j'aurais aimé goûter. Il avait ce chic, comme il l'a toujours, à me faire miroiter des choses, à pousser mon esprit vagabond à spéculer sur des événements théoriques, à enchaîner les "si" ; et le cerveau en surmenage, je n'arrivais pas à m'endormir. Pourtant, et ce n'était qu'après quelques minutes à trop réfléchir, que je l'entendis, le silence.

Alors, je me relevai, tendis l'oreille, à l'écoute de cette télé dont j'avais l'habitude d'entendre les monologues nocturnes. Rien, seulement le silence. Pénélope s'était, et pour la première fois, endormie sans ses films, ses séries, ou autres bruits parasites qui noyaient la tranquillité des heures tardives. Il était donc préférable pour moi de faire de même...

Des jours s'étaient écoulés depuis cette première soirée, et entre Pénélope et moi-même, rien n'avait changé ; on restait dans cet entredeux, dans ce flou sentimental où j'avais l'impression, ou je me donnais peut-être l'impression, que quelque chose se passait, qu'on se rapprochait, que ses sourires si discrets et naturels n'étaient que pour moi uniquement. Et j'étais trop timide, impressionnée et incertaine pour tenter quoi que ce soit.

Je frissonnais à chaque fois qu'elle me faisait la bise, à chaque fois que ses mains me touchaient l'épaule, que sa joue se collait contre la mienne, que je sentais toute son odeur m'envahir de loin en loin. Oui, nous avions eu des moments seule à seule, des moments de complicités, et à plusieurs reprises nous avions dîner en tête-à-tête. Elle m'avait même invité, un après-midi où l'on n'avait pas grand-chose à faire, à prendre le thé dans son camping-car. C'était très chouette.

– Tu sais que j'ai toujours adoré tes cheveux, me disait-elle, les sourcils légèrement plissés, et le menton posé entre ses deux mains, en attendant que l'eau bout.

Et moi, je ne savais pas quoi répondre ; mais elle ne cessait pas de me regarder, de me sourire. Et ce moment de flottement où la gêne m'enflammait les pommettes, je n'avais rien répondu, absolument rien ; j'avais, tout au plus, rendu un sourire maladroit.

Alors, il m'arrivait, de temps en temps, que je pensais trop à elle, de m'isoler dans les bois, de marcher loin, et à défaut de me perdre dans mes pensées, je le faisais là, entourée par les pins, le vents, sous les ombres de ces grands arbres bercés toute l'année par le doux murmure des vagues ; c'était un peu, en somme, l'endroit où je m'évadais de tous ces faux scénarios qui, jamais, n'allaient se réaliser. Et Monarque m'accompagnait même, dans cette forteresse de solitude, que je m'étais bâtie, on s'asseyait tous les deux, dans quelques coins perdus, au pied ou sur la souche d'un arbre ; le déni et la fuite étaient, pour le moment, mes seuls moyens de défense.

– Oh, tu es là, enfin ! s'écria une vieille voix par-dessus mon dos.

– Maurice, c'est toi ?

Je me relevai et m'essuyai les fesses de toutes les brindilles qui s'étaient accrochées à mon short, et Monarque, dont l'arrivée surprise de Maurice avait déplu, s'était enfui dans un buisson avec un feulement mécontent.

– Oui, c'est moi, on te cherche partout depuis tout à l'heure, tu sais ?

– Comment ça ?

– Enfin... "on", c'est plutôt Pénélope qui te cherche, ajouta-t-il avec un petit rire. Elle me dit qu'elle a l'impression que tu essayes de l'éviter, parfois.

– Moi ? l'éviter ? bégayai-je avec un rire nerveux. Non pas du tout... Qu'est-ce que... qu'est-ce qu'elle me veut ?

– Je ne sais pas trop, elle m'a dit qu'elle aurait besoin d'aide pour je-ne-sais-quoi, elle t'attend dans son camping-car.

Sur le chemin du retour, Maurice m'expliqua qu'il restait souvent, aussi, ici, parce que selon lui, c'est l'endroit le plus calme du Chèvrefeuille, l'endroit idéal pour se recentrer, se retrouver, et ne faire plus qu'un avec la nature.

– Alors, commença-t-il après un long silence, tu te plais bien ici ?

– Oui, dis-je avec un franc sourire. C'est très sympa.

– Tu ne regrettes pas d'avoir choisi notre camping ?

– Oh ! non, non, vraiment pas ! C'est génial !

– Tu sais que la personne avant toi, continua-t-il sur un ton grave, était considérée comme un membre de notre petite famille... mais malheureusement, elle nous a quittées... elle était très proche de Pénélope d'ailleurs, elle avait à peu près ton âge, quoiqu'un peu plus grande il me semble.

Et après un silence :

– C'était une habituée au début, elle et sa famille venaient chaque été. Puis quand elle a eu l'âge de travailler, elle s'est proposée, et c'était avec plaisir qu'on l'a acceptée parmi nous.

– Oh... et il s'est passé quoi ? Pourquoi elle est partie ?

– Partie ? répéta-t-il, surpris.

Mais un voile de tristesse avait couvert sa figure, et il ne dit rien ; j'avais alors compris ma bourde, et tentant de me rattraper :

– Désolée...

– Non, tu n'as pas à t'excuser Céleste, me rassura-t-il. Tu ne pouvais pas savoir... Il y a deux ans, en venant ici, ils ont eu un accident de voiture ; seule et unique victime de ce moment funeste, la malchance a fait qu'elle n'y a pas survécu... C'est comme ça, c'est la vie... C'était une chouette fille !

C'était donc pour ça que Pénélope était si étrange à cette époque-là. Je m'étais toujours demandé pourquoi une jeune femme aussi joviale et souriante qu'elle pouvait devenir, d'une année à l'autre, aussi morne et grise ; cette fille devait sûrement beaucoup compter pour elle alors... Et c'était tout un pan du passé de Pénélope que je voulais connaître, qui était cette fille pour elle ? quelle était leur relation ? mais peut-être que ce n'étaient pas des questions à lui poser pour le moment...

Et au moment où Maurice et moi-même arrivâmes au niveau de son camping-car, dans cette torpeur des longues après-midi d'été, Pénélope qui, vraisemblablement, était prise d'une colère noire, sortie en trombe de son véhicule, le téléphone à l'oreille, la voix déchirée entre la peine et la rage, montant parfois, avec des fulgurances inouïes, dans les graves ; elle claqua sa porte, marcha d'un pas résolu vers une destination qu'elle ne semblait pas connaître. Et son portable fermement écrasé par sa main, se balançant au rythme effréné de ses pas, elle disparaît entre les pins...

La seule phrase que j'eus entendue de sa bouche, avant qu'elle ne raccroche, était « je n'ai droit qu'à ça ?! après tout ce temps, tout ce que moi, j'ai fait pour toi ! tous mes sacrifices ! »

Parfois, je ne pense à rien d'autre que toi. (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant